Par un arrêt en date du 14 mars 2025, une cour administrative d’appel a été amenée à se prononcer sur les conditions de renouvellement d’une mesure d’assignation à résidence prise à l’encontre d’un étranger faisant l’objet d’une obligation de quitter le territoire français. En l’espèce, un ressortissant étranger, sous le coup d’une décision d’éloignement, avait été initialement assigné à résidence. Par un nouvel arrêté, le préfet a renouvelé cette mesure pour une durée de six mois, motivant sa décision par l’impossibilité pour l’intéressé de quitter le territoire.
Saisi par l’étranger, le tribunal administratif a annulé cet arrêté de renouvellement. Les premiers juges ont en effet considéré que le fondement juridique retenu par l’administration, à savoir les dispositions applicables en cas de report de l’éloignement, était erroné. Ils ont estimé que la délivrance d’un laissez-passer consulaire rendait l’éloignement de l’intéressé une perspective raisonnable, ce qui excluait l’hypothèse d’une impossibilité de quitter le territoire. Le préfet a interjeté appel de ce jugement, soutenant que l’impossibilité de départ était bien caractérisée, justifiant ainsi sa décision.
Il revenait donc à la cour administrative d’appel de déterminer si un obstacle matériel temporaire au voyage peut caractériser une « impossibilité de quitter le territoire français » au sens de l’article L. 731-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, permettant à l’autorité administrative de renouveler une assignation à résidence pour une durée de six mois, et ce, malgré la possession par l’intéressé d’un document de voyage.
À cette question, la cour répond par l’affirmative. Elle juge que l’existence d’un obstacle factuel au départ, en l’occurrence l’absence d’un schéma vaccinal complet requis pour le voyage, suffit à constituer l’impossibilité pour l’étranger de quitter le territoire. Par conséquent, l’autorité administrative pouvait légalement se fonder sur l’article L. 731-3 du code précité pour renouveler l’assignation à résidence. La cour annule ainsi le jugement du tribunal administratif et valide la légalité de l’arrêté préfectoral.
La solution retenue par la cour administrative d’appel consacre une interprétation pragmatique des conditions de l’assignation à résidence (I), ce qui a pour effet de renforcer l’efficacité du contrôle administratif exercé sur les étrangers en attente de leur éloignement (II).
***
I. La validation d’une interprétation pragmatique des conditions de l’assignation à résidence
La cour opère une clarification bienvenue en confirmant le régime juridique applicable en cas de report de l’éloignement (A) et en consacrant une appréciation concrète de l’impossibilité de départ (B).
A. La confirmation du régime juridique applicable aux éloignements reportés
Le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile distingue principalement deux régimes d’assignation à résidence. Le premier, prévu à l’article L. 731-1, s’applique lorsque l’éloignement de l’étranger « demeure une perspective raisonnable ». Le second, fondé sur l’article L. 731-3, vise le cas où l’étranger « justifie être dans l’impossibilité de quitter le territoire français ». La distinction entre ces deux régimes est essentielle, car elle conditionne la durée maximale de la mesure, plus courte dans le premier cas.
En l’espèce, le tribunal administratif avait écarté l’application de l’article L. 731-3 au motif que la délivrance d’un laissez-passer consulaire rendait l’éloignement prévisible et donc sa perspective raisonnable. La cour administrative d’appel censure ce raisonnement en se livrant à une analyse plus factuelle de la situation. Elle estime que la seule existence d’un document de voyage ne suffit pas à rendre l’éloignement effectif si d’autres conditions matérielles ne sont pas réunies. En retenant le régime de l’impossibilité de quitter le territoire, la cour valide le choix du préfet d’opter pour le cadre juridique offrant une durée de contrôle plus étendue. Cette approche confirme que l’appréciation de la « perspective raisonnable » d’éloignement ne saurait être purement théorique.
