Cour d’appel administrative de Nantes, le 15 septembre 2025, n°25NT00158

Par un arrêt en date du 15 septembre 2025, la Cour administrative d’appel de Nantes a été amenée à se prononcer sur la légalité d’une obligation de quitter le territoire français assortie d’une interdiction de retour, opposée à une ressortissante étrangère, mère d’un enfant né en France d’un père en situation régulière. Une ressortissante nigériane, entrée sur le territoire national en 2018, a vu ses demandes d’asile successivement rejetées par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides puis par la Cour nationale du droit d’asile. De sa relation avec un compatriote titulaire d’une carte de résident est né un enfant en 2021. Le préfet du Finistère a, par un arrêté du 19 avril 2024, enjoint à l’intéressée de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi et a prononcé une interdiction de retour d’une durée d’un an. La requérante a saisi le tribunal administratif de Rennes d’une demande d’annulation de cet arrêté, laquelle a été rejetée par un jugement du 3 juillet 2024. Elle a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant notamment que la décision préfectorale portait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale et méconnaissait l’intérêt supérieur de son enfant. Le problème de droit soumis à la cour consistait donc à déterminer si une mesure d’éloignement peut être légalement prononcée à l’encontre d’une mère d’un enfant résidant en France, lorsque les liens de cette dernière avec le territoire et le père de l’enfant sont jugés ténus. La Cour administrative d’appel de Nantes a rejeté la requête, estimant que, dans les circonstances de l’espèce, la décision préfectorale n’avait pas porté une atteinte excessive au droit au respect de la vie privée et familiale de la requérante.

La solution retenue par la cour illustre l’application rigoureuse du contrôle de proportionnalité exercé par le juge administratif en matière de police des étrangers (I). Cette décision confirme en conséquence la marge d’appréciation dont dispose l’administration pour évaluer la réalité des liens familiaux invoqués à l’appui d’une demande de séjour (II).

I. L’application rigoureuse du contrôle de proportionnalité au regard du droit à une vie privée et familiale

La cour procède à un examen méticuleux des éléments de fait pour apprécier la conventionalité de la mesure d’éloignement. Elle fonde son analyse sur une appréciation concrète des liens personnels et familiaux de l’intéressée en France (A), avant de faire prévaloir les impératifs de l’ordre public face à une intégration jugée insuffisante (B).

A. L’appréciation concrète des liens personnels et familiaux en France

Le juge administratif ne se contente pas de constater l’existence d’un lien de filiation pour conclure à une protection automatique contre l’éloignement. Il se livre à une analyse approfondie de l’intensité et de la stabilité des relations familiales. En l’espèce, la cour relève que la requérante est séparée du père de son enfant, lequel vit désormais en couple avec une autre personne. La contribution de ce dernier à l’entretien et à l’éducation de l’enfant est examinée avec une particulière attention. Le juge constate que la mère « ne justifie que de 5 versements de 300 euros entre les mois de septembre 2023 et 2024 et produits deux attestations du père de l’enfant se bornant à indiquer qu’il ne veut pas être séparé de son fils ». Cette formule révèle l’insuffisance des preuves apportées pour établir l’existence d’une vie familiale effective et stable. Le caractère sporadique des versements financiers et la nature déclarative des attestations ne suffisent pas à démontrer une implication continue et significative du père. Par cette approche factuelle, la cour signifie que la réalité d’une vie familiale ne saurait se déduire de la seule existence d’un lien biologique ou d’une contribution matérielle symbolique.

B. La prééminence de la protection de l’ordre public face à une intégration jugée insuffisante

Face à la faiblesse des liens familiaux établis, la cour met en balance la situation de la requérante avec le droit de l’État à maîtriser les flux migratoires. Plusieurs éléments sont retenus pour caractériser le défaut d’intégration de l’intéressée. La cour souligne ainsi son entrée relativement récente sur le territoire en 2018, le rejet définitif de ses demandes d’asile, et l’absence de toute autre attache familiale en France. À l’inverse, elle note que l’appelante « a vécu plus de 36 ans dans son pays d’origine, où elle a conservé des liens familiaux ». Cette mise en perspective conduit le juge à considérer que le centre des intérêts privés et familiaux de la requérante demeure dans son pays d’origine, nonobstant la naissance de son enfant en France. En conséquence, la mesure d’éloignement n’est pas jugée disproportionnée au regard des buts légitimes poursuivis par l’autorité préfectorale, conformément aux exigences de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

II. La confirmation du pouvoir d’appréciation de l’administration en matière de police des étrangers

En validant l’arrêté préfectoral, la cour réaffirme la place centrale de l’appréciation souveraine de l’administration, sous le contrôle du juge. Cette solution conduit à relativiser la portée de l’intérêt supérieur de l’enfant dans le cadre du contentieux de l’éloignement (A) et s’inscrit dans une ligne jurisprudentielle bien établie, limitant sa portée aux faits de l’espèce (B).

A. La portée limitée de l’intérêt supérieur de l’enfant

La requérante invoquait la méconnaissance des stipulations de l’article 3-1 de la convention internationale des droits de l’enfant. La cour écarte ce moyen « pour les mêmes motifs » que ceux développés dans son analyse au titre de l’article 8 de la convention européenne. Cette motivation, bien que succincte, indique que l’intérêt de l’enfant, bien qu’il doive être une considération primordiale, ne constitue pas un obstacle dirimant à l’éloignement d’un de ses parents en situation irrégulière. Le juge intègre l’intérêt de l’enfant dans le bilan global qu’il opère, mais il le subordonne à l’appréciation générale de la situation familiale. En l’absence de vie familiale stable et de liens effectifs entre les parents, l’intérêt de l’enfant ne suffit pas, à lui seul, à faire échec à la décision d’éloignement de sa mère. L’arrêt confirme ainsi que la présence d’un enfant sur le sol français ne confère pas un droit inconditionnel au séjour pour le parent étranger.

B. Une solution d’espèce à la portée jurisprudentielle restreinte

Cet arrêt ne constitue pas un revirement de jurisprudence mais plutôt une application orthodoxe de principes constants. La solution est entièrement déterminée par les circonstances factuelles propres au dossier. La précarité du séjour de la mère, le caractère ténu des liens avec le père et la faiblesse de son intégration globale sont les éléments déterminants de la décision. La portée de cet arrêt est donc essentiellement pédagogique. Il rappelle aux justiciables que l’invocation du droit au respect de la vie privée et familiale et de l’intérêt supérieur de l’enfant doit être étayée par des preuves concrètes et substantielles d’une intégration effective et d’une vie familiale réelle. La décision ne fixe pas un seuil précis à partir duquel une contribution paternelle serait jugée suffisante, mais elle signale que des actes isolés ou purement formels ne sauraient emporter la conviction du juge. Il s’agit donc d’une décision d’espèce, dont l’influence se limitera à des cas de figure similaires, sans modifier l’équilibre général du contrôle exercé par le juge administratif sur les mesures d’éloignement.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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