Cour d’appel administrative de Nantes, le 16 septembre 2025, n°23NT00554

Par un arrêt en date du 16 septembre 2025, la cour administrative d’appel de Nantes s’est prononcée sur les conditions de révision d’une pension militaire d’invalidité pour une infirmité aggravée. En l’espèce, un militaire à la retraite, qui avait servi dans l’armée de terre de 1965 à 1987, percevait une pension pour plusieurs infirmités, dont des « séquelles de contusion vertébrale » consécutives à des sauts en parachute. Cette dernière infirmité avait cessé d’être indemnisée en 1990, son taux étant devenu inférieur au seuil requis de 10 %. En 2016, l’ancien militaire a sollicité la révision de sa pension, invoquant une aggravation de cette pathologie, se manifestant par des lombalgies aiguës et chroniques. Cette demande fut rejetée par une décision ministérielle du 11 juillet 2018.

Saisi du litige, le tribunal administratif de Nantes a rejeté le recours de l’intéressé par un jugement du 17 janvier 2023. Le militaire a alors interjeté appel. Dans un premier temps, par un arrêt avant dire droit du 23 avril 2024, la cour administrative d’appel de Nantes a annulé la décision ministérielle de 2018 au motif que le requérant avait été privé d’une garantie procédurale lors d’une expertise. Estimant ne pas disposer des éléments suffisants pour statuer au fond, la cour a ordonné une nouvelle expertise afin d’établir la part de l’infirmité imputable au service et celle relevant d’un état pathologique antérieur. C’est après le dépôt du rapport de cet expert que la cour a rendu la présente décision sur le fond du droit à pension. Il revenait ainsi aux juges d’appel de déterminer si l’aggravation des lombalgies de l’ancien militaire pouvait être imputée à ses activités de service, justifiant ainsi une révision de sa pension, ou si elle procédait de l’évolution autonome d’une pathologie préexistante.

À cette question, la cour administrative d’appel de Nantes répond par la négative. En se fondant exclusivement sur les conclusions du rapport d’expertise, elle juge que les symptômes dont souffre le requérant sont intégralement liés à l’évolution de son état antérieur et ne présentent aucun lien avec ses fonctions militaires, notamment la pratique du parachutisme. Par conséquent, elle estime que la ministre des armées n’a pas commis d’erreur d’appréciation en rejetant la demande de révision et rejette la requête de l’ancien militaire tendant à l’octroi d’un taux d’invalidité de 15 % pour cette infirmité.

La solution retenue par la cour administrative d’appel repose entièrement sur l’appréciation des données médicales fournies par l’expertise qu’elle a elle-même ordonnée, illustrant le rôle déterminant de cette mesure d’instruction dans le contentieux des pensions militaires (I). Ce faisant, elle applique avec rigueur la distinction fondamentale entre l’aggravation d’une infirmité par le fait du service et l’évolution naturelle d’un état pathologique antérieur, confirmant les conditions strictes de l’ouverture du droit à révision (II).

***

**I. Le rôle déterminant de l’expertise médicale dans l’appréciation de l’imputabilité au service**

La cour fonde sa décision sur les conclusions claires et détaillées de l’expert, entérinant une approche scientifique pour déterminer le lien de causalité (A), ce qui la conduit logiquement à écarter l’imputabilité de l’aggravation au service (B).

**A. L’assimilation par le juge des conclusions expertales**

Bien que le juge administratif ne soit jamais lié par les conclusions d’un rapport d’expertise, il dispose en la matière d’un pouvoir souverain d’appréciation. En l’espèce, la cour fait siennes les conclusions de l’expert, estimant qu’« il y a lieu d’adopter » ses constatations. Cette adhésion n’est pas une simple commodité ; elle est justifiée par la qualité et la précision du rapport. L’expert a en effet pris soin de distinguer l’état antérieur de l’intéressé, à savoir une « attitude scoliotique, les séquelles de maladie de Scheuermann ainsi que le spondylolisthésis de L5 sur S1 par lyse isthmique, découverts sur les radiographies de 1987 », de l’infirmité dont la révision est demandée.

L’arrêt souligne que la démarche de l’expert s’appuie sur des « données concordantes de la littérature médicale », ce qui confère à son avis une objectivité et une force probante particulières. En se référant à une étude de suivi sur trente ans, l’expert a pu établir qu’il n’existait pas de « différences significatives dans le développement de lésions dégénératives lombaires entre les parachutistes et les non-parachutistes ». Ce faisant, il ne s’est pas contenté d’examiner le cas individuel du requérant mais l’a replacé dans un contexte scientifique plus large, renforçant la crédibilité de son analyse. C’est cette rigueur méthodologique qui a convaincu la cour et justifié l’adoption pure et simple de ses conclusions.

