Cour d’appel administrative de Nantes, le 15 septembre 2025, n°25NT00837

Par un arrêt en date du 15 septembre 2025, la cour administrative d’appel se prononce sur la légalité d’une mesure d’éloignement prise à l’encontre d’un ressortissant étranger, père d’un enfant français. En l’espèce, un individu de nationalité albanaise a fait l’objet d’un arrêté du préfet du Finistère en date du 22 janvier 2025 lui faisant obligation de quitter le territoire français sans délai, fixant son pays de renvoi et lui interdisant le retour sur le territoire pour une durée de trois ans. L’intéressé avait noué une relation stable avec une ressortissante française, de laquelle est né un enfant le 7 octobre 2021. L’administration a fondé sa décision sur une menace à l’ordre public, l’étranger ayant été condamné pénalement en 2020, et sur une remise en cause de sa contribution effective à l’éducation de son enfant.

Saisi par le ressortissant étranger, le magistrat désigné du tribunal administratif de Rennes a, par un jugement du 20 février 2025, annulé l’arrêté préfectoral. Le préfet a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant que sa décision n’était pas contraire à l’article 3-1 de la convention relative aux droits de l’enfant et que l’intéressé représentait toujours une menace pour l’ordre public. Le problème de droit soumis à la cour était donc de déterminer si une mesure d’éloignement peut être légalement justifiée par des condamnations pénales anciennes et une procédure judiciaire en cours, alors que l’étranger concerné démontre l’effectivité et la stabilité de ses liens familiaux avec son enfant de nationalité française.

À cette question, la cour administrative d’appel répond par la négative. Elle confirme l’annulation de l’arrêté en considérant que la décision du préfet porte une atteinte excessive à l’intérêt supérieur de l’enfant et que la menace à l’ordre public n’est pas actuellement caractérisée, notamment en raison de l’ancienneté des faits reprochés et du respect dû à la présomption d’innocence. La cour opère ainsi un contrôle de proportionnalité approfondi, privilégiant la stabilité de la vie familiale de l’enfant (I) face à une notion de l’ordre public strictement appréciée (II).

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I. La consécration de l’intérêt supérieur de l’enfant par un contrôle concret de la vie familiale

La cour administrative d’appel, pour confirmer l’annulation de la mesure d’éloignement, s’attache à vérifier de manière approfondie la réalité des liens unissant le requérant à son enfant (A), ce qui la conduit à faire prévaloir l’intérêt de ce dernier sur les motifs invoqués par l’administration (B).

A. L’appréciation factuelle de l’effectivité des liens familiaux

Le juge administratif ne se contente pas des affirmations du préfet qui contestait la contribution du père à l’entretien et à l’éducation de son fils. Il procède à une analyse détaillée des pièces versées au dossier pour objectiver la situation familiale. La cour relève ainsi l’existence d’une « attestation très circonstanciée de cette dernière [la mère de l’enfant] ainsi que les justificatifs de domicile [qui] démontrent l’ancienneté et la stabilité de leur relation ». Cette approche factuelle est corroborée par des témoignages extérieurs, notamment celui de « l’enseignante de son fils (…) qui souligne son implication dans l’éducation de son fils, et confirme qu’il vient régulièrement le chercher à l’école ».

En s’appuyant sur un faisceau d’indices concordants, la cour met en évidence une vie familiale effective, contredisant l’analyse de l’autorité préfectorale. Cette méthode d’examen in concreto permet de donner sa pleine mesure au droit au respect de la vie privée et familiale. Elle démontre que l’implication parentale ne se présume pas, mais doit faire l’objet d’une recherche active de la part du juge lorsque celle-ci est contestée.

B. La primauté de l’intérêt de l’enfant sur la mesure d’éloignement

Une fois la réalité de la vie familiale établie, la cour en tire les conséquences au regard de la convention relative aux droits de l’enfant. Elle juge que les décisions préfectorales « auront pour effet de séparer M. C… de son fils » et, par conséquent, « porteraient une atteinte excessive à l’intérêt de son enfant au sens des stipulations de l’article 3-1 de la convention relative aux droits de l’enfant ». Cette formulation révèle l’application d’un rigoureux contrôle de proportionnalité.

L’ingérence dans la vie familiale que constitue la mesure d’éloignement est jugée disproportionnée par rapport aux buts poursuivis par la police des étrangers. L’intérêt supérieur de l’enfant, qui doit être une considération primordiale dans toutes les décisions le concernant, agit ici comme un rempart contre une application automatique de la loi. La cour rappelle ainsi que la présence d’un enfant français ne confère pas un droit absolu au séjour, mais impose à l’administration, sous le contrôle du juge, de peser avec une attention particulière les conséquences de sa décision sur la situation de l’enfant.

II. Une conception restrictive de la menace à l’ordre public

La cour administrative d’appel ne s’arrête pas à l’analyse de la vie familiale et répond également au second argument du préfet. Elle adopte une lecture exigeante de la notion de menace à l’ordre public, en neutralisant les condamnations anciennes (A) et en appliquant scrupuleusement la présomption d’innocence (B).

A. La nécessaire actualité de la menace à l’ordre public

Le préfet invoquait des condamnations pénales prononcées en 2020 pour justifier du caractère dangereux de l’individu. La cour écarte cet argument en soulignant « l’ancienneté des condamnations pénales prononcées à son encontre en 2020, soit avant la naissance de son fils ». Ce faisant, elle réaffirme une jurisprudence constante selon laquelle la menace à l’ordre public doit être actuelle pour fonder légalement une mesure de police administrative.

Le comportement passé de l’étranger ne saurait, à lui seul, justifier une mesure d’éloignement. Le juge exige que l’administration démontre que le risque de trouble persiste à la date de sa décision. En l’absence d’éléments nouveaux et en présence de facteurs d’intégration probants, comme la vie familiale de l’intéressé, les faits anciens perdent de leur pertinence pour caractériser une menace présente pour la société.

B. Le respect intangible de la présomption d’innocence

Plus notable encore est la position de la cour face à la mise en examen de l’intéressé pour des faits de violence sur son enfant. Alors que l’administration y voyait une preuve de sa dangerosité, le juge rappelle avec fermeté que « la procédure judiciaire est toujours en cours et l’intéressé n’a, à ce jour, pas été reconnu coupable des faits qui lui sont reprochés ». Le juge administratif refuse ainsi de tirer des conséquences d’une simple suspicion, même dans un contexte aussi sensible.

Cette position est renforcée par d’autres éléments factuels, comme la décision du juge des enfants d’accorder un droit de visite, ou l’attestation de la mère sur le bon comportement de son compagnon. La cour conclut donc que, en l’état, « le préfet n’est pas fondé à soutenir qu’il présenterait un trouble actuel à l’ordre public ». L’arrêt illustre ainsi la nécessaire séparation des pouvoirs et l’interdiction pour l’autorité administrative de préjuger de la culpabilité d’un individu, réaffirmant la prééminence de la présomption d’innocence sur les impératifs de la police des étrangers.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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