La cour administrative d’appel de Nantes a rendu, le 14 février 2025, un arrêt relatif à la légalité d’une mesure d’éloignement prise contre un citoyen européen. Le litige portait sur l’appréciation de la menace à l’ordre public justifiant une obligation de quitter le territoire français sans délai. Un ressortissant roumain séjournant en France depuis quatre ans a été interpellé suite à une rixe impliquant l’usage d’une arme par destination. L’autorité préfectorale a alors édicté un arrêté portant obligation de quitter le territoire et interdiction de circuler pendant une durée de trois ans. Le tribunal administratif de Rennes a rejeté la demande d’annulation de cet acte par un jugement rendu le 27 novembre 2024. Le requérant a donc saisi la juridiction d’appel en contestant la réalité de la menace et en invoquant son intégration professionnelle. La question posée au juge consistait à déterminer si un acte de violence isolé peut caractériser une menace réelle et actuelle pour la société. La cour a annulé l’arrêté contesté en considérant que le comportement personnel de l’intéressé ne présentait pas la gravité requise par le code. Ce commentaire examinera l’appréciation stricte de la menace à l’ordre public avant d’analyser la protection renforcée du droit au séjour européen.
I. Une appréciation rigoureuse du comportement personnel constituant une menace
A. L’exigence d’une menace réelle, actuelle et suffisamment grave
Le juge administratif rappelle que l’éloignement d’un citoyen de l’Union européenne suppose un comportement constituant « une menace réelle, actuelle et suffisamment grave ». Cette formulation, issue de l’article L. 251-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers, limite strictement le pouvoir d’appréciation préfectoral. La cour souligne ici que les faits de violence reprochés au requérant présentaient un « caractère isolé » au regard de son parcours global en France. L’administration ne peut se fonder sur un événement unique sans démontrer une propension à la réitération ou une dangerosité persistante pour l’ordre public.
Le raisonnement de la juridiction repose sur l’absence d’éléments tangibles permettant de caractériser une atteinte à un intérêt fondamental de la société française. La cour relève que l’intéressé n’est pas retourné sur les lieux de la bagarre après avoir accompagné un ami blessé vers un centre hospitalier. Cette circonstance factuelle contredit l’analyse initiale du premier juge qui voyait dans ce comportement une persistance de la volonté de troubler l’ordre public. L’appréciation de la menace doit demeurer individualisée et se fonder sur des faits précis dont l’administration doit impérativement rapporter la preuve.
B. L’insuffisance des faits de rixe en l’absence de condamnations pénales
La décision précise qu’il ne ressort d’aucune pièce du dossier que les faits de violence en réunion « aient fait l’objet de poursuites ayant conduit à une condamnation ». L’absence de sanction pénale affaiblit la qualification juridique de la menace retenue par l’autorité administrative pour justifier l’urgence de la mesure d’éloignement. Le juge relève également que les mentions défavorables anciennes dans les fichiers de police ne suffisent pas à établir une menace actuelle et certaine. Cette solution protège l’administré contre des décisions fondées sur de simples suspicions policières non confirmées par une autorité judiciaire compétente.
L’arrêt souligne également que le requérant a régularisé sa situation concernant la conduite de véhicules en obtenant son permis de conduire après des faits anciens. Cette évolution positive du comportement de l’intéressé rend inopérante la référence aux antécédents policiers pour justifier une mesure de police des étrangers aujourd’hui. La cour administrative d’appel de Nantes opère ainsi un contrôle de proportionnalité entre la gravité des faits commis et la sévérité de la mesure administrative. L’illégalité du motif lié à l’ordre public conduit mécaniquement à l’annulation de l’obligation de quitter le territoire français prononcée par l’administration.
II. La préservation des droits au séjour découlant de l’intégration sociale
A. La reconnaissance de la stabilité de la situation professionnelle et matérielle
Le magistrat d’appel valide le constat du premier juge concernant l’activité professionnelle légale du requérant lui procurant des revenus suffisants pour sa subsistance. L’arrêt souligne que l’intéressé « disposait également d’une assurance maladie », remplissant ainsi les conditions de séjour prévues par le droit de l’Union européenne. Cette intégration matérielle constitue un obstacle juridique majeur à l’exécution d’une mesure d’obligation de quitter le territoire français sans motif impérieux. La cour refuse donc de laisser le motif lié à l’ordre public primer sur la réalité d’une insertion sociale et économique réussie.
Le juge vérifie scrupuleusement le respect des critères de l’article L. 233-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Dès lors que le droit au séjour est établi par l’exercice d’une activité professionnelle, l’administration dispose d’une marge de manœuvre extrêmement réduite pour prononcer l’éloignement. L’erreur d’appréciation commise par le préfet résidait dans la négation injustifiée des ressources et de la couverture sociale dont bénéficiait pourtant le citoyen européen. Cette protection renforcée s’inscrit dans la volonté de favoriser la libre circulation des travailleurs au sein de l’espace européen de liberté et de justice.
B. L’annulation consécutive des mesures d’interdiction de circulation
L’illégalité de l’obligation de quitter le territoire entraîne nécessairement l’annulation de l’interdiction de circuler sur le territoire français prononcée pour une durée de trois ans. Le juge considère que ces décisions sont « entachées d’illégalité » car elles ne reposent sur aucun fondement juridique valide après l’écartement de la menace. Cette portée garantit au citoyen européen le plein exercice de sa liberté de circulation au sein de l’espace commun malgré un incident ponctuel. La mesure d’interdiction de circulation ne peut effectivement subsister si la décision principale d’éloignement est elle-même dépourvue de base légale suffisante.
Cette décision illustre la rigueur du contrôle exercé par les juridictions administratives sur les mesures de police portant atteinte à la liberté d’aller et venir. La cour rejette la demande de suspension de l’exécution car elle statue définitivement sur le fond du droit par le même arrêt de justice. L’annulation totale de l’arrêté préfectoral rétablit le requérant dans l’intégralité de ses droits au séjour et à la libre circulation sur le territoire national. La cour administrative d’appel de Nantes réaffirme ainsi une jurisprudence protectrice des libertés individuelles face aux prérogatives régaliennes de police administrative.