Par un arrêt en date du 17 janvier 2025, la cour administrative d’appel s’est prononcée sur les conditions d’octroi d’un titre de séjour pour raisons de santé et sur les conséquences d’un refus en matière de droit au séjour.
Un ressortissant géorgien, entré régulièrement en France, a sollicité la délivrance d’un titre de séjour en raison de son état de santé. Celui-ci souffrait de pathologies multiples, notamment une insuffisance rénale chronique requérant des séances d’hémodialyse plusieurs fois par semaine. Le préfet du Morbihan, se fondant sur un avis du collège des médecins de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, a rejeté sa demande au motif qu’il pouvait bénéficier d’un traitement approprié dans son pays d’origine. Cette décision de refus de séjour fut assortie d’une obligation de quitter le territoire français, d’une décision fixant le pays de destination et de mesures de contrôle administratif. Le tribunal administratif de Rennes, saisi par l’intéressé, a rejeté sa requête tendant à l’annulation de ces décisions. L’étranger a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant principalement que le préfet avait commis une erreur d’appréciation quant à l’absence de traitement approprié en Géorgie et avait porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale.
Il revenait ainsi à la cour administrative d’appel de déterminer si la possibilité théorique de bénéficier de soins dans le pays d’origine, malgré les difficultés pratiques alléguées par le requérant, suffisait à justifier un refus de titre de séjour fondé sur l’article L. 425-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Il s’agissait également pour la cour de vérifier si, au regard de la situation personnelle globale du requérant, ce refus de séjour et les mesures d’éloignement qui en découlaient ne constituaient pas une violation de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
La cour administrative d’appel a rejeté la requête, confirmant en tous points le jugement de première instance. Elle a estimé que le requérant ne démontrait pas qu’il ne pouvait bénéficier d’une prise en charge médicale effective dans son pays d’origine. En conséquence, elle a jugé que le refus de séjour n’était entaché d’aucune erreur d’appréciation et ne portait pas une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale, validant par voie de conséquence la légalité de l’obligation de quitter le territoire français.
Cette décision illustre la rigueur avec laquelle le juge administratif apprécie la condition d’accès aux soins dans le pays d’origine (I), ce qui conditionne par la suite le contrôle exercé sur les autres aspects de la situation personnelle de l’étranger (II).
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I. L’appréciation rigoureuse de la condition d’accès aux soins
La cour confirme une interprétation stricte de la notion de traitement approprié (A) en faisant peser sur le requérant une charge de la preuve particulièrement exigeante (B).
A. Une interprétation stricte de l’effectivité du traitement
Le raisonnement de la cour administrative d’appel repose entièrement sur l’analyse de la disponibilité d’un traitement approprié en Géorgie. Pour ce faire, elle s’approprie l’avis du collège des médecins de l’Office français de l’immigration et de l’intégration et examine les arguments du requérant de manière méthodique. Celui-ci faisait notamment valoir l’impossibilité de bénéficier d’une greffe de rein dans son pays d’origine. La cour écarte cet argument en relevant que l’intéressé « a subi en 2013 une greffe rénale ». Elle en déduit que, malgré l’échec de cette première greffe, « cette circonstance ne permet pas de remettre en cause la possibilité pour l’intéressé de bénéficier, de nouveau, d’une nouvelle greffe rénale en Géorgie ».
Cette approche révèle une appréciation pragmatique de la notion de traitement disponible. Le juge ne s’attache pas à la probabilité de succès d’un tel traitement ni aux conditions exactes de sa mise en œuvre, mais à la simple existence d’une offre de soins structurelle dans le pays d’origine. Le fait qu’une greffe ait déjà eu lieu, même sans succès, suffit à établir que le système de santé local dispose de cette capacité technique. Cette interprétation place le critère de l’effectivité du traitement sur le terrain de la possibilité matérielle plutôt que sur celui de l’accessibilité individuelle et immédiate pour le patient concerné. La solution est sévère mais s’inscrit dans une logique de contrôle de l’immigration qui réserve le bénéfice de la protection aux situations où une rupture des soins aurait des conséquences fatales et inévitables.
