Cour d’appel administrative de Nantes, le 15 juillet 2025, n°24NT03488

Un arrêt rendu par la Cour administrative d’appel de Nantes le 15 juillet 2025 vient préciser les conditions d’appréciation de la maîtrise de la langue française pour les postulants à la naturalisation souffrant d’un handicap ou d’un état de santé déficient. En l’espèce, une ressortissante étrangère, née en 1955 et atteinte de plusieurs pathologies invalidantes, a sollicité l’acquisition de la nationalité française. Sa demande fut déclarée irrecevable par une décision préfectorale en date du 15 novembre 2019, au motif d’une connaissance insuffisante de la langue française. Cette décision fut confirmée par le ministre de l’intérieur le 8 octobre 2020, à la suite d’un recours administratif. La requérante a alors saisi le tribunal administratif de Nantes, qui a rejeté sa demande par un jugement du 7 mai 2024. C’est dans ce contexte que l’intéressée a interjeté appel de ce jugement, soutenant notamment que son état de santé et son âge la dispensaient de l’exigence linguistique et que la décision administrative était entachée d’une erreur manifeste d’appréciation. Il revenait donc à la Cour de déterminer si la dispense de production d’un diplôme de langue, accordée en raison de l’âge ou du handicap, exonère le postulant de l’obligation de justifier d’un niveau de français suffisant, et dans quelle mesure l’état de santé peut neutraliser un motif de refus fondé sur une maîtrise lacunaire de la langue. La Cour administrative d’appel rejette la requête. Elle juge que si la dispense prévue par les textes ne concerne que l’obligation de produire un titre attestant du niveau de langue et non l’exigence de connaissance linguistique elle-même, l’administration ne peut légalement fonder un refus sur une maîtrise insuffisante de la langue lorsque celle-ci résulte directement d’une maladie ou d’un handicap. Toutefois, en l’espèce, elle estime que la requérante n’apporte pas la preuve d’un tel lien de causalité.

La solution retenue par la Cour permet de clarifier la portée de la dispense de certification linguistique (I), tout en introduisant une nouvelle garantie pour le postulant dont l’état de santé constitue un obstacle à l’apprentissage (II).

I. La confirmation du maintien de l’exigence de maîtrise linguistique pour les postulants dispensés de certification

La Cour administrative d’appel, dans sa décision, s’attache d’abord à rappeler le cadre juridique strict de l’assimilation linguistique. Elle rejette une interprétation extensive de la dispense accordée à certains postulants (A) et valide en conséquence la méthode d’évaluation alternative prévue par les textes (B).

A. Le rejet d’une interprétation extensive de la dispense de production de titre

L’argumentation de la requérante reposait en partie sur une confusion entre l’obligation de justifier d’un niveau de langue et le moyen de preuve exigé à cet effet. Les dispositions de l’article 37-1 du décret du 30 décembre 1993 dispensent en effet les personnes âgées d’au moins soixante ans ou souffrant d’un handicap de produire un diplôme ou une attestation. La Cour rappelle cependant que cette dispense est de nature purement procédurale. Elle ne supprime pas l’exigence de fond posée par l’article 21-24 du code civil, qui impose à tout candidat à la naturalisation de justifier d’une « connaissance suffisante, selon sa condition, de la langue ». La Cour écarte donc logiquement le moyen de la requérante en relevant que le ministre ne s’est pas fondé sur l’absence de diplôme pour rejeter la demande, mais bien sur le niveau de langue jugé insuffisant lors de l’entretien d’assimilation. En cela, elle confirme que la dispense de production d’un titre ne saurait être interprétée comme une exonération de l’exigence d’assimilation linguistique elle-même. Cette position maintient une cohérence nécessaire entre les différentes dispositions, en distinguant la condition substantielle de l’assimilation de ses modalités de vérification.

