Cour d’appel administrative de Nantes, le 14 février 2025, n°24NT01149

Un agent public, infirmière titulaire dans un établissement hospitalier, a été placée en congé maladie de longue durée avant de prendre sa retraite pour invalidité. Estimant que cette situation résultait du harcèlement moral subi de la part d’un médecin et d’une défaillance de son employeur dans son obligation de protection, elle a saisi la juridiction administrative d’une demande indemnitaire. Après le rejet de sa requête par le tribunal administratif de première instance, l’agent a interjeté appel. Elle demandait la condamnation de l’établissement à lui verser des indemnités en réparation, d’une part, du préjudice moral né du harcèlement et, d’autre part, du préjudice distinct résultant du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité. Le centre hospitalier soutenait en défense que les faits allégués n’étaient pas constitutifs d’un harcèlement et qu’il avait pris les mesures nécessaires pour traiter les difficultés relationnelles signalées. Il se posait donc la question de savoir si des agissements verbaux agressifs, limités en nombre et espacés dans le temps, suffisaient à faire présumer un harcèlement moral. Parallèlement, il convenait de déterminer si les actions entreprises par l’employeur, telles qu’une enquête administrative et des entretiens, suffisaient à l’exonérer de sa responsabilité au titre de son obligation de prévention. Par un arrêt en date du 14 février 2025, la cour administrative d’appel a rejeté la requête. Elle a jugé que les faits présentés par l’agent, bien que certains soient établis, n’étaient pas suffisants pour laisser présumer l’existence d’un harcèlement moral au sens des dispositions du code général de la fonction publique. La cour a également estimé que l’employeur n’avait pas manqué à son obligation de sécurité, ayant pris des mesures pour répondre aux difficultés signalées. La solution de la cour s’articule autour d’une appréciation restrictive de la notion de harcèlement moral (I) et d’une validation de la diligence de l’employeur face à son obligation de sécurité (II).

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I. L’appréciation restrictive des éléments constitutifs du harcèlement moral

La cour administrative d’appel adopte une approche rigoureuse pour qualifier le harcèlement moral, en exigeant la preuve d’actes suffisamment répétés (A) et en refusant de globaliser des incidents pour caractériser une situation de harcèlement personnel (B).

A. L’insuffisance d’actes répréhensibles mais sporadiques

La juridiction administrative, pour écarter la qualification de harcèlement moral, se fonde sur une analyse quantitative et temporelle des faits rapportés par la requérante. Elle retient que, bien que des comportements inappropriés d’un médecin soient avérés, leur faible nombre sur une longue période ne permet pas de satisfaire au critère de répétition exigé par la loi. En effet, la cour relève qu’« à quatre reprises seulement sur la période de 3 ans et demi », le médecin « s’est adressé à [l’agent] de manière inadaptée ou a adopté envers elle une attitude injurieuse ou dégradante ». Cette approche met en exergue l’importance de la densité des agissements dans l’appréciation du juge. Des faits isolés ou trop espacés dans le temps, même s’ils peuvent constituer des fautes disciplinaires, ne suffisent pas à eux seuls à créer une présomption de harcèlement. Le raisonnement de la cour souligne qu’au-delà de la nature des actes, leur accumulation et leur fréquence sont déterminantes pour établir une dégradation effective des conditions de travail. Cette lecture littérale des textes protège contre des accusations qui pourraient découler de simples conflits interpersonnels ponctuels, mais elle risque également de laisser sans réparation des agents subissant une souffrance réelle issue de piques verbales récurrentes mais espacées.

B. Le refus de prendre en compte un contexte conflictuel généralisé

La cour opère une distinction nette entre les agissements visant personnellement la requérante et ceux qui témoignent d’un comportement généralement agressif du médecin envers d’autres membres du personnel. Elle écarte ainsi les témoignages et fiches d’événements indésirables qui, bien qu’accablants pour le médecin mis en cause, ne concernaient pas directement l’appelante. La décision précise que ces éléments « mettent en lumière des attitudes inappropriées ainsi que des problèmes relationnels et un comportement colérique et agressif ou excessif et vindicatif du docteur […] qui n’apparaissent pas dirigés particulièrement contre elle ». En procédant de la sorte, le juge individualise l’analyse du harcèlement moral, exigeant que la victime démontre que les agissements répétés la visaient spécifiquement. Cette méthode a pour effet de ne pas reconnaître un environnement de travail rendu toxique par le comportement d’un seul individu comme un élément constitutif du harcèlement subi par un agent. Si cette approche garantit une application stricte du principe de la personnalité du préjudice, elle occulte la réalité selon laquelle un climat de travail délétère peut gravement affecter un agent, même si celui-ci n’est pas l’unique cible des agressions.

II. La validation de la réponse de l’employeur face à son obligation de sécurité

Parallèlement au rejet de la qualification de harcèlement, la cour exonère l’employeur de toute responsabilité en considérant que les mesures prises étaient suffisantes (A), ce qui tend à définir son obligation de sécurité comme une obligation de moyens renforcée (B).

A. La reconnaissance de mesures de prévention jugées suffisantes

Face aux allégations de l’agent qui dénonçait l’inertie de sa hiérarchie, la cour administrative d’appel examine concrètement les actions mises en œuvre par l’établissement hospitalier. Elle constate que la direction a réagi aux alertes, notamment en organisant des entretiens avec les parties en conflit et en diligentant une enquête administrative pour clarifier la situation. L’arrêt souligne que la direction de l’établissement « a pris des dispositions pour répondre aux difficultés relationnelles et écarts de comportement dénoncés ». Le fait que l’enquête ait concerné non seulement le médecin mis en cause mais également la requérante, suite à d’autres plaintes, est interprété comme une preuve du traitement impartial et approfondi du dossier. En concluant que « le centre hospitalier public du Cotentin a recherché des solutions concrètes à la situation dénoncée », la cour estime que l’employeur a rempli son devoir. La responsabilité de ce dernier pour manquement à son obligation de sécurité ne peut donc être engagée, dès lors qu’il a démontré avoir activement cherché à résoudre le problème.

B. Une obligation de sécurité s’apparentant à une obligation de moyens

En validant la démarche de l’employeur, bien que la souffrance de l’agent ait persisté jusqu’à son départ, la décision apporte une précision importante sur la portée de l’obligation de sécurité prévue par le code du travail. Traditionnellement analysée comme une obligation de résultat, elle est ici appréciée de manière plus souple. La cour ne sanctionne pas l’échec de l’employeur à éradiquer totalement le risque et à prévenir le dommage, mais elle valorise les efforts déployés pour y parvenir. Le juge se satisfait de la preuve que l’administration a été diligente, qu’elle a investigué et agi, sans exiger que ces actions aient été couronnées de succès. Cette jurisprudence suggère qu’un employeur public peut s’exonérer de sa responsabilité en démontrant avoir mis en œuvre des moyens adaptés et proportionnés face à une situation de conflit, même si ces derniers se révèlent in fine insuffisants pour protéger la santé de l’agent. Une telle approche, si elle est confirmée, offrirait aux administrations une voie pour se défendre, mais pourrait affaiblir la protection des agents en situation de vulnérabilité.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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