La cour administrative d’appel de Nantes a rendu, le 14 février 2025, une décision précisant les conditions d’appréciation du lien matrimonial lors d’une procédure de réunification familiale. Cette affaire concerne le refus de délivrer un visa de long séjour à l’épouse d’un ressortissant étranger bénéficiant de la protection subsidiaire en France.
Les faits révèlent qu’une ressortissante étrangère a sollicité un visa pour rejoindre son époux, dont le mariage avait été célébré en Somalie en 2007. Les services consulaires ont initialement rejeté cette demande, décision confirmée implicitement par la commission de recours contre les refus de visa d’entrée en France. Par un jugement du 6 mars 2023, le tribunal administratif de Nantes a annulé ce refus et enjoint au ministre de délivrer le titre sollicité. Le ministre de l’intérieur a alors interjeté appel, soutenant que le lien marital n’était plus établi en raison d’une procédure de divorce.
La procédure d’appel oppose l’administration, qui invoque l’existence d’une fraude et la rupture du lien conjugal, aux bénéficiaires de la réunification qui maintiennent la validité de leur union. Le ministre soutient que le conjoint avait manifesté son intention de divorcer par des courriers adressés aux autorités consulaires avant et après la décision contestée. Les requérants rétorquent que ces éléments ne suffisent pas à démontrer la dissolution effective du mariage ou une intention frauduleuse de détourner la législation.
La question posée à la juridiction administrative est de savoir si la seule manifestation d’une intention de divorcer suffit à écarter le droit à la réunification familiale. Il convient de déterminer si l’administration peut légalement refuser un visa alors que l’acte d’état civil attestant du lien matrimonial n’a pas été formellement remis en cause.
La cour administrative d’appel de Nantes confirme l’annulation de la décision de refus en jugeant que l’intention de divorcer est sans incidence sur la validité du lien matrimonial. Elle écarte également la substitution de motifs fondée sur la fraude, estimant que l’administration n’apporte pas la preuve d’une séparation effective des époux.
I. La primauté de la validité légale du lien matrimonial sur l’intention des époux
A. L’indifférence de la volonté de rompre l’union sur l’existence du mariage
L’existence du lien conjugal est attestée par un certificat de mariage établi par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides faisant foi jusqu’à inscription de faux. Le ministre de l’intérieur arguait que le conjoint avait exprimé, par plusieurs courriers, sa volonté de renoncer à la procédure pour engager un divorce. La cour administrative d’appel de Nantes rejette ce raisonnement en soulignant que « cette circonstance est, par elle-même, sans incidence sur l’existence du lien matrimonial ».
Le droit à la réunification familiale repose sur la preuve d’un mariage antérieur à la demande d’asile, conformément aux dispositions du code de l’entrée et du séjour. Tant que l’union n’est pas dissoute par une décision juridictionnelle ou un acte authentique, les droits attachés à la qualité de conjoint doivent être maintenus. Les juges d’appel relèvent d’ailleurs que l’époux était revenu sur son intention initiale de renoncer à la procédure dès le mois de mars 2022.
B. La protection de la force probante des actes d’état civil étrangers
Le contentieux des visas de réunification familiale est étroitement lié à la vérification des actes d’état civil étrangers prévue par l’article 47 du code civil. En l’espèce, le certificat produit n’était pas contesté dans sa forme ou sa régularité par l’administration qui se bornait à invoquer des éléments extérieurs. La cour rappelle qu’il « n’appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d’une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère ».
La décision souligne que la force probante de l’acte ne peut être combattue que par la preuve d’une irrégularité, d’une falsification ou d’une inexactitude matérielle flagrante. En l’absence d’une rupture officielle du lien, l’administration commet une erreur de droit en se fondant sur une simple intention de séparation future. Cette solution garantit une sécurité juridique indispensable aux réfugiés dont les situations familiales sont souvent rendues précaires par l’exil et les conflits.
II. L’échec de la démonstration d’une manœuvre frauduleuse par l’administration
A. Le rejet d’un détournement de la procédure à des fins migratoires
Le ministre de l’intérieur a tenté d’introduire un nouveau motif de refus en invoquant une fraude commise par les intéressés pour obtenir un avantage indu. Selon cette thèse, les époux auraient maintenu leur demande de visa malgré leur intention de divorcer afin de favoriser une immigration étrangère à l’unité familiale. Le juge administratif autorise la substitution de motifs sous réserve que le nouveau fondement soit légalement justifié par la situation existante à la date de la décision.
Toutefois, la cour administrative d’appel de Nantes juge qu’il « ne ressort pas des pièces du dossier que le lien matrimonial aurait été rompu » effectivement. L’administration échoue à démontrer que la demande de visa poursuivait un but exclusivement migratoire et qu’elle était dépourvue de toute base familiale réelle. La fraude ne se présume pas et nécessite des éléments probants que les simples hésitations ou courriers électroniques du conjoint ne suffisent pas à constituer.
B. Les limites de l’appréciation administrative de la vie commune effective
Le contrôle opéré par le juge se limite à la vérification des conditions légales strictes de la réunification familiale sans s’immiscer dans l’intimité du couple. L’administration ne peut exiger la preuve d’une communauté de vie parfaite dès lors que le mariage légal subsiste et que les critères de l’article L. 561-2 sont remplis. La cour constate que l’épouse « entrait dans le champ de la réunification familiale » au sens de la loi au moment où la commission de recours statuait.
L’arrêt confirme ainsi que la protection de l’unité familiale demeure un principe fort qui ne saurait être écarté par des considérations subjectives sur l’avenir du couple. Le rejet de la requête ministérielle illustre la volonté du juge administratif de maintenir un contrôle rigoureux sur les motifs de refus opposés aux protégés. L’Etat est finalement condamné à verser une somme au titre des frais de justice, marquant l’aboutissement d’une procédure confirmant le droit au séjour du conjoint.