Cour d’appel administrative de Nantes, le 18 février 2025, n°24NT00200

Une société d’exercice libéral à responsabilité limitée a fait l’objet d’une cotisation foncière des entreprises au titre des années 2018 et 2019, qu’elle estimait ne pas devoir. Après le rejet de sa réclamation par l’administration fiscale, elle a saisi le tribunal administratif de Caen afin d’obtenir la décharge de ces impositions. Par une ordonnance du 22 novembre 2023, le président de la formation de jugement a pris acte du désistement de la société, celle-ci n’ayant pas répondu à une demande de confirmation du maintien de ses conclusions. La société a interjeté appel de cette ordonnance, contestant sa régularité et réitérant sa demande de décharge. Se posaient alors à la cour administrative d’appel de Nantes deux questions distinctes. D’une part, les conditions d’un désistement d’office étaient-elles réunies lorsque, moins de treize mois après l’introduction de l’instance, un juge s’interroge sur l’intérêt que le requérant porte à sa requête ? D’autre part, la mise à disposition d’un avis d’imposition exclusivement sur le compte fiscal en ligne d’un contribuable constitue-t-elle une notification régulière faisant courir le délai de réclamation ? Par un arrêt du 18 février 2025, la cour annule l’ordonnance de désistement, considérant qu’en l’espèce, le juge de première instance n’a pas fait une juste application des dispositions de l’article R. 612-5-1 du code de justice administrative. Usant de son pouvoir d’évocation, elle statue néanmoins sur le fond du litige et rejette la demande de la société, jugeant que la mise à disposition des avis d’imposition sur le compte fiscal en ligne valait notification et que sa réclamation, présentée plus de deux ans après, était par conséquent tardive. L’arrêt illustre ainsi la tension entre le contrôle de l’office du juge dans la gestion de ses dossiers (I) et la rigueur procédurale imposée au contribuable à l’ère numérique (II).

I. Le contrôle renforcé de l’appréciation judiciaire du désintérêt du requérant

La décision de la cour administrative d’appel rappelle avec fermeté que le mécanisme du désistement d’office, bien qu’utile à la bonne administration de la justice, ne saurait être mis en œuvre de manière automatique. Elle censure ainsi une application qu’elle juge erronée de cette prérogative (A), avant de tirer les conséquences de cette annulation en évoquant l’affaire au fond (B).

A. La censure d’une utilisation prématurée du mécanisme de désistement d’office

L’article R. 612-5-1 du code de justice administrative permet à un juge, « lorsque l’état du dossier permet de s’interroger sur l’intérêt que la requête conserve pour son auteur », d’inviter ce dernier à confirmer le maintien de ses conclusions sous peine d’être réputé s’être désisté. En l’espèce, la cour d’appel exerce un contrôle approfondi sur les motifs ayant conduit le premier juge à user de cette faculté. Elle ne se limite pas à vérifier la régularité formelle de la procédure, mais examine si les circonstances de l’affaire justifiaient une telle interrogation sur l’intérêt à agir du requérant.

La cour relève trois éléments concrets pour fonder sa censure : la relative brièveté du délai écoulé depuis l’introduction de la requête, l’importance des montants en jeu et l’absence de tout dégrèvement qui aurait pu priver le litige de son objet. Elle en déduit que « l’état du dossier ne permettait pas au tribunal de s’interroger sur l’intérêt que conservait pour la SELARL du Dr A… la demande ». Ce faisant, elle impose au juge du fond de se fonder sur un faisceau d’indices tangibles et concordants pour douter de la persistance de l’intérêt d’un requérant. Une simple absence de production de nouveaux mémoires ne suffit donc pas, surtout lorsque l’affaire est en état d’être jugée. Cette solution protectrice des droits des justiciables évite que la gestion des flux ne l’emporte sur le droit d’accès au juge.

B. L’évocation, conséquence logique de l’annulation de l’ordonnance

En annulant l’ordonnance de désistement pour irrégularité, la cour administrative d’appel se trouve face à une affaire dont le fond n’a pas été tranché en première instance. Conformément à une jurisprudence constante et dans un souci de bonne administration de la justice, elle décide d’évoquer le dossier pour statuer directement sur la demande présentée par la société devant le tribunal administratif. Cette technique procédurale permet d’éviter un renvoi devant les premiers juges, qui allongerait inutilement les délais de jugement.

L’évocation illustre ici pleinement son rôle d’accélérateur processuel. La victoire obtenue par la société requérante sur le terrain de la procédure de désistement est de courte durée, car la cour se saisit immédiatement du cœur du litige. La transition est abrupte pour le plaideur, qui, après avoir obtenu gain de cause sur la forme, doit aussitôt défendre sa position sur le fond. Cette articulation met en lumière l’efficacité de l’organisation juridictionnelle administrative, qui, tout en censurant une erreur de procédure, ne perd pas de vue l’objectif final qui est de trancher le litige opposant le contribuable à l’administration.

II. La consécration de la dématérialisation comme source de forclusion pour le contribuable

Après avoir réglé la question procédurale, la cour se penche sur la recevabilité de la réclamation initiale de la société. Elle confirme sans ambiguïté la pleine valeur juridique de la notification dématérialisée (A), ce qui la conduit à constater inexorablement la tardiveté de la démarche du contribuable (B).

A. La portée juridique de la mise à disposition de l’avis d’imposition en ligne

Le cœur du raisonnement de la cour repose sur l’interprétation des dispositions de l’article L. 253 du livre des procédures fiscales. Ce texte prévoit que, pour certains contribuables et certains impôts comme la cotisation foncière des entreprises, les avis d’imposition sont rendus disponibles exclusivement sous forme dématérialisée dans leur compte fiscal en ligne. La cour affirme avec force que « la mise à disposition sur le compte fiscal en ligne d’un contribuable d’un avis d’imposition a la même portée qu’un envoi postal à l’adresse de celui-ci ».

Cette affirmation emporte des conséquences majeures. Elle signifie que l’administration est réputée avoir rempli son obligation de notification par cette seule mise à disposition, faisant ainsi courir les délais de recours. La cour écarte par ailleurs l’argument de la société qui invoquait les dispositions du code des relations entre le public et l’administration relatives au droit de saisir une administration par voie électronique. Elle juge que la disposition du livre des procédures fiscales, en tant que loi spéciale, déroge nécessairement à la loi générale. Le contribuable professionnel ne peut donc exiger une notification par voie postale et se doit d’être diligent dans la consultation de son espace personnel numérique.

B. La tardiveté de la réclamation, conséquence inéluctable de la notification numérique

Une fois le principe de la validité de la notification électronique posé, la conclusion de la cour devient mathématique. Les avis d’imposition pour les années 2018 et 2019 ayant été mis en ligne au cours de ces mêmes années, les délais de réclamation, qui expirent le 31 décembre de la deuxième année suivant la mise en recouvrement, ont couru jusqu’au 31 décembre 2019 et 31 décembre 2020. La réclamation de la société, déposée le 21 décembre 2021, était donc manifestement tardive.

Cette tardiveté constitue une fin de non-recevoir qui interdit au juge d’examiner le bien-fondé de la demande. La société se voit ainsi privée de la possibilité de faire valoir ses arguments sur l’exonération dont elle pensait pouvoir bénéficier en sa qualité de société vétérinaire. Cet arrêt, bien que rendu en application de textes clairs, a une valeur pédagogique certaine. Il constitue un avertissement sévère pour tous les professionnels : la transition numérique de l’administration fiscale transfère sur eux une charge de vigilance accrue, dont le non-respect peut entraîner la perte pure et simple de leurs droits à contester l’impôt.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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