Cour d’appel administrative de Nantes, le 14 février 2025, n°24NT03351

Par un arrêt rendu le 14 février 2025, une cour administrative d’appel a été amenée à se prononcer sur la légalité d’une interdiction de retour sur le territoire français. En l’espèce, un ressortissant étranger, condamné en 2013 à une peine d’emprisonnement pour des faits de piraterie commis en 2009 et libéré en 2015, s’était vu refuser une demande de titre de séjour par un arrêté préfectoral du 19 juillet 2024. Cette décision était assortie d’une obligation de quitter le territoire français ainsi que d’une interdiction de retour sur le territoire pour une durée de cinq ans. L’intéressé a saisi le tribunal administratif, qui, par un jugement du 20 novembre 2024, a annulé la seule mesure d’interdiction de retour. Le préfet a alors interjeté appel de cette annulation, soutenant que la menace à l’ordre public que représentait l’étranger justifiait la mesure contestée. La question de droit qui se posait à la cour était donc de savoir si des faits criminels anciens, pour lesquels la peine a été intégralement purgée, peuvent, à eux seuls, caractériser une menace actuelle pour l’ordre public justifiant une interdiction de retour, nonobstant une intégration réussie et une longue présence sur le territoire national depuis la libération. La cour administrative d’appel a répondu par la négative, considérant que la menace à l’ordre public n’était plus actuelle et que la décision du préfet était, au regard de l’ensemble des critères légaux, entachée d’illégalité.

La solution retenue par la cour administrative d’appel repose sur une appréciation rigoureuse des conditions d’édiction d’une interdiction de retour, rappelant l’exigence d’une menace actuelle pour l’ordre public (I), avant de procéder à une mise en balance concrète de l’ensemble des critères pertinents qui confirme le caractère disproportionné de la mesure (II).

I. L’appréciation de la menace pour l’ordre public subordonnée à son caractère actuel

La cour, pour confirmer l’annulation de la mesure d’interdiction de retour, neutralise d’abord le principal argument du préfet en recentrant l’analyse sur le caractère nécessairement contemporain de la menace (A), ce qui l’amène à écarter une motivation fondée exclusivement sur la gravité de faits anciens (B).

A. L’exigence d’une menace contemporaine et effective

La juridiction d’appel rappelle que l’évaluation de la menace pour l’ordre public doit s’effectuer au jour où l’administration statue. Elle constate que l’arrêté préfectoral a été pris le 19 juillet 2024, soit plus de quatorze années après les crimes pour lesquels l’intéressé avait été condamné, et neuf ans après sa sortie de prison. Durant toute cette période de liberté, il est relevé que l’étranger « n’a commis […] aucun acte portant atteinte à l’ordre public ». Cette absence totale de nouveaux démêlés avec la justice est déterminante pour la cour, car elle vide de sa substance la notion de risque présent. En outre, la nature des faits de 2009, qualifiés de crime de droit commun et non d’acte de terrorisme, achève de circonscrire la dangerosité passée de l’individu à un contexte spécifique et révolu. La cour conclut ainsi logiquement qu’« à la date de l’arrêté attaqué, il ne peut être considéré que la présence en France de [l’intéressé] constituait une menace actuelle pour l’ordre public ».

B. Le rejet d’une mesure administrative aux allures de sanction rétrospective

En subordonnant la légalité de l’interdiction de retour à l’actualité de la menace, la cour administrative d’appel s’oppose à ce qu’une mesure de police administrative ne se transforme en une sanction déguisée. La peine d’emprisonnement ayant été purgée, la dette de l’individu envers la société est considérée comme éteinte sur le plan pénal. Utiliser cette condamnation passée comme unique fondement d’une mesure d’éloignement reviendrait à lui infliger une forme de double peine, ce que le juge administratif refuse implicitement d’admettre. La décision réaffirme que le but d’une interdiction de retour est préventif et non répressif ; elle vise à protéger la société d’un danger futur et non à punir une nouvelle fois des agissements passés. La gravité intrinsèque des faits, bien que « particulièrement graves », ne peut donc suffire à justifier une telle mesure si elle n’est pas corroborée par des éléments démontrant sa persistance ou son risque de réitération à la date de la décision administrative.

Au-delà de la seule question de la menace pour l’ordre public, c’est l’ensemble de la situation personnelle de l’étranger que la cour prend en considération pour asseoir sa décision, conformément aux exigences posées par le législateur.

II. La consécration d’un contrôle de proportionnalité étendu à l’ensemble de la situation personnelle

La cour ne se limite pas à invalider le motif tiré de la menace à l’ordre public, mais procède à une analyse globale qui met en évidence l’intégration de l’étranger (A), confirmant ainsi la nécessité pour l’administration de réaliser un bilan complet et proportionné avant d’édicter une mesure aussi attentatoire à la liberté d’aller et venir (B).

A. La prise en compte des efforts d’intégration sociale et professionnelle

La décision d’appel s’appuie sur les dispositions de l’article L. 612-10 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qui imposent à l’autorité administrative de tenir compte de plusieurs critères cumulatifs. La cour examine méthodiquement la situation de l’intéressé au regard de ces critères. Elle souligne d’abord qu’il n’avait jamais fait l’objet d’une mesure d’éloignement antérieure, vivant au vu et au su de l’administration. Elle relève ensuite une présence de près de neuf ans sur le territoire depuis sa libération, période durant laquelle il a démontré une volonté d’intégration manifeste. Les juges énumèrent ainsi des éléments concrets et probants : l’apprentissage et la maîtrise du français, l’engagement de longue date au sein d’une communauté solidaire où il a exercé des responsabilités, la conclusion récente d’un contrat de travail à durée indéterminée et une participation active à la vie associative locale, attestée par des témoignages. La force de ces liens sociaux et professionnels l’emporte sur l’absence de liens familiaux en France.

B. La réaffirmation d’un contrôle entier sur l’application des critères légaux

En annulant l’interdiction de retour, la cour administrative d’appel exerce un contrôle approfondi sur l’appréciation portée par le préfet. Elle juge que ce dernier « n’est […] pas fondé à soutenir que c’est à tort que […] le tribunal administratif de Rennes a annulé l’interdiction de retour ». Cette solution confirme que le juge de l’excès de pouvoir n’hésite pas à censurer l’administration lorsqu’elle se focalise sur un seul critère, en l’occurrence la menace passée à l’ordre public, au détriment d’une appréciation globale et équilibrée. La décision illustre parfaitement le contrôle de proportionnalité in concreto auquel le juge administratif se livre. L’arrêté préfectoral apparaît disproportionné au regard de la situation personnelle de l’étranger et des buts poursuivis par la loi. La portée de cet arrêt, bien que classique dans son raisonnement, est de rappeler fermement à l’administration son obligation de procéder à un examen particulier et complet de chaque situation individuelle avant de prononcer une interdiction de retour, même lorsque le passé pénal de l’étranger est lourd.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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