La Cour administrative d’appel de Nantes a rendu, le 15 juillet 2025, une décision relative à la protection exceptionnelle des salariés investis de fonctions représentatives. Un facteur titulaire d’un mandat syndical a été licencié pour motif disciplinaire à la suite d’une suspicion de fraude aux remboursements de frais. L’employeur lui reprochait d’avoir produit des justificatifs de péage identiques à ceux d’un collègue lors de déplacements professionnels communs. L’inspectrice du travail a initialement refusé l’autorisation, mais le ministre du travail a annulé cette décision pour autoriser la rupture du contrat. Le tribunal administratif de Caen ayant rejeté sa demande en première instance, l’intéressé a interjeté appel devant la juridiction nantaise. La question posée est de savoir si la production de tickets identiques caractérise nécessairement une manœuvre frauduleuse justifiant un licenciement. La juridiction d’appel annule le jugement et la décision ministérielle en estimant que les faits ne sont pas matériellement établis.
I. La dénégation de la matérialité des faits de fraude allégués
A. L’exigence d’une preuve probante face aux dénégations du salarié
L’autorité administrative doit rechercher si les faits reprochés au salarié sont d’une gravité suffisante pour justifier son licenciement disciplinaire. La juridiction souligne que « les faits de fraude au détriment de l’employeur visant à obtenir le remboursement indu de frais de déplacement ne sont pas matériellement établis ». Le requérant a produit des pièces complémentaires démontrant l’engagement de dépenses individuelles distinctes pour certains des déplacements visés dans l’enquête. Ces éléments prouvent la réalité des frais exposés par la production de tickets mentionnant un paiement au moyen de ses cartes bancaires personnelles. L’employeur ne contredit pas sérieusement ces preuves en se bornant à soutenir qu’il n’est pas établi que les cartes appartiennent aux agents.
B. L’absence d’élément intentionnel dans la transmission des justificatifs
La Cour administrative d’appel relève que le salarié n’avait jamais bénéficié d’une formation à l’utilisation du logiciel dédié aux frais de remboursement. Les erreurs constatées dans les pièces justificatives pourraient ainsi résulter d’une simple confusion lors de la saisie informatique effectuée par un tiers. L’intéressé soutenait d’ailleurs qu’il n’existait pas de « volonté délibérée de fournir des justificatifs erronés » pour obtenir des remboursements indus. L’absence de covoiturage lors des déplacements litigieux est confirmée par des attestations et par la production de tickets de péage originaux. Les juges considèrent donc que la manœuvre concertée destinée à obtenir le remboursement de frais non exposés n’est pas démontrée par l’enquête.
II. La requalification de l’absence de justificatifs en simple négligence
A. Le refus de la qualification de manquement à la probité
Certaines demandes de remboursement demeuraient injustifiées car elles auraient été réglées en espèces sans que l’agent n’ait conservé les justificatifs nécessaires. La juridiction administrative estime que « le défaut de conservation des justificatifs des frais demeurant injustifiés peut être regardé comme une négligence critiquable ». Toutefois, ce manquement ne saurait être qualifié de faute d’une gravité suffisante ou de manquement à la probité constitutif d’un comportement fautif. La Cour prend en compte la pratique de la double validation de l’employeur qui pouvait induire le salarié en erreur sur ses obligations. Cette approche nuance la responsabilité de l’agent en déchargeant celui-ci d’une intention frauduleuse que les circonstances de l’espèce ne permettent pas d’établir.
B. Une protection renforcée face au contrôle juridictionnel de l’erreur manifeste
La décision confirme que le juge administratif exerce un contrôle plein sur la matérialité des faits invoqués par le ministre pour autoriser un licenciement. L’annulation du jugement attaqué entraîne l’annulation de l’autorisation de licenciement faute pour l’employeur d’apporter la preuve d’une fraude réelle. Cette solution renforce la sécurité juridique des représentants du personnel dont le licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives exercées. La juridiction d’appel rappelle ainsi que le doute sur la matérialité des griefs doit profiter au salarié protégé dans le cadre du contentieux disciplinaire. Elle enjoint enfin à l’entité employeuse de verser une somme au titre des frais de justice engagés par le requérant pour sa défense.