**B. L’exclusion factuelle du lien avec le service**

La conséquence directe de cette analyse est la réfutation de l’argument principal du requérant, qui liait la dégradation de son état aux traumatismes subis lors des sauts en parachute. L’expert est catégorique, indiquant que « le parachutisme n’apparait pas être en cause dans la survenue d’une dégénérescence discale intervertébrale, lombaire, ni comme cause de spondylolyse ou de spondylolisthésis ». Cette affirmation vient directement contredire la présomption de fait sur laquelle reposait la demande du militaire.

Plus encore, l’expert conclut sans équivoque que « les symptômes, résultant de sa pathologie, n’ont pas été aggravés par ses fonctions militaires ». La cour reprend à son compte cette conclusion définitive. En l’absence de tout autre élément au dossier susceptible de contredire ce rapport circonstancié, le lien de causalité entre le service et l’aggravation de l’infirmité est rompu. La décision de la ministre des armées, qui avait initialement rejeté la demande, se trouve ainsi validée a posteriori, nonobstant l’irrégularité procédurale qui avait entaché sa naissance. La cour, purgeant le vice de procédure par une nouvelle instruction, aboutit à la même conclusion sur le fond.

Cette approche, centrée sur la preuve matérielle et scientifique, vient renforcer l’application des conditions légales du droit à pension, en opérant une distinction stricte entre les affections liées au service et celles qui n’en relèvent pas.

**II. Les conditions réaffirmées de l’ouverture du droit à révision de la pension**

La décision de la cour administrative d’appel de Nantes rappelle implicitement la distinction essentielle entre l’aggravation imputable au service et l’évolution autonome d’un état antérieur (A), ce qui conduit inévitablement au rejet des prétentions du requérant faute de preuve (B).

**A. La distinction entre l’aggravation de l’infirmité et l’évolution de l’état antérieur**

Le code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre ouvre droit à pension non seulement pour les infirmités résultant du service, mais aussi pour « l’aggravation par le fait ou à l’occasion du service d’infirmités étrangères au service ». Toute la question en l’espèce était de savoir si l’évolution de l’état de santé du requérant relevait de cette seconde hypothèse. Or, le rapport d’expertise, validé par la cour, établit que l’origine des symptômes est « intégralement en lien avec l’évolution de son état antérieur (spondylolisthésis de grade 1 par lyse isthmique bilatérale) ».

L’arrêt met ainsi en lumière une nuance fondamentale : toute dégradation de l’état de santé d’un militaire, même si elle se manifeste durant ou après sa carrière, n’est pas nécessairement une aggravation « par le fait ou à l’occasion du service ». Pour être indemnisable, l’aggravation doit avoir été directement influencée, accélérée ou amplifiée par les contraintes spécifiques du service militaire. Dans le cas présent, l’expertise démontre que l’évolution de la pathologie aurait été la même avec ou sans les activités de parachutisme. La cour se conforme ainsi à une jurisprudence constante qui exige un lien direct et certain entre le service et l’aggravation constatée.

**B. La charge de la preuve pesant sur le demandeur**

Si la décision est motivée par le contenu du rapport d’expertise, elle illustre également les règles relatives à la charge de la preuve. Bien que l’administration doive instruire la demande et que le juge puisse ordonner toute mesure d’instruction utile, il appartient in fine au demandeur d’apporter les éléments de nature à établir son droit. En l’espèce, le requérant, malgré sa conviction sincère, n’a pu fournir d’élément médical probant venant contredire les conclusions de l’expert désigné par la justice. La cour note qu’« aucun autre élément du dossier ne vient contredire ces conclusions récentes ».

L’annulation de la décision initiale pour vice de procédure lui avait offert une seconde chance de faire valoir ses arguments dans le cadre d’une instruction renouvelée et impartiale. Cependant, cette instruction n’a fait que confirmer l’absence de lien avec le service. La décision finale est donc une décision d’espèce, fortement conditionnée par les faits et les résultats de l’expertise. Elle rappelle que le droit à pension, et à sa révision, est subordonné à la démonstration d’un lien de causalité que la seule affirmation du militaire, aussi légitime soit-elle, ne suffit pas à établir. La rigueur de l’expertise médicale s’est imposée comme le critère décisif, fermant la voie à l’indemnisation de l’aggravation.

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Hassan KOHEN
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