Cour d’appel administrative de Nantes, le 14 février 2025, n°24NT02671

Par un arrêt en date du 14 février 2025, la cour administrative d’appel de Nantes a statué sur la légalité d’une mesure d’éloignement prise à l’encontre d’un étranger présent sur le territoire national depuis sa petite enfance.

En l’espèce, un ressortissant marocain, arrivé en France à l’âge de quatre ans, a fait l’objet d’un arrêté du préfet de la Sarthe en date du 23 juillet 2024. Cette décision portait obligation de quitter le territoire français sans délai, fixait le pays de renvoi et prononçait une interdiction de retour sur le territoire pour une durée de cinq ans. L’intéressé a saisi le tribunal administratif de Rennes, qui, par un jugement du 30 juillet 2024, a annulé cet arrêté au motif d’une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de l’intéressé. Le préfet de la Sarthe a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant que la menace pour l’ordre public que représentait l’étranger justifiait la mesure d’éloignement. Le problème de droit soulevé était donc de savoir si la mesure d’éloignement d’un étranger, qui a passé la quasi-totalité de sa vie en France et y a des attaches familiales, portait une atteinte excessive à son droit au respect de la vie privée et familiale au sens de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, eu égard à la menace que sa présence constituait pour l’ordre public. La cour administrative d’appel de Nantes a répondu par la négative. Elle a annulé le jugement de première instance et rejeté la demande de l’étranger, considérant que, compte tenu de la gravité et de la répétition des infractions pénales commises par ce dernier, la décision préfectorale ne constituait pas une ingérence disproportionnée dans sa vie privée et familiale.

La cour justifie ainsi la mesure d’éloignement par une appréciation stricte de la menace à l’ordre public (I), affirmant par là même la prévalence de cet impératif sur le droit à la vie privée et familiale de l’intéressé dans le cadre du contrôle de proportionnalité (II).

I. La caractérisation d’une menace à l’ordre public justifiant l’éloignement

La décision de la cour administrative d’appel repose sur une analyse détaillée du comportement de l’intéressé, qui permet d’établir l’existence d’une menace actuelle et suffisamment grave pour l’ordre public (A), rendant ainsi inopérantes les attaches privées et familiales pourtant anciennes de ce dernier en France (B).

A. La constitution d’une menace par la répétition d’infractions graves

La cour fonde son raisonnement sur la succession de condamnations pénales qui jalonnent le parcours de l’intéressé. Elle ne se contente pas d’une simple énumération, mais s’attache à la nature des faits, notamment les violences conjugales. L’arrêt relève que l’étranger a reconnu au cours de son audition avoir en février 2024 « pris une fois par la gorge » sa compagne et avoir « un peu serré effectivement », puis l’avoir « poussée à deux ou trois reprises » alors qu’elle était enceinte. Ces agissements sont mis en perspective avec une condamnation antérieure en 2009 pour des faits de même nature sur une précédente compagne, ainsi qu’une condamnation en 2015 pour des violences habituelles sur son fils mineur. En soulignant cette réitération, le juge administratif caractérise un comportement dangereux et persistant, qui dépasse le simple trouble ponctuel. L’incarcération de plusieurs années pour trafic de stupéfiants en récidive vient renforcer cette image d’un individu ancré dans la délinquance. La menace pour l’ordre public n’est donc pas une simple potentialité, mais un fait établi par un historique judiciaire lourd et continu.

B. La neutralisation des liens privés et familiaux par le comportement de l’intéressé

Face à la menace avérée pour l’ordre public, les arguments tirés de la vie privée et familiale perdent de leur consistance. Bien que la cour reconnaisse que l’étranger est arrivé en France à l’âge de quatre ans, est père de deux enfants français et que sa compagne était enceinte au moment de la décision, elle minore la portée de ces éléments. Le juge constate en effet que l’intéressé « n’établit ni contribuer à leur entretien et leur éducation, ni même avoir conservé des contacts avec ceux-ci ». Ce faisant, la cour opère une distinction entre l’existence formelle de liens familiaux et leur réalité effective. La paternité ne suffit pas à constituer un obstacle à l’éloignement si elle ne s’accompagne pas de l’exercice concret des responsabilités parentales. L’ancienneté de la présence sur le territoire, habituellement un facteur essentiel dans l’appréciation du droit au séjour, est également relativisée. La cour considère implicitement que l’intégration de l’individu dans la société française a été mise en échec par son comportement délinquant, privant ainsi sa longue résidence de sa valeur protectrice.

La validation de l’appréciation préfectorale par la cour administrative d’appel témoigne d’une application rigoureuse du contrôle de proportionnalité. Cette approche, qui accorde un poids déterminant à la notion d’ordre public, confirme la marge d’appréciation laissée à l’administration dans la gestion des flux migratoires, tout en réaffirmant les limites de la protection accordée par les droits fondamentaux.

II. La portée du contrôle de proportionnalité dans la conciliation des droits

En annulant le jugement du tribunal administratif, la cour réaffirme la place prépondérante de la sécurité publique dans la balance des intérêts (A) et confirme par ailleurs le caractère limité du contrôle judiciaire exercé sur les décisions accessoires à l’obligation de quitter le territoire (B).

A. La prééminence de l’impératif de sécurité publique

L’arrêt illustre la manière dont le juge administratif opère la conciliation entre l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et les objectifs légitimes de défense de l’ordre et de prévention des infractions pénales. Alors que le premier juge avait fait prévaloir le droit au respect de la vie privée et familiale, la cour d’appel restaure la primauté de l’ordre public. Elle considère que l’ingérence dans la vie privée de l’intéressé est non seulement prévue par la loi, mais aussi nécessaire dans une société démocratique. Le message est clair : la protection accordée par la convention n’est pas absolue et ne saurait servir de rempart à un individu dont le comportement menace la sécurité de ses concitoyens, y compris au sein de sa propre famille. Cette décision s’inscrit dans un contexte où le législateur a entendu renforcer les possibilités d’éloignement des étrangers représentant une menace pour l’ordre public, y compris ceux qui bénéficiaient auparavant de protections particulières. L’arrêt constitue une application judiciaire de cette volonté politique, en validant une appréciation sévère de la situation personnelle au regard des antécédents pénaux.

B. La confirmation d’un contrôle restreint sur la durée de l’interdiction de retour

Outre la validation de l’obligation de quitter le territoire, la cour examine la légalité de l’interdiction de retour pour une durée de cinq ans. Elle rappelle que pour fixer cette durée, l’administration doit tenir compte de plusieurs critères énoncés à l’article L. 612-10 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, tels que la durée de présence, les liens avec la France et la menace pour l’ordre public. Toutefois, la cour précise que « ces mêmes dispositions ne font pas obstacle à ce qu’une telle mesure soit décidée quand bien même une partie de ces critères, qui ne sont pas cumulatifs, ne serait pas remplie ». En l’espèce, le fait que l’intéressé ait déjà ignoré une précédente mesure d’éloignement et qu’il représente une menace avérée suffit à justifier la durée de cinq ans, qui n’est pas la durée maximale possible. Ce faisant, la cour confirme qu’elle n’exerce qu’un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation sur ce point, laissant une latitude importante au préfet. La décision d’éloignement, une fois son principe validé, entraîne avec elle ses corollaires avec une force quasi automatique, le juge n’intervenant que pour sanctionner une sanction manifestement disproportionnée.

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