B. Une charge de la preuve déterminante pour le requérant
La décision met en lumière le rôle central de la preuve que doit apporter le demandeur. Pour chaque pathologie, la cour vérifie si le requérant établit l’indisponibilité du traitement dans son pays. Concernant l’hémodialyse, elle relève qu’il « bénéficiait déjà de séances d’hémodialyse en Géorgie jusqu’à son arrivée en France ». Pour l’hypocalcémie, elle note que cette pathologie est liée à une carence en vitamine D, « substance dont l’intéressé n’établit pas qu’elle serait indisponible en Géorgie ». Cette approche démontre que la charge de la preuve repose quasi exclusivement sur l’étranger. Il ne suffit pas d’invoquer une pathologie grave ; il faut encore démontrer, par des pièces précises et circonstanciées, que l’offre de soins dans le pays d’origine est inexistante ou inaccessible.
La cour conclut ainsi que « les pièces médicales produites par le requérant ne suffisent pas à démontrer que M. B… […] ne pourrait pas bénéficier d’une prise en charge adaptée à son état de santé en Géorgie ». Cette formule consacre la prééminence de l’avis médical de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, que le requérant n’est pas parvenu à renverser. La solution réaffirme que le contrôle du juge se limite à vérifier que l’administration n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation au vu des éléments du dossier, un dossier dans lequel l’avis de l’autorité médicale compétente pèse d’un poids prépondérant.
Une fois la condition médicale écartée, la cour procède à un examen des autres moyens soulevés qui apparaissent dès lors voués à l’échec.
II. Le rejet en cascade des autres moyens soulevés
La décision de la cour illustre comment le rejet du moyen principal tiré de l’état de santé entraîne mécaniquement le rejet des autres arguments, qu’ils portent sur le droit au respect de la vie privée et familiale (A) ou sur la légalité des mesures d’éloignement (B).
A. La subordination du contrôle de proportionnalité à l’appréciation médicale
Le requérant invoquait une méconnaissance des stipulations de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. La cour effectue un bilan des intérêts en présence pour apprécier la proportionnalité de l’atteinte portée au droit au respect de la vie privée et familiale du requérant. Elle relève ainsi sa résidence très récente en France, la situation administrative irrégulière de son épouse à la date de la décision attaquée, l’absence de justification de son isolement familial en Géorgie et son défaut d’intégration particulière dans la société française.
Face à ces éléments, le poids de son état de santé aurait pu faire pencher la balance en sa faveur. Cependant, la cour ayant déjà établi qu’il pouvait bénéficier d’un traitement dans son pays, cet élément perd toute sa force. La conclusion s’impose alors d’elle-même : « le préfet du Morbihan n’a pas porté au droit de M. B… au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée ». Le contrôle de proportionnalité apparaît ici entièrement subordonné à l’appréciation préalable de l’accès aux soins. Dès lors que l’étranger peut être soigné dans son pays, le refus de séjour est considéré comme une mesure adéquate qui ne saurait être disproportionnée, sauf circonstances exceptionnelles de vie privée et familiale que le requérant n’établissait pas en l’espèce.
B. La validation inéluctable des mesures d’éloignement
La légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français est une conséquence directe de celle du refus de séjour. La cour écarte logiquement le moyen tiré de l’annulation par voie de conséquence. Elle valide également la motivation de l’obligation de quitter le territoire français, rappelant que lorsque celle-ci est fondée sur un refus de séjour, elle « n’a pas à faire l’objet d’une motivation distincte ». De même, le moyen tiré de la protection spécifique contre l’éloignement prévue par l’article L. 611-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est rejeté, car les conditions sont identiques à celles de l’article L. 425-9 et n’étaient donc pas remplies.
Enfin, la cour écarte comme irrecevables les conclusions dirigées contre l’obligation de remise du passeport et de se présenter au commissariat, au motif qu’il s’agit de conclusions nouvelles en appel. Ce point de procédure, relevé d’office par la juridiction, illustre le cadre strict du débat contentieux en appel, qui ne permet pas d’élargir le litige au-delà des demandes initialement soumises au premier juge. L’ensemble de ces rejets confirme le caractère systémique de la décision préfectorale : le refus de titre de séjour constitue la pierre angulaire de l’édifice, et sa validation par le juge entraîne la solidité de toutes les mesures qui en découlent.