Cour d’appel administrative de Nantes, le 16 mai 2025, n°23NT00941

Par un arrêt du 16 mai 2025, la cour administrative d’appel de Nantes s’est prononcée sur l’étendue de la réparation due à un agent public victime de plusieurs accidents de service, en présence d’un état pathologique antérieur. En l’espèce, une aide-soignante employée par un centre hospitalier universitaire depuis l’an 2000 a subi successivement deux accidents du travail reconnus imputables au service. Le premier, survenu le 2 septembre 2013, a provoqué une lésion à son épaule droite lors de la manipulation d’un patient. Le second, en date du 21 janvier 2016, a consisté en une chute entraînant une tendinite, compliquée par une rechute le 2 janvier 2018. L’agent a sollicité auprès de son employeur l’indemnisation intégrale des préjudices résultant de ces accidents. Le centre hospitalier a reconnu le principe de sa responsabilité mais a contesté le montant de l’indemnisation réclamée. Saisi du litige, le tribunal administratif de Nantes a condamné l’établissement public à verser une indemnité de 29 000 euros par un jugement du 1er février 2023. Jugeant cette somme insuffisante, l’aide-soignante a interjeté appel. Par un arrêt avant dire droit du 12 juillet 2024, la cour administrative d’appel a ordonné une expertise médicale afin de déterminer avec précision la part des préjudices imputable aux accidents de service et celle relevant d’un éventuel état antérieur. La question de droit soumise à la cour était donc de savoir dans quelle mesure l’existence d’un état pathologique antérieur chez la victime est susceptible d’affecter son droit à réparation et, le cas échéant, selon quelles modalités cet état doit être pris en compte dans l’évaluation des préjudices indemnisables. La cour administrative d’appel de Nantes répond à cette question en confirmant que l’indemnisation ne peut couvrir que les conséquences directes des faits dommageables imputables à l’administration. Elle valide ainsi l’application d’un abattement sur l’ensemble des postes de préjudice pour tenir compte de la contribution de l’état antérieur de la victime à la réalisation du dommage final. Se fondant sur le rapport d’expertise, la juridiction d’appel procède à une réévaluation complète des préjudices et porte l’indemnité totale à 50 250 euros, réformant ainsi le jugement de première instance.

La décision de la cour illustre la méthode du juge administratif face à un dommage corporel complexe, en articulant rigoureusement la détermination de l’imputabilité du préjudice (I) et l’évaluation souveraine des différents postes de réparation (II).

I. La consécration d’une imputabilité partielle du dommage en raison de l’état antérieur

La cour administrative d’appel établit un partage de responsabilité fondé sur l’influence de l’état pathologique de la victime. Cette approche repose sur la reconnaissance du rôle causal de cet état antérieur (A), dont l’appréciation est laissée à l’office du juge (B).

A. La prise en compte d’un facteur de prédisposition pathologique

La juridiction d’appel entérine la position de l’expert judiciaire, qui avait identifié plusieurs pathologies préexistantes chez l’agent. Le rapport relevait une « tendinopathie calcifiante tendineuse multisite », une « morphologie agressive de l’acromion de l’épaule droite » et une « obésité sévère ». L’expert insistait sur le fait que cette dernière constitue un des « facteurs de risque favorisant les tendinopathies et les surcharges des articulations ». La cour en déduit logiquement que ces antécédents ont contribué à la survenance et à l’aggravation des lésions.

En conséquence, elle fait sienne la proposition de l’expert d’appliquer un abattement proportionnel. L’arrêt énonce qu’« il y a lieu de tenir compte de ces antécédents comme contributifs à hauteur de 25 % des préjudices de Mme B…, ainsi que le propose l’expert ». Ce faisant, la cour réaffirme un principe constant du droit de la responsabilité administrative : le débiteur de l’indemnité n’est tenu de réparer que les conséquences directes et certaines de la faute ou du risque qu’il a créé. La part du dommage qui aurait existé indépendamment du fait générateur imputable à l’administration reste à la charge de la victime.

