Par un arrêt en date du 11 mars 2025, la Cour administrative d’appel de Nantes s’est prononcée sur la légalité d’une décision préfectorale de renouvellement d’assignation à résidence prise à l’encontre d’un ressortissant étranger sous le coup d’une obligation de quitter le territoire français.
En l’espèce, un ressortissant ivoirien, visé par une obligation de quitter le territoire français depuis le 9 avril 2024, a été initialement assigné à résidence le 7 mai 2024. Le préfet de la Vendée a ensuite décidé, par un arrêté du 16 octobre 2024, de renouveler cette mesure pour une durée de quarante-cinq jours. Le requérant a saisi le tribunal administratif de Nantes d’une demande d’annulation de cet arrêté de renouvellement. Par un jugement du 26 novembre 2024, la magistrate désignée a rejeté sa requête. L’intéressé a alors interjeté appel de ce jugement, contestant sa régularité et la légalité de la décision préfectorale. Il soutenait notamment que le premier juge avait commis des omissions à statuer et des dénaturations, que le préfet n’avait pas procédé à un examen actualisé de sa situation, que la décision était insuffisamment motivée, entachée d’une erreur de fait quant à sa situation personnelle et portait une atteinte disproportionnée à ses droits fondamentaux. Il arguait également de l’absence de menace à l’ordre public et de l’existence de garanties de représentation.
Il s’agissait donc pour la cour de déterminer si le renouvellement d’une mesure d’assignation à résidence impose à l’autorité préfectorale de procéder à de nouvelles diligences d’enquête pour réexaminer la situation de l’étranger et, d’autre part, dans quelle mesure une erreur de fait ou l’invocation de la vie privée et familiale peuvent vicier une telle décision.
La Cour administrative d’appel de Nantes rejette la requête. Après avoir écarté les critiques relatives à la régularité du jugement de première instance, elle juge que l’arrêté de renouvellement est suffisamment motivé. Surtout, elle précise qu’aucune obligation de réaliser une nouvelle enquête administrative ne pèse sur le préfet avant de prolonger une assignation à résidence. Elle juge ensuite qu’une erreur de fait sur la situation de célibataire du requérant n’a pas eu d’incidence sur le sens de la décision. Enfin, elle estime que la mesure ne porte pas une atteinte disproportionnée à la vie privée et familiale de l’intéressé et que le moyen tiré du risque de traitements inhumains et dégradants en cas de retour est inopérant s’agissant d’une mesure qui n’a pas pour objet l’exécution de l’éloignement lui-même.
La solution de la cour, en ce qu’elle confirme les prérogatives de l’administration dans le cadre du contrôle des étrangers, s’attache à une application rigoureuse des conditions de légalité de la prolongation de l’assignation à résidence (I), tout en procédant à une appréciation restrictive de l’atteinte portée aux droits fondamentaux de l’intéressé (II).
I. Une application rigoureuse des conditions de légalité de la prolongation de l’assignation à résidence
La Cour administrative d’appel examine la légalité de l’acte en se fondant sur une interprétation stricte des obligations procédurales pesant sur l’administration, écartant ainsi l’exigence d’une nouvelle enquête (A) et neutralisant la portée d’une erreur de fait jugée non substantielle (B).
A. L’absence d’obligation de réexamen par une nouvelle enquête
Le requérant soutenait que le préfet aurait dû procéder à un nouvel examen de sa situation, notamment au moyen d’une enquête administrative, avant de renouveler la mesure d’assignation à résidence. La cour écarte ce moyen par une formule lapidaire mais dénuée d’ambiguïté, affirmant qu’« il ne résulte d’aucune disposition législative ou réglementaire que le préfet serait tenu de réaliser une enquête administrative destinée à réactualiser la situation d’un étranger ayant fait l’objet d’une première décision d’assignation à résidence avant d’édicter une décision de prolongation d’assignation ».
Cette position confirme que la décision de renouvellement est analysée non comme un acte entièrement nouveau qui imposerait de reprendre l’instruction du dossier à son commencement, mais comme la continuation d’une mesure existante. Le juge administratif considère que l’examen initial, qui a fondé la première décision, demeure pertinent tant qu’aucun changement substantiel de circonstances n’est établi par le requérant lui-même. En l’absence de texte imposant une telle diligence, le juge refuse de créer une formalité substantielle supplémentaire qui viendrait alourdir la procédure et contraindre l’action administrative. Cette solution pragmatique préserve la marge d’appréciation du préfet, qui reste libre d’effectuer des vérifications s’il l’estime opportun, sans y être juridiquement contraint pour chaque renouvellement.
B. La neutralisation de l’erreur de fait non déterminante
L’arrêt illustre également la théorie jurisprudentielle de l’erreur de fait n’ayant pas exercé une influence déterminante sur le sens de la décision. Le requérant faisait valoir que le préfet l’avait considéré à tort comme célibataire, alors qu’il se prévalait d’une relation de concubinage. La cour reconnaît l’existence de cette inexactitude matérielle mais juge que « cette erreur de fait n’a pas en l’espèce d’incidence sur le sens de la décision attaquée ».
Ce faisant, le juge procède à une substitution de motif implicite en évaluant si, en l’absence de cette erreur, l’administration aurait pris une décision différente. Il conclut par la négative, estimant que la situation de concubinage, à la supposer établie, n’était pas un élément de nature à faire obstacle à la prolongation de l’assignation à résidence. Cette approche témoigne d’une volonté de ne pas censurer une décision pour un motif purement formel ou pour une erreur mineure, lorsque le fondement principal de l’acte demeure solide, à savoir la nécessité de garantir l’exécution future de l’obligation de quitter le territoire. Le juge se concentre ainsi sur le caractère nécessaire et adapté de la mesure de contrôle, reléguant au second plan les éléments de la situation personnelle jugés non décisifs.
Si la cour consolide ainsi une approche pragmatique de la légalité de l’acte, elle applique également un contrôle classique de la conventionalité de la mesure, qui restreint la portée des droits fondamentaux invoqués par le requérant.
II. Une appréciation restrictive de l’atteinte portée aux droits fondamentaux
Face aux moyens tirés de la Convention européenne des droits de l’homme, le juge d’appel effectue une mise en balance défavorable au requérant concernant le droit au respect de la vie privée et familiale (A) et opère une distinction fonctionnelle qui rend inopérant le moyen tiré de l’article 3 (B).
A. Le caractère proportionné de l’ingérence dans la vie privée et familiale
Le requérant invoquait l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, arguant de ses liens sociaux et professionnels en France ainsi que de sa relation de concubinage pour contester la prolongation de l’assignation. La cour, après avoir rappelé la teneur de l’article 8, reconnaît implicitement l’existence d’une ingérence dans le droit au respect de la vie privée et familiale du requérant. Toutefois, elle estime que cette ingérence n’est pas disproportionnée.
Elle juge en effet que « l’ensemble de ces éléments ne sont pas de nature à établir que la décision de prolongation d’assignation à résidence pour une durée de 45 jours porterait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de la vie privée et familiale ». Le contrôle de proportionnalité se solde ici par une primauté accordée à l’objectif poursuivi par la loi, à savoir la défense de l’ordre public par l’exécution des mesures d’éloignement. La durée limitée du renouvellement (quarante-cinq jours) et la nature même de la mesure, moins privative de liberté qu’un placement en rétention, sont des éléments qui militent en faveur de sa proportionnalité. La cour considère que les attaches du requérant en France ne suffisent pas à faire obstacle à une mesure de surveillance temporaire et localisée, justifiée par la nécessité de prévenir le risque de soustraction à l’exécution de l’obligation de quitter le territoire français.
B. La distinction opératoire entre la mesure de contrôle et la mesure d’éloignement
Enfin, l’arrêt écarte le moyen tiré de l’article 3 de la Convention, interdisant les traitements inhumains ou dégradants, par une motivation qui met en lumière la parcellisation du contentieux des étrangers. Le requérant exprimait des craintes pour sa vie en cas de retour dans son pays d’origine. La cour juge que « cette argumentation ne peut être utilement invoquée contre la décision portant prolongation d’assignation à résidence dont l’objet n’est pas de procéder à la reconduite de M. A… dans son pays d’origine ».
Cette distinction est classique en jurisprudence administrative. Les moyens relatifs aux risques encourus dans le pays de destination ne sont pertinents qu’à l’encontre de la décision d’éloignement elle-même ou de la décision fixant le pays de renvoi. Ils sont inopérants contre les mesures conservatoires comme l’assignation à résidence, qui visent uniquement à s’assurer de la présence de l’étranger sur le territoire dans l’attente de son départ. En isolant ainsi la légalité de la mesure de contrôle de celle de la mesure d’éloignement, le juge administratif applique une logique fonctionnelle rigoureuse qui, si elle est juridiquement fondée, a pour effet de segmenter l’examen de la situation globale de l’étranger et de limiter les possibilités pour ce dernier de contester utilement les mesures préparatoires à son renvoi.