Par un arrêt en date du 13 juin 2025, la cour administrative d’appel de Nantes a statué sur les conditions de refus des conditions matérielles d’accueil à une demandeuse d’asile. En l’espèce, une ressortissante étrangère était entrée régulièrement en France le 8 juillet 2024 au titre de la réunification familiale, son époux y étant reconnu réfugié. Elle a déposé une demande d’asile le 23 octobre 2024, soit plus de quatre-vingt-dix jours après son arrivée. L’office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) a alors pris une décision de refus de lui octroyer le bénéfice des conditions matérielles d’accueil. La demandeuse a saisi le tribunal administratif de Nantes, qui a annulé cette décision par un jugement du 6 décembre 2024, au motif que l’office avait commis une erreur de droit. L’OFII a interjeté appel de ce jugement, soutenant que le délai de quatre-vingt-dix jours s’appliquait indépendamment de la régularité du séjour initial et que la demande était tardive. La requérante, pour sa part, arguait de la régularité de son entrée et d’un délai raisonnable pour déposer sa demande, invoquant le droit de l’Union européenne et des motifs légitimes pour son retard. Il revenait donc à la cour administrative d’appel de déterminer si le délai de quatre-vingt-dix jours prévu par le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile pour solliciter l’asile court à compter de l’entrée en France, même lorsque cette entrée et le séjour qui s’ensuit sont réguliers. La cour a répondu par l’affirmative, annulant le jugement de première instance. Elle a jugé que le délai légal s’imposait dès l’entrée sur le territoire et que la requérante n’apportait pas la preuve d’un motif légitime justifiant le dépassement de ce délai.
I. L’application stricte du délai de tardiveté de la demande d’asile
La cour administrative d’appel consacre une interprétation littérale des textes régissant le point de départ du délai pour demander l’asile (A), qu’elle estime compatible avec les exigences du droit de l’Union européenne (B).
A. Un point de départ du délai indifférent à la régularité de l’entrée
La juridiction d’appel écarte l’analyse du premier juge et retient une lecture stricte des dispositions nationales. Elle rappelle que le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile conditionne le bénéfice des conditions matérielles d’accueil au respect d’un délai de présentation de la demande d’asile. L’arrêt précise que la circonstance que la requérante soit entrée sur le territoire munie d’un visa de long séjour est sans incidence sur le calcul de ce délai. Pour la cour, « il résulte des dispositions citées au point précédent que le délai de 90 jours courait à compter de l’entrée en France de l’intéressée ». Cette position établit clairement que le point de départ du délai est unique et objectif, fixé à la date d’entrée sur le territoire, sans qu’il y ait lieu de distinguer selon que cette entrée est régulière ou irrégulière. La finalité de l’entrée, ici la réunification familiale, n’est pas non plus un critère pertinent pour différer le déclenchement de ce délai. Ainsi, la cour ancre son raisonnement dans une application rigoureuse de la lettre de la loi, conférant au délai de quatre-vingt-dix jours un caractère impératif pour tout étranger souhaitant bénéficier des conditions matérielles d’accueil au titre de l’asile, quelle que soit sa situation administrative antérieure.
B. Une conformité affirmée au droit de l’Union européenne
Face à l’argumentation de la requérante qui invoquait la notion de « délai raisonnable » issue de la directive du 26 juin 2013, la cour examine la compatibilité du droit national avec le droit de l’Union. Elle estime que le mécanisme français n’est pas contraire aux objectifs de la directive. L’arrêt souligne que le délai de quatre-vingt-dix jours « est manifestement suffisant et proportionné à la situation d’un étranger entré en France pour déposer une demande d’asile et n’a qu’une portée relative, compte tenu de la possibilité d’y déroger en raison d’un motif légitime ». C’est donc l’existence de cette soupape de sécurité, la possibilité de justifier un retard par un motif légitime, qui assure la proportionnalité du dispositif et sa conformité au droit européen. En jugeant que la législation nationale constitue une transposition adéquate, la cour écarte la nécessité d’une saisine préjudicielle de la Cour de justice de l’Union européenne. Elle affirme que « l’application correcte du droit de l’Union s’impose avec une telle évidence qu’elle ne laisse place à aucun doute raisonnable sur ce point », faisant application de la théorie de l’acte clair. La décision valide ainsi la légalité du refus opposé par l’OFII au regard du droit de l’Union, sous réserve de l’examen du motif légitime.
Cette interprétation rigoureuse du délai légal amène la cour à opérer un contrôle tout aussi exigeant sur les justifications avancées par la requérante pour expliquer la tardiveté de sa demande.
II. L’appréciation restrictive des justifications de la tardiveté
La cour administrative d’appel procède à une analyse concrète des arguments de la requérante, mais en adopte une vision restrictive, tant sur la caractérisation d’un motif légitime (A) que sur l’évaluation de sa situation de vulnérabilité (B).
A. Une conception exigeante du motif légitime
Après avoir posé le principe de l’applicabilité du délai de quatre-vingt-dix jours, la cour examine si la requérante pouvait se prévaloir d’un « motif légitime » au sens de l’article L. 551-15 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. La charge de la preuve d’un tel motif pèse sur le demandeur d’asile. En l’espèce, la requérante invoquait des chocs post-traumatiques, son état de grossesse et la fermeture estivale des associations d’aide. Cependant, la cour rejette ces arguments en raison de l’absence de preuves suffisantes. Elle constate que la demandeuse « ne produit aucune pièce pour établir la réalité de ses allégations sur son état de santé et sur l’indisponibilité pendant la période estivale ». La seule circonstance de la grossesse est jugée insuffisante pour justifier un retard de plusieurs semaines, d’autant que la présence de son époux, déjà intégré et bénéficiant du statut de réfugié, était de nature à l’assister dans ses démarches. Cette approche pragmatique et rigoureuse illustre que le motif légitime ne saurait être présumé ni déduit de circonstances générales ; il doit être étayé par des éléments probants et démontrer une réelle impossibilité d’agir dans le délai imparti.
B. Un contrôle limité de la situation de vulnérabilité
La requérante soulevait également que la décision de refus était entachée d’une erreur d’appréciation de sa situation de vulnérabilité et d’une méconnaissance de l’article 1er de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne garantissant la dignité humaine. La cour reconnaît le principe, tel qu’interprété par la Cour de justice de l’Union européenne, selon lequel le respect de la dignité humaine impose de ne pas laisser un demandeur dans une « situation de dénuement matériel extrême ». Toutefois, elle estime que cette protection n’est pas inconditionnelle. La cour juge qu’il « ne découle pas manifestement des dispositions de 1’article 1er de la Charte des droits fondamentaux de 1’Union européenne que les conditions matérielles d’accueil du demandeur d’asile doivent être accordées à un demandeur qui (…) ne justifie pas remplir les conditions d’attribution ». En l’absence d’éléments matériels corroborant une situation de détresse psychologique ou de dénuement, et relevant que l’intéressée avait déclaré être hébergée par son conjoint qui dispose du droit de travailler, la cour écarte l’argument. Elle conclut que l’OFII n’a pas commis d’erreur d’appréciation, subordonnant ainsi la protection au titre de la dignité humaine à la démonstration d’une situation de précarité exceptionnelle, qui n’est pas établie en l’espèce.