B. La consécration d’une appréciation matérielle de l’impossibilité de départ
Le cœur du raisonnement de la cour réside dans son interprétation de la notion d’« impossibilité de quitter le territoire français ». Alors que les premiers juges s’étaient focalisés sur l’aspect administratif et juridique, à savoir la détention d’un laissez-passer, la cour adopte une vision plus concrète. Elle relève que le préfet « fait valoir sans être contesté que [l’intéressé] ne justifiait pas d’un schéma vaccinal complet ». Cet élément factuel constitue, pour la juridiction d’appel, un obstacle dirimant à la mise en œuvre de la mesure d’éloignement à la date de l’arrêté.
Cette solution établit qu’une contrainte sanitaire ou logistique, extérieure à la volonté de l’étranger ou de l’administration, peut suffire à caractériser l’impossibilité de départ. La cour privilégie une analyse *in concreto* de la situation de l’étranger au moment où la décision est prise. La décision de la cour souligne également que cette assignation à résidence peut être prononcée d’office par l’administration, la circonstance que l’étranger « n’ait pas sollicité l’autorisation de rester en France » étant sans incidence. L’impossibilité est appréciée objectivement, indépendamment de toute démarche de l’intéressé.
L’interprétation extensive de cette condition a pour conséquence directe de conforter l’autorité de l’administration dans la gestion des mesures d’éloignement.
***
II. Le renforcement de l’efficacité du contrôle administratif des étrangers en instance d’éloignement
Cette décision illustre l’étendue de la marge d’appréciation reconnue à l’administration dans le choix et les modalités de la mesure (A), tout en rappelant les limites inhérentes au contrôle de proportionnalité exercé par le juge (B).
A. L’affirmation de la marge d’appréciation de l’autorité administrative
En validant le choix du préfet de recourir au régime de l’article L. 731-3, la cour renforce l’arsenal juridique à la disposition de l’administration pour assurer le suivi des personnes en situation irrégulière. La décision confirme que l’autorité préfectorale peut, de sa propre initiative, placer un étranger sous un régime de contrôle strict et de longue durée lorsque son éloignement se heurte à des difficultés pratiques. Le fait que le moyen tiré de l’absence de menace à l’ordre public soit jugé « inopérant » rappelle que l’assignation à résidence n’est pas une mesure de police, mais un outil de gestion des flux migratoires destiné à garantir l’exécution des décisions d’éloignement.
La souplesse ainsi accordée à l’administration lui permet de s’adapter aux circonstances variées qui peuvent entraver un départ, qu’elles soient liées à l’obtention de documents de voyage, à la situation sanitaire, ou à la fermeture de frontières. La solution de la cour administrative d’appel apparaît donc comme une garantie de l’effectivité de l’action administrative, en permettant le maintien sous contrôle d’un étranger qui, autrement, pourrait se soustraire à la mesure d’éloignement une fois l’obstacle temporaire levé.
B. Un contrôle de proportionnalité mesuré
Si la cour conforte le pouvoir de l’administration, elle n’écarte pas pour autant tout contrôle sur les modalités de la mesure. Saisie de l’ensemble du litige par l’effet dévolutif de l’appel, elle examine les autres moyens soulevés en première instance, notamment celui tiré de la disproportion de la mesure et de l’atteinte à la vie privée et familiale. Le juge administratif procède alors à une balance des intérêts en présence.
Il relève les contraintes imposées : obligation de se présenter trois fois par semaine au commissariat et de demeurer à domicile durant une plage horaire quotidienne. Il met ces contraintes en regard de la situation personnelle de l’intéressé, notant qu’il n’était engagé dans aucune formation ou contrat de travail et n’entretenait pas de liens réguliers avec des membres de sa famille en France. Sur la base de ces éléments, la cour conclut qu’« il ne ressort pas des pièces du dossier que la mesure d’assignation à résidence contestée présentait un caractère disproportionné à la finalité qu’elle poursuivait ». Ce contrôle, bien que réel, demeure restreint. Le juge ne substitue pas son appréciation à celle du préfet et ne censure qu’en cas d’erreur manifeste, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.