Cour d’appel administrative de Nantes, le 17 janvier 2025, n°23NT02534

Par un arrêt en date du 17 janvier 2025, la cour administrative d’appel de Nantes se prononce sur le rôle du juge administratif confronté à une incertitude probatoire dans une affaire de responsabilité hospitalière. En l’espèce, un couple a été confronté au décès in utero de son enfant à naître, alors que la grossesse était arrivée à terme et suivie par un centre hospitalier. Estimant que ce drame résultait d’une prise en charge fautive, les parents ont cherché à obtenir réparation de leur préjudice d’affection auprès de l’établissement de santé. Suite au rejet de leur demande indemnitaire préalable, ils ont saisi le tribunal administratif de Rennes, lequel a également rejeté leur requête par un jugement du 23 juin 2023, estimant qu’aucune faute n’était établie. Les requérants ont alors interjeté appel de ce jugement, soutenant que le suivi médical n’avait pas été conforme aux règles de l’art et que le tribunal avait commis une erreur d’appréciation. Ils demandaient ainsi l’annulation du jugement et la condamnation du centre hospitalier. Face à des éléments factuels et médicaux jugés lacunaires et contradictoires, la question de droit qui se posait à la juridiction d’appel était de savoir si le juge, pour former sa conviction sur l’existence d’une faute et d’un lien de causalité, pouvait user de ses pouvoirs d’instruction pour ordonner une expertise médicale, plutôt que de statuer au vu des seules pièces versées au dossier. À cette question, la cour répond par l’affirmative en décidant, par un arrêt avant dire droit, de surseoir à statuer sur le fond du litige et d’ordonner une expertise médicale. Elle estime en effet que « l’état du dossier ne permet pas de statuer en connaissance de cause sur une éventuelle faute commise par le centre hospitalier ».

Cette décision illustre le rôle actif du juge administratif dans la recherche de la vérité matérielle, en particulier lorsque le litige présente une forte technicité. Face à une incertitude probatoire, le recours à une mesure d’instruction apparaît comme un préalable nécessaire à la manifestation de la justice (I). Cette approche pragmatique, si elle se justifie par la complexité de l’affaire, a également pour portée de rééquilibrer le rapport entre le patient et l’établissement de santé dans le contentieux de la responsabilité hospitalière (II).

I. Le recours à l’expertise comme remède à l’incertitude probatoire

La cour administrative d’appel, plutôt que de confirmer ou d’infirmer la première analyse des faits, choisit de suspendre son jugement en raison d’une situation factuelle et médicale qu’elle juge trop complexe (A). Ce faisant, elle fait pleinement usage de son pouvoir d’instruction, réaffirmant la nature inquisitoire de la procédure administrative contentieuse (B).

A. La constatation d’une situation factuelle et médicale complexe

Le juge d’appel relève plusieurs éléments qui rendent difficile une juste appréciation de l’existence d’une faute de l’établissement. Il note tout d’abord une « différence d’évaluation de près de quinze jours » concernant la date du terme de la grossesse, sans que cette divergence ne soit expliquée par le personnel médical. Ensuite, si les enregistrements du rythme cardiaque fœtal des 19 et 20 février 2018 n’ont pas révélé d’anomalies caractérisées, des « baisses des mouvements actifs fœtaux » ont tout de même été constatées. Enfin, l’absence de cause déterminée du décès lors de l’examen post-mortem, conjuguée au fait que le centre hospitalier « n’a pas communiqué certains documents médicaux », achève de créer une zone d’ombre. C’est la conjonction de ces doutes qui fonde la conviction du juge qu’il ne peut trancher le litige en l’état. La solution n’est donc pas de rejeter la requête pour défaut de preuve, mais de constater l’impossibilité de statuer.

B. L’exercice du pouvoir d’instruction du juge d’appel

Face à cette carence probatoire, la cour décide d’ordonner une mesure d’expertise. Par cet arrêt « avant dire droit », elle met en œuvre les prérogatives qui lui sont conférées par le code de justice administrative, lesquelles permettent au juge de prescrire toute mesure d’instruction utile à la résolution du litige. Cette démarche proactive illustre le caractère inquisitoire de la procédure administrative, où le juge n’est pas un arbitre passif mais un acteur de la manifestation de la vérité. En confiant à un expert la mission d’analyser la conformité des soins aux « données acquises de la science médicale » et de rechercher les causes du décès, la cour ne se substitue pas aux parties mais s’assure d’obtenir les éclaircissements techniques indispensables pour juger en pleine connaissance de la responsabilité éventuelle du service public hospitalier.

II. La portée de la solution d’avant dire droit en contentieux de la responsabilité hospitalière

Cette décision, bien que principalement dictée par les circonstances de l’espèce, n’en est pas moins révélatrice de la volonté du juge de garantir une bonne administration de la justice (A). Elle participe également, plus largement, au renforcement de la protection des droits du patient, souvent en position de faiblesse probatoire face à l’institution médicale (B).

A. Une décision d’espèce au service d’une bonne administration de la justice

L’arrêt commenté constitue une décision d’espèce, sa solution étant intimement liée à l’insuffisance des éléments du dossier. Il ne s’agit pas d’un revirement de jurisprudence ni de la formulation d’un principe nouveau. Néanmoins, en refusant de statuer sur la base d’un dossier incomplet, le juge d’appel adopte une position pragmatique et équitable. Il évite ainsi le double écueil qui consisterait soit à rejeter la demande des requérants au motif qu’ils ne parviennent pas à prouver la faute, soit à engager la responsabilité de l’hôpital sur la base de simples présomptions. L’expertise apparaît ici comme l’instrument d’une justice éclairée, cherchant à fonder sa décision sur des certitudes techniques plutôt que sur des appréciations parcellaires, garantissant par là même la qualité et la légitimité du jugement à venir.

B. Le renforcement de la protection des droits du patient créancier d’une obligation de moyens

En matière de responsabilité médicale, le patient doit prouver la faute de l’établissement, lequel n’est tenu qu’à une obligation de moyens. Cette preuve est souvent difficile à rapporter en raison de la technicité du domaine et de l’asymétrie d’information entre le malade et le corps médical. En ordonnant d’office une expertise alors que la demande avait été rejetée en première instance, la cour vient pallier ce déséquilibre. Elle permet aux requérants d’accéder à une analyse technique indépendante que leurs propres moyens ne leur auraient peut-être pas permis d’obtenir. Cette démarche tend à assurer une plus grande égalité des armes et confère une portée concrète au droit à la preuve du patient. La décision, bien que procédurale, revêt ainsi une dimension protectrice pour l’usager du service public de santé, en lui donnant les moyens de faire valoir ses droits de manière plus effective.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture