Par un arrêt en date du 15 juillet 2025, une cour administrative d’appel se prononce sur les conditions de révision d’une pension militaire d’invalidité pour aggravation. En l’espèce, un ancien militaire, titulaire d’une pension définitive pour des séquelles à la cheville droite et au genou gauche, a sollicité la révision de cette pension en raison d’une aggravation de son état de santé. Sa demande a été rejetée par une décision du ministre des armées, confirmée par la commission de recours de l’invalidité. Le militaire a alors saisi le tribunal administratif de Nantes, qui a rejeté sa demande. Il a ensuite interjeté appel de ce jugement, soutenant que l’aggravation de ses infirmités était directement imputable aux blessures initiales reconnues comme liées au service, malgré la survenance d’incidents postérieurs à sa carrière militaire. Il contestait également la pertinence de l’expertise médicale sur laquelle l’administration s’était fondée pour refuser la révision de sa pension. Il était ainsi demandé à la juridiction d’appel de déterminer si l’aggravation d’infirmités pensionnées peut être reconnue lorsque les expertises médicales apparaissent contradictoires et que des incidents postérieurs au service sont survenus. La cour administrative d’appel, constatant les insuffisances et les imprécisions de l’expertise ayant fondé la décision administrative, ainsi que l’existence d’un doute sur le lien de causalité entre l’infirmité initiale et l’état de santé actuel du requérant, décide de surseoir à statuer et d’ordonner une nouvelle expertise médicale.
Cette décision illustre le contrôle approfondi exercé par le juge administratif sur l’évaluation médicale en matière de pensions militaires, en particulier lorsque le lien de causalité est contesté (I). En ordonnant une mesure d’instruction avant de statuer, la cour réaffirme par ailleurs le rôle central du juge dans la recherche de la vérité matérielle face à une incertitude probatoire (II).
I. L’appréciation extensive du lien de causalité par le juge administratif
Le juge d’appel procède à une analyse méticuleuse des faits pour déterminer si l’aggravation alléguée est bien la conséquence de l’infirmité pensionnée. Il adopte une conception large de la causalité en réintégrant des blessures postérieures dans la filiation de la pathologie initiale (A) et en écartant une expertise administrative jugée trop fragile pour fonder un refus (B).
A. La réintégration des blessures postérieures dans la filiation de l’infirmité initiale
La cour administrative d’appel examine avec soin la situation de la cheville du requérant, qui a subi de nouvelles blessures en 1996 et 2015, soit après la fin de son service. L’administration avait utilisé ces événements pour contester l’imputabilité de l’aggravation. Or, le juge refuse cette analyse simplificatrice et recherche si la fragilité initiale de l’articulation, reconnue comme imputable au service, n’est pas la cause véritable de ces incidents ultérieurs. Il considère qu’« Aucun élément de l’instruction ne permet d’exclure que, comme le soutient le requérant, l’entorse de 2015, à l’instar de la blessure de 1996, trouve directement et entièrement sa cause dans les séquelles d’entorse de la cheville droite au titre desquelles [l’intéressé] perçoit une pension ». Ce faisant, la juridiction administrative refuse de considérer ces événements comme des causes étrangères autonomes qui rompraient le lien de causalité. Elle suggère au contraire que ces blessures ne sont que des manifestations d’une pathologie préexistante et pensionnée, ce qui justifierait la prise en compte de l’aggravation qui en résulte.
B. La disqualification d’une expertise médicale jugée lacunaire et contradictoire
Le contrôle du juge ne se limite pas aux faits ; il s’étend à la valeur probante des éléments médicaux versés au dossier. La cour relève les multiples faiblesses de l’expertise diligentée durant l’instruction de la demande de révision. L’expert y concluait à une absence d’évolution de l’invalidité tout en se fondant sur la non-imputabilité d’une entorse survenue en 2015, soit postérieurement à la fixation des taux qu’il préconisait de maintenir. La juridiction souligne cette contradiction et l’imprécision générale du rapport, qui ne distingue pas clairement les troubles fonctionnels de la cheville et du genou. Elle en conclut que « l’expertise sur laquelle se sont appuyés tant le ministre des armées que la commission de recours de l’invalidité souffre d’inconsistance et d’imprécision ». En écartant ce document, la cour rappelle qu’une décision administrative, surtout lorsqu’elle est défavorable à l’administré, doit reposer sur des preuves solides et cohérentes, ce qui n’était manifestement pas le cas en l’espèce.
Face à une appréciation administrative jugée défaillante, le juge ne se contente pas d’annuler la décision. Il met en œuvre ses prérogatives pour établir les faits avec certitude, ce qui témoigne de son office particulier en contentieux de pleine juridiction.
II. L’office du juge administratif face à l’incertitude probatoire
La décision commentée se distingue par son caractère pragmatique : face au doute, le juge ne tranche pas mais cherche à s’éclairer. Il exerce un contrôle approfondi sur la valeur des expertises présentées (A) et utilise son pouvoir d’instruction pour garantir une solution juste au fond (B).
A. Le contrôle approfondi de la valeur probante des expertises
La juridiction administrative, par cette décision, ne se contente pas d’enregistrer les conclusions des experts mandatés par l’administration. Elle se livre à un véritable examen critique de leur contenu, en les confrontant aux autres pièces du dossier médical. Concernant le genou gauche, le juge note que l’expertise administrative conclut à une stabilité de la mobilité articulaire, ignorant délibérément de nombreux documents produits par le requérant. Ces derniers, émanant de plusieurs chirurgiens, attestent pourtant d’une aggravation significative de l’arthrose et de l’apparition de nouvelles pathologies. Le juge relève ainsi l’existence de « doutes sérieux, que font naitre les pièces versées à l’instruction, quant à l’aggravation de l’infirmité et l’accroissement du déficit fonctionnel qui en découle ». Cette démarche montre que le juge du fond conserve sa pleine liberté d’appréciation et n’est nullement lié par un avis d’expert, qu’il peut écarter s’il l’estime insuffisamment motivé ou en contradiction avec d’autres éléments.
B. Le recours à l’expertise judiciaire comme garantie d’une bonne justice
La conséquence logique de ce constat d’incertitude est le recours à une mesure d’instruction avant de statuer sur le fond du droit. En ordonnant une expertise médicale judiciaire, la cour met en œuvre les dispositions de l’article R. 621-1 du code de justice administrative. Cette décision « avant dire droit » est une illustration de la plénitude de juridiction dont dispose le juge administratif en matière de pensions. Plutôt que d’annuler simplement pour vice de procédure ou d’évaluation, ce qui aurait renvoyé le requérant devant l’administration, le juge prend en main le litige pour le trancher définitivement. La mission très détaillée confiée à l’expert désigné vise à répondre à toutes les questions laissées en suspens, tant sur l’imputabilité des blessures que sur le taux d’invalidité actuel. Cette démarche constitue une garantie procédurale essentielle pour le justiciable, assurant que ses droits seront évalués sur la base d’une information complète et contradictoire.