B. La validation du mécanisme d’évaluation différenciée par l’entretien individuel

Conséquence directe de cette interprétation, la Cour valide le recours à l’entretien individuel comme modalité d’évaluation spécifique pour les postulants dispensés de certification. La requérante soulevait une rupture d’égalité, arguant que l’appréciation subjective d’un agent lors d’un entretien serait moins protectrice que la production objective d’un diplôme. La Cour écarte ce grief en considérant que cette différence de traitement est justifiée. Elle estime en effet que cette modalité d’appréciation est « en rapport direct avec l’objet du texte qui l’établit ». L’entretien permet précisément d’adapter l’évaluation à la situation particulière des personnes concernées par la dispense, conformément à l’esprit de la loi qui commande d’apprécier la connaissance de la langue « selon sa condition ». Loin de créer une rupture d’égalité, ce mécanisme constitue une mesure d’ajustement destinée à ne pas pénaliser des postulants qui, en raison de leur âge ou de leur état de santé, ne peuvent se soumettre aux épreuves standardisées de certification. La Cour entérine ainsi un système à deux vitesses, dont le but est d’assurer une évaluation équitable pour tous.

Si la Cour confirme ainsi la portée limitée de la dispense de certification, elle apporte un tempérament majeur à l’appréciation de l’administration en consacrant une exception fondée sur l’origine de l’insuffisance linguistique.

II. L’encadrement de l’appréciation de l’assimilation par la prise en compte de l’état de santé du postulant

L’apport principal de l’arrêt réside dans la reconnaissance d’un principe nouveau qui vient limiter le pouvoir d’appréciation de l’administration. La Cour consacre en effet une exception lorsque l’insuffisance linguistique est la conséquence directe d’un handicap ou d’une maladie (A), tout en soumettant sa mise en œuvre à des conditions de preuve rigoureuses (B).

A. La consécration d’une exception en cas de lien de causalité direct entre le handicap et l’insuffisance linguistique

La Cour opère une avancée notable en posant un principe qui ne ressort pas explicitement des textes. Elle affirme que « l’autorité administrative ne peut légalement déclarer irrecevable une demande de naturalisation en se fondant sur l’existence d’une maladie ou d’un handicap ni, par suite, sur l’insuffisante connaissance de la langue française lorsque celle-ci résulte directement d’une maladie ou d’un handicap ». Cette solution dépasse la simple confirmation des règles existantes pour créer une véritable immunité. Elle interdit à l’administration d’opposer à un postulant une difficulté d’assimilation dont la cause première serait un état pathologique ou un handicap. Ce faisant, le juge administratif empêche que la condition de santé ne devienne un obstacle indirect et insurmontable à l’acquisition de la nationalité française. Il s’agit là d’une protection substantielle qui déplace le débat du constat de l’insuffisance linguistique vers la recherche de son origine, introduisant une dimension humaine et équitable dans l’appréciation de l’assimilation.

B. L’application rigoureuse de l’exception subordonnée à une charge probatoire stricte

Après avoir posé ce principe protecteur, la Cour en précise immédiatement les limites pratiques en se montrant exigeante sur la charge de la preuve. Pour que l’exception puisse jouer, il ne suffit pas d’invoquer un état de santé déficient ; le postulant doit démontrer que son insuffisante maîtrise de la langue « trouverait son origine dans les pathologies dont [il] souffre ». En l’espèce, la Cour examine les pièces médicales produites et constate qu’elles font état de pathologies physiques telles que des lombalgies ou une gonarthrose. Or, elle juge que ces éléments ne permettent pas d’établir un lien de causalité direct et certain avec les difficultés linguistiques de la requérante. De même, un certificat médical attestant d’une impossibilité d’évaluation est écarté car trop tardif et général. Cette application stricte du principe a pour effet de cantonner l’exception à des situations où le lien entre la pathologie (par exemple, des troubles cognitifs, neurologiques ou sensoriels) et les difficultés d’apprentissage est médicalement établi. La portée de cette nouvelle garantie, bien que réelle, se trouve ainsi conditionnée par la capacité du requérant à fournir des preuves précises et circonstanciées.

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