B. L’appréciation souveraine du juge sur la preuve de l’état antérieur

L’agent contestait l’analyse de l’expert, notamment en ce qui concerne son état de surpoids aux dates des accidents. Elle produisait à cette fin un certificat de son médecin traitant ainsi que des photographies. Toutefois, la cour écarte ces éléments de preuve, considérant qu’ils « ne permettent pas de remettre en cause l’appréciation portée sur sa situation par l’expert alors que celui-ci a eu accès à des documents médicaux la concernant, datés de 2013 et 2016 ».

Cette motivation souligne la prépondérance accordée au rapport d’expertise judiciaire, dont la force probante est particulièrement élevée. Le juge administratif, bien que non lié par les conclusions de l’expert, ne s’en écarte que s’il dispose d’éléments suffisamment probants pour remettre en cause une analyse technique solidement étayée. La décision illustre que la simple production de pièces contradictoires est insuffisante face à une expertise fondée sur l’ensemble du dossier médical de l’intéressée. Le juge conserve ainsi son office d’arbitre, mais il exerce son appréciation souveraine à la lumière des éléments techniques les plus fiables qui lui sont soumis.

II. La ventilation de l’indemnisation consécutive à l’imputabilité partielle

Une fois le principe de l’abattement pour état antérieur posé, la cour administrative d’appel procède à une évaluation détaillée des différents préjudices. Cette démarche se caractérise par une application systématique de la réduction de 25 % (A) et par une appréciation distincte de chaque préjudice personnel (B).

A. L’application méthodique de l’abattement aux préjudices patrimoniaux et permanents

L’arrêt procède à une liquidation rigoureuse des préjudices en appliquant le taux de réduction de 25 % à chaque poste. Concernant les déficits fonctionnels temporaires, la cour distingue les différentes périodes d’incapacité et les classes de gêne subies après chaque accident, avant de consolider le montant global et d’y appliquer l’abattement pour parvenir à des indemnités de 2 100 et 1 100 euros.

De même, pour les déficits fonctionnels permanents, évalués par l’expert à 20 % pour l’épaule et 10 % pour la hanche, la cour alloue respectivement 23 400 et 11 700 euros. Ces sommes correspondent à une indemnisation calculée sur la base des préjudices totaux, puis réduite pour tenir compte de l’état antérieur. Cette méthode, appliquée également aux souffrances endurées, cotées à 3 et 2 sur 7, témoigne de la volonté du juge de traduire précisément en termes financiers le partage de causalité préalablement établi. L’indemnisation finale ne répare que la part du dommage strictement imputable aux accidents de service.

B. L’évaluation circonstanciée des préjudices d’agrément et sexuel

S’agissant des préjudices extra-patrimoniaux plus personnels, la cour se livre à une appréciation plus fine des justifications apportées par la requérante. Pour le préjudice d’agrément, elle opère une distinction significative. Elle rejette la demande d’indemnisation pour la perte d’activités sportives générales comme la course à pied ou le ski, au motif que l’agent « ne démontre pas qu’elle exerçait ces activités avec une intensité particulière ». En revanche, la cour reconnaît le préjudice lié à l’impossibilité de pratiquer la voile, car la victime « évoque de manière plus précise et étayée une pratique régulière du nautisme ». Cette motivation rappelle l’exigence d’une preuve circonstanciée pour caractériser un préjudice d’agrément spécifique.

Concernant le préjudice sexuel, l’arrêt note que l’expert a simplement enregistré les doléances de l’intéressée, qui « allègue des troubles de la libido et des douleurs positionnelles ». Malgré la faible caractérisation technique, la cour alloue une indemnité de 1 000 euros, tenant compte de l’âge de la victime. Cette approche pragmatique montre la volonté du juge de reconnaître la réalité de toutes les dimensions du préjudice corporel, même en l’absence de constatations médicales objectives détaillées.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture