Par un arrêt en date du 18 février 2025, la Cour administrative d’appel de Nantes a statué sur la régularité et le bien-fondé d’une procédure de redressement fiscal engagée à l’encontre d’un contribuable. En l’espèce, un examen contradictoire de la situation fiscale personnelle d’un dessinateur projeteur pour les années 2013 à 2015 avait révélé une disproportion marquée entre les revenus déclarés et les crédits inscrits sur ses comptes bancaires. L’administration fiscale, après avoir exercé son droit de communication auprès des banques, a adressé à l’intéressé une demande de justifications sur l’origine de ces sommes.
La procédure suivie a conduit à une proposition de rectification pour les années 2014 et 2015, assortie d’une majoration de 40 % pour manquement délibéré. La réclamation du contribuable ayant été rejetée, celui-ci a saisi le tribunal administratif de Nantes, qui a confirmé la position de l’administration par un jugement du 12 avril 2024. Le contribuable a alors interjeté appel de ce jugement, contestant tant la régularité de la procédure d’imposition que le bien-fondé des redressements et des pénalités appliquées. Il revenait donc aux juges d’appel de déterminer si l’administration avait respecté les conditions procédurales de son contrôle, notamment quant à l’articulation de ses prérogatives, et si le contribuable parvenait à renverser la présomption pesant sur lui du fait de la procédure de taxation d’office. La Cour a rejeté l’ensemble des moyens soulevés par le requérant, confirmant ainsi la validité de la procédure et le bien-fondé de l’imposition.
Cet arrêt illustre avec rigueur les prérogatives de l’administration dans le cadre de ses missions de contrôle, en validant une interprétation extensive des textes qui lui sont favorables (I). Il en tire ensuite les conséquences logiques quant à la charge de la preuve, qui pèse lourdement sur le contribuable en cas de taxation d’office (II).
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I. La confirmation de la régularité de la procédure de contrôle et de taxation
La Cour valide la démarche de l’administration fiscale en confirmant d’une part la légalité de l’exercice anticipé du droit de communication (A) et en retenant d’autre part une appréciation large des conditions justifiant une demande de justifications (B).
A. La validation de la mise en œuvre anticipée du droit de communication
Le requérant soutenait que la procédure était irrégulière, l’administration ayant exercé son droit de communication auprès des banques avant l’expiration du délai de soixante jours qui lui était imparti pour produire lui-même ses relevés de compte. La Cour écarte ce moyen en se fondant sur une lecture stricte de l’article L. 12 du livre des procédures fiscales. Elle juge que ces dispositions « ne font pas obstacle à ce que l’administration, après avoir demandé au contribuable de lui communiquer ses relevés de compte, exerce, avant même l’expiration du délai de soixante jours impartis au contribuable, son droit de communication auprès des organismes bancaires pour obtenir ces mêmes documents ».
Cette solution réaffirme que le délai de soixante jours constitue une faculté offerte au contribuable de collaborer, et non une période d’attente impérative pour l’administration. Le droit de communication est une prérogative autonome que le service peut exercer à tout moment pour les besoins de son contrôle. En l’espèce, le fait que le contribuable n’ait pas réclamé le pli recommandé contenant l’avis de vérification a conforté la Cour dans l’idée que l’administration était fondée à agir sans plus attendre. La solution garantit ainsi l’efficacité des investigations et prévient les manœuvres dilatoires, en privilégiant la célérité du contrôle sur une protection formelle du contribuable.
B. L’appréciation extensive des conditions du recours à la demande de justifications
Le second moyen procédural portait sur le bien-fondé du recours à la demande de justifications de l’article L. 16 du livre des procédures fiscales, qui suppose une disproportion marquée entre les crédits bancaires et les revenus déclarés. La Cour confirme que le seuil, en l’occurrence le double des revenus déclarés, s’apprécie sur la base d’une comparaison brute. Elle précise que la différence s’entend de celle « que l’administration constate avant tout examen critique, préalable à cette mise en œuvre, des crédits qu’elle a recensés ».
Ainsi, les explications ultérieures du contribuable, notamment sur la nature de certaines sommes comme des remboursements de frais professionnels, ne sont pas prises en compte pour apprécier si la procédure pouvait être déclenchée. La Cour valide le calcul de l’administration, qui s’est fondée sur les crédits totaux après une simple neutralisation des virements de compte à compte, et a comparé ce montant aux revenus bruts déclarés. Le fait que les versements de l’employeur étaient globaux et ne distinguaient pas les frais a achevé de convaincre la Cour. Cette interprétation pragmatique confère à l’administration une marge d’appréciation significative pour engager cette procédure inquisitoriale, dont les conséquences sur la charge de la preuve sont déterminantes.
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Ayant ainsi validé la régularité de la procédure, la Cour examine le bien-fondé des impositions en appliquant les règles de preuve qui découlent de la méthode de taxation retenue.
II. Les conséquences de la taxation d’office sur la charge de la preuve
La mise en œuvre de la procédure de taxation d’office, faute de réponse satisfaisante du contribuable, entraîne un renversement de la charge de la preuve à son détriment (A), une preuve qu’il n’a pas réussi à rapporter en l’espèce (B).
A. Le renversement de la charge de la preuve au détriment du contribuable
La Cour rappelle le principe fondamental posé par l’article L. 193 du livre des procédures fiscales : « Dans tous les cas où une imposition a été établie d’office la charge de la preuve incombe au contribuable qui demande la décharge ou la réduction de l’imposition ». Le défaut de justifications suffisantes à la demande de l’administration a eu pour effet de basculer la procédure vers une taxation d’office en vertu de l’article L. 69 du même livre.
Cette mécanique procédurale constitue une sanction du manque de coopération du contribuable. Il ne revient plus à l’administration de prouver l’existence d’un revenu non déclaré, mais au contribuable de démontrer que les sommes taxées n’en sont pas un. L’arrêt applique sans détour cette règle rigoureuse, faisant peser sur le seul requérant la responsabilité de combattre la présomption d’imposition des crédits bancaires d’origine inexpliquée. Cette solution, classique en la matière, souligne le risque majeur encouru par un contribuable qui ne parviendrait pas à éclaircir de manière probante l’origine des fonds transitant sur ses comptes.
B. L’insuffisance des justifications apportées par le contribuable
Face à cette charge de la preuve, le contribuable a avancé que les sommes litigieuses correspondaient à des chèques encaissés pour le compte d’un ami, auxquels il aurait restitué les fonds en espèces ou par des paiements divers. La Cour rejette sèchement cet argument en constatant qu’il « ne produit pas plus en appel qu’en première instance de pièces au soutien de ses affirmations ». Cette absence totale de commencement de preuve, comme des attestations, des écrits ou des flux financiers concordants, rendait ses allégations inopérantes.
De même, l’argument relatif aux remboursements de frais professionnels est écarté, la Cour relevant que le service avait déjà admis des montants justifiés supérieurs à ceux que le requérant revendiquait. Dans ces conditions, le contribuable ne rapporte pas la preuve qui lui incombe, et les impositions sont maintenues. Le caractère délibéré du manquement, justifiant la majoration de 40 %, est logiquement déduit de l’importance des sommes, de leur caractère répété et de l’absence de justification sérieuse. L’arrêt se montre ainsi d’une grande sévérité, mais conforme à une jurisprudence constante qui exige des contribuables des explications précises et documentées pour échapper à l’imposition de revenus d’origine indéterminée.