En l’espèce, un arrêt rendu par une cour administrative d’appel le 17 janvier 2025 vient préciser les conditions dans lesquelles l’administration peut prononcer une mesure d’éloignement à l’encontre d’un ressortissant étranger, parent d’enfants français, dont la présence sur le territoire est remise en cause par son comportement pénal et par des incertitudes procédurales. Un individu, entré en France en 2005 et titulaire d’une carte de résident valable jusqu’en mars 2021, a formé une demande de renouvellement de ce titre en juin 2021, alors qu’il était incarcéré à la suite d’une condamnation pour des faits de nature criminelle. L’administration, après lui avoir réclamé des pièces complémentaires visant à établir la réalité de sa contribution à l’entretien et à l’éducation de ses deux enfants de nationalité française, nées d’une précédente union avec une ressortissante française, a finalement émis à son encontre un arrêté l’obligeant à quitter le territoire français en janvier 2024. Le tribunal administratif de Caen, saisi par l’intéressé, a rejeté sa demande d’annulation de cette décision par un jugement du 6 mai 2024. Le requérant a alors interjeté appel de ce jugement, soulevant d’une part des vices de procédure, notamment l’absence de saisine de la commission du titre de séjour, et d’autre part une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale. Le problème de droit soumis aux juges d’appel consistait à déterminer si une obligation de quitter le territoire français pouvait être légalement prise à l’encontre d’un parent d’enfants français ayant sollicité le renouvellement de son titre de séjour après son expiration, et dont le dossier de demande était incomplet, au regard tant des garanties procédurales applicables que du respect de sa vie familiale. La cour administrative d’appel rejette la requête, considérant que la demande de titre, tardive et incomplète, ne pouvait ouvrir droit aux garanties invoquées et que la mesure d’éloignement n’était pas disproportionnée compte tenu du comportement de l’intéressé.
L’analyse de la cour se fonde sur une application rigoureuse des règles de procédure, qui a pour effet de priver le requérant des protections qu’il invoquait (I), pour ensuite faire prévaloir les impératifs d’ordre public sur la protection de la vie familiale dans un contexte de liens parentaux jugés insuffisamment établis (II).
I. La neutralisation des garanties procédurales par une application rigoureuse des conditions de la demande
La cour écarte les moyens tirés de l’irrégularité de la procédure en s’appuyant sur une qualification stricte de la demande de titre de séjour, la considérant d’abord comme une première demande en raison de sa tardiveté (A), puis comme une demande incomplète justifiant un refus d’enregistrement et non un refus au fond (B).
A. La qualification de la demande tardive en première demande de titre
Le requérant soutenait que l’administration ne pouvait lui opposer la menace à l’ordre public, cet argument n’étant pas applicable dans le cadre d’un renouvellement de carte de résident. La cour rejette ce moyen en se fondant sur la chronologie des faits. Elle relève en effet que l’intéressé « n’ayant présenté sa demande de renouvellement de titre de séjour qu’en juin 2021, soit après l’expiration de sa carte de résident le 25 mars 2021, sa demande devait être regardée comme une première demande ». Cette requalification n’est pas anodine, car elle modifie substantiellement le régime juridique applicable. Le renouvellement d’une carte de résident est en principe de plein droit, ce qui limite les motifs de refus que l’administration peut légalement invoquer. En traitant la sollicitation comme une première demande, le juge restaure la plénitude du pouvoir d’appréciation de l’administration, qui peut alors examiner l’ensemble des conditions de délivrance du titre, y compris l’absence de menace pour l’ordre public. Cette solution, bien que sévère, est une application constante de la jurisprudence qui impose aux étrangers une obligation de diligence dans la gestion de leurs titres de séjour.
B. Le refus d’enregistrement d’une demande incomplète excluant l’avis de la commission du titre de séjour
Le moyen principal du requérant portait sur le vice de procédure résultant de l’absence de saisine pour avis de la commission du titre de séjour. La cour opère ici une distinction subtile mais décisive. Elle constate que l’administration avait réclamé des pièces justificatives essentielles, notamment celles prouvant la contribution à l’entretien des enfants, et que ces pièces n’ont pas été fournies. Par conséquent, elle juge que « la demande de titre de séjour de M. A… n’étant pas complète, le silence gardé par l’administration doit être regardé comme un refus implicite d’enregistrement de sa demande et non comme une décision implicite de rejet de celle-ci ». Cette analyse a pour conséquence directe de rendre inopérant le moyen tiré du défaut de consultation de la commission, puisque cette dernière n’est saisie qu’en cas de projet de refus au fond d’une demande dûment enregistrée. En considérant que le dossier n’a jamais atteint le stade de l’instruction au fond, la cour valide la procédure suivie par l’administration. À titre surabondant, elle ajoute que même si la demande avait été complète, la commission n’aurait pas eu à être saisie car l’étranger ne remplissait pas les conditions de fond, ce qui démontre la volonté du juge de clore tout débat sur ce point.
II. La primauté de l’ordre public sur un droit à la vie familiale insuffisamment démontré
Au-delà des aspects procéduraux, la cour procède à une balance des intérêts en présence. Elle conclut que la mesure d’éloignement est justifiée, en s’appuyant d’une part sur une appréciation restrictive des liens familiaux allégués (A) et d’autre part sur la gravité des faits pénalement sanctionnés (B).
A. L’appréciation restrictive de l’effectivité des liens parentaux
Le requérant invoquait sa qualité de père de deux enfants françaises pour faire valoir une atteinte à sa vie privée et familiale. La cour examine avec attention la réalité des liens unissant le père à ses filles. Elle constate qu’il « ne démontre pas, ainsi qu’il a été dit ci-dessus, pourvoir effectivement à l’entretien et à l’éducation de ses enfants (…) ni même entretenir une réelle relation avec eux ». Le juge relève que les quelques éléments produits, tels que trois virements bancaires de faible montant ou un unique billet de train, sont insuffisants pour attester de l’intensité et de la continuité des liens parentaux. Cette exigence probatoire, classique en contentieux des étrangers, montre que la seule existence d’un lien de filiation ne suffit pas à constituer une vie familiale protégée par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. La protection n’est accordée qu’à une relation effective, tangible et constante, dont la preuve incombe entièrement au demandeur, surtout lorsque sa situation personnelle, notamment son incarcération, rend cette relation par nature plus difficile à maintenir.
B. La légitimation de l’éloignement par la gravité de la menace à l’ordre public
La cour achève son raisonnement en évaluant l’ensemble de la situation personnelle du requérant. Face à des liens familiaux jugés distendus et une intégration sociale et professionnelle non démontrée, elle met en balance la condamnation de l’intéressé à une peine de cinq ans d’emprisonnement pour tentative d’agression sexuelle sur personne vulnérable, ainsi que six autres condamnations antérieures pour des délits variés. Le juge estime que ces « condamnations pénales (…) témoignent d’une mauvaise intégration, laquelle suppose que soit satisfaite l’obligation élémentaire de respecter les lois ». Dans ces conditions, l’arrêté attaqué ne porte pas une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a été pris. Cette motivation illustre parfaitement une décision d’espèce, où la solution dépend étroitement de la gravité exceptionnelle des faits. L’atteinte à l’ordre public est si caractérisée qu’elle l’emporte de manière évidente sur la protection de la vie familiale, d’autant plus que celle-ci est apparue affaiblie. La décision réaffirme ainsi que le droit au séjour en France, même pour un parent d’enfant français, demeure conditionné au respect des règles fondamentales de la vie en société.