Par un arrêt en date du 12 septembre 2025, la cour administrative d’appel de Nantes a rejeté la requête d’une ressortissante nigériane dirigée contre un jugement du tribunal administratif de Caen du 5 février 2025. Ce jugement avait confirmé la légalité des décisions du préfet du Calvados refusant de lui délivrer un titre de séjour et l’obligeant, ainsi que ses deux enfants nés en France, à quitter le territoire français, cette mesure étant assortie d’une interdiction de retour d’une durée d’un an.
En l’espèce, une ressortissante nigériane, présente en France depuis 2015, avait sollicité une admission exceptionnelle au séjour. Sa demande initiale avait fait l’objet d’une décision implicite de rejet de la part du préfet du Calvados. Par la suite, le 8 octobre 2024, le préfet a pris un arrêté explicite refusant le séjour, ordonnant à l’intéressée de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, fixant le pays de renvoi et prononçant une interdiction de retour d’un an. La requérante a saisi le tribunal administratif de Caen afin d’obtenir l’annulation de ces décisions. Le tribunal a rejeté ses demandes par un jugement en date du 5 février 2025. La ressortissante a alors interjeté appel de ce jugement devant la cour administrative d’appel de Nantes. Elle soutenait notamment que l’administration aurait dû examiner la possibilité de la remettre aux autorités italiennes, pays où elle avait détenu un titre de résident de longue durée, plutôt que de lui imposer une obligation de quitter le territoire français. Elle arguait également que les décisions préfectorales portaient une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale, compte tenu de sa présence en France depuis neuf ans et de la naissance et de la scolarisation de ses deux enfants sur le territoire national.
La cour administrative d’appel était ainsi amenée à se prononcer sur la question de savoir si l’autorité préfectorale pouvait légalement édicter une obligation de quitter le territoire français à l’encontre d’une étrangère ayant anciennement bénéficié du statut de résident de longue durée dans un autre État membre de l’Union européenne. Il lui revenait également de déterminer si une telle mesure, compte tenu de l’ancienneté du séjour et de la présence de jeunes enfants scolarisés, ne constituait pas une ingérence excessive dans le droit au respect de la vie privée et familiale de l’intéressée.
La cour administrative d’appel de Nantes rejette la requête. Elle juge d’abord que l’administration n’était pas tenue d’examiner une procédure de remise vers l’Italie dès lors que la requérante avait perdu son statut de résident de longue durée dans cet État, en raison d’une absence de son territoire supérieure à six ans. Elle estime ensuite que, malgré la durée de présence en France et la situation familiale de l’intéressée, la décision d’éloignement ne méconnaît pas les exigences de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, faute de liens « d’une particulière intensité » avec la France.
L’arrêt illustre ainsi l’articulation des procédures d’éloignement au sein de l’Union européenne, affirmant la compétence de l’administration française lorsque les liens avec un autre État membre ont été rompus (I). Il témoigne par ailleurs d’une appréciation restrictive des conditions d’intégration, conduisant à valider une mesure d’éloignement malgré une situation familiale et sociale ancrée en France (II).
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I. L’articulation clarifiée des procédures d’éloignement au sein de l’espace européen
La cour administrative d’appel justifie la légalité de l’obligation de quitter le territoire français en écartant l’application d’une procédure alternative de remise à un autre État membre (A), avant de procéder à une analyse de la situation personnelle de la requérante au regard de sa seule présence sur le territoire national (B).
A. Le rejet de la procédure de remise comme préalable à l’éloignement
La requérante soutenait que le préfet aurait dû envisager sa remise aux autorités italiennes avant de prononcer une obligation de quitter le territoire français. La cour rappelle le cadre juridique applicable, précisant que « le champ d’application des mesures obligeant un étranger à quitter le territoire français et celui des mesures de remise d’un étranger à un autre Etat ne sont pas exclusifs l’un de l’autre et que le législateur n’a pas donné à l’une de ces procédures un caractère prioritaire par rapport à l’autre ». Ce principe général connaît toutefois une exception notable : « si l’étranger demande à être éloigné vers l’Etat membre (…) ou s’il est résident de longue durée dans un Etat membre (…), il appartient au préfet d’examiner s’il y a lieu de reconduire en priorité l’étranger vers cet Etat ».
En l’espèce, la cour constate que la requérante ne pouvait plus se prévaloir de cette exception. Elle relève en effet qu’« à la date de la décision contestée, [l’intéressée] n’était plus titulaire d’un titre de séjour italien lui accordant le statut de résident de longue durée, dès lors qu’elle avait quitté l’Italie depuis plus de six ans après la délivrance de ce titre ». Pour parvenir à cette conclusion, le juge se fonde sur l’article 9 de la directive 2003/109/CE qui prévoit la perte de ce statut après une absence de six ans du territoire de l’État membre l’ayant accordé. La situation de la requérante ne relevant plus du champ des articles L. 621-1 et L. 621-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, le préfet n’était donc pas tenu d’examiner à titre prioritaire sa remise aux autorités italiennes. Cette analyse rigoureuse confirme que les garanties spécifiques attachées au statut de résident de longue durée UE sont conditionnées au maintien d’un lien effectif avec l’État membre qui l’a octroyé.
B. La compétence exclusive de l’autorité française pour l’examen du droit au séjour
Une fois la question de la procédure de remise écartée, la légalité de l’obligation de quitter le territoire français devait être appréciée au regard des seuls liens de l’intéressée avec la France. La perte de son statut de résident en Italie a pour conséquence de rendre l’administration française seule compétente pour statuer sur son droit au séjour, sur la base des dispositions du droit national et des conventions internationales pertinentes. La cour examine donc les décisions préfectorales comme si la requérante n’avait jamais eu de statut de séjour régulier dans un autre État membre.
Cette approche conduit le juge à écarter également le moyen selon lequel le préfet ne pouvait exclure les États membres de l’Union européenne des pays de destination. La cour considère que, n’étant plus titulaire d’un titre de séjour italien et en l’absence de preuve de liens effectifs de ses enfants avec leur père résidant en Espagne, la requérante n’est pas fondée à contester la fixation de son pays d’origine comme pays de renvoi. Le raisonnement de la cour illustre ainsi un cloisonnement strict des situations juridiques : dès lors que les conditions d’une procédure de remise ne sont plus réunies, l’examen de la situation de l’étranger s’effectue dans un cadre purement national, sans considération pour les liens passés avec d’autres États membres.
II. Une conception exigeante de l’intégration familiale et sociale
L’arrêt révèle une appréciation particulièrement stricte de l’atteinte portée au droit au respect de la vie privée et familiale (A), qui se reflète également dans la validation de l’interdiction de retour sur le territoire (B).
A. L’appréciation restrictive de l’atteinte à la vie privée et familiale
Pour contester l’obligation de la quitter le territoire, la requérante invoquait une méconnaissance de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Elle mettait en avant sa présence en France depuis 2015, soit neuf années à la date de la décision, et la situation de ses deux enfants, nés en France en 2015 et 2019 et scolarisés en école primaire et maternelle. La cour prend acte de ces éléments factuels mais estime qu’« il n’est pas établi que ses enfants et elle auraient noué en France des liens d’une particulière intensité ».
Pour minimiser la portée de ces liens, le juge relève que le père des enfants réside en Espagne sans qu’aucune preuve de ses liens avec eux ne soit produite, que rien ne fait obstacle à la poursuite de leur scolarité au Nigeria, et que la requérante ne travaille pas, se bornant à produire une promesse d’embauche pour un contrat de courte durée. Les activités bénévoles et le suivi de cours de français ne suffisent pas à infléchir cette appréciation. Cette motivation témoigne d’une exigence élevée dans la caractérisation des liens fondant la vie privée et familiale. La seule durée de présence et la scolarisation des enfants en bas âge ne suffisent pas à faire obstacle à une mesure d’éloignement, le juge requérant la preuve de liens d’une « particulière intensité », un critère dont les contours restent soumis à son appréciation souveraine.
B. La validation conséquente de l’interdiction de retour
La cour administrative d’appel examine enfin la légalité de l’interdiction de retour sur le territoire français d’une durée d’un an. Elle rappelle qu’il lui appartient de contrôler si cette mesure ne porte pas au droit de l’étranger au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée. Toutefois, son analyse sur ce point est lapidaire. Elle se contente de renvoyer aux motifs déjà exposés pour écarter la violation de l’article 8 de la Convention européenne : « Pour les mêmes motifs que ceux indiqués aux points 9 et 10, en l’absence de tout élément particulier invoqué tenant à l’interdiction de retour, les moyens tirés de ce que cette décision a été prise en méconnaissance de l’article 8 (…) doivent être écartés ».
Ce faisant, la cour considère que l’appréciation portée sur l’obligation de quitter le territoire français vaut également pour l’interdiction de retour qui l’assortit. Si cette approche est cohérente, elle occulte le fait que l’interdiction de retour constitue une mesure distincte, dont les conséquences sur la situation personnelle de l’étranger et de sa famille devraient faire l’objet d’une analyse spécifique. En l’espèce, la cour ne semble pas rechercher si la durée d’un an était adaptée et proportionnée, se limitant à constater que les liens familiaux en France n’étaient pas suffisamment intenses pour faire obstacle, par principe, à une telle mesure. Cette décision confirme que, dans l’esprit du juge, l’appréciation de l’intensité des liens familiaux constitue le pivot central de l’ensemble du contentieux de l’éloignement.