Par un arrêt en date du 18 mars 2025, la cour administrative d’appel de Nantes se prononce sur la valeur probante des actes d’état civil étrangers dans le cadre d’une procédure de réunification familiale au bénéfice de la famille d’un réfugié statutaire. En l’espèce, un ressortissant étranger ayant obtenu le statut de réfugié en France a sollicité la délivrance de visas de long séjour pour son épouse et ses enfants mineurs, afin qu’ils puissent le rejoindre sur le territoire national. L’autorité consulaire française à Nouakchott a opposé un refus à cette demande, au motif que le lien familial n’était pas suffisamment établi.
Saisie d’un recours, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d’entrée en France a implicitement rejeté cette contestation. Le tribunal administratif de Nantes, saisi à son tour par les requérants, a confirmé la position de l’administration par un jugement du 26 mai 2023. Les intéressés ont alors interjeté appel de ce jugement, soutenant que les documents d’état civil produits, établis par les autorités mauritaniennes, suffisaient à prouver leur identité et leurs liens de parenté. Le ministre de l’intérieur, en défense, persistait à contester la force probante de ces documents.
Il revenait par conséquent à la cour de déterminer si des actes d’état civil établis conformément à une nouvelle législation nationale étrangère, qui abroge la précédente, suffisent à établir un lien de filiation, même lorsque l’administration conteste leur validité. La cour administrative d’appel y répond par l’affirmative, en jugeant que de tels actes, corroborés par d’autres éléments du dossier, font foi et justifient les liens familiaux, annulant ainsi la décision de refus pour une inexacte application des textes.
I. L’appréciation souveraine par le juge de la force probante de l’état civil étranger
La cour administrative d’appel fonde sa décision sur une analyse rigoureuse des pièces produites, en appliquant les règles de preuve de l’état civil étranger (A) et en écartant l’argumentation de l’administration jugée obsolète (B).
A. L’application du principe de la foi attachée aux actes étrangers
Le juge administratif rappelle le principe posé par l’article 47 du code civil, selon lequel « tout acte de l’état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi ». Cette disposition instaure une présomption de validité pour les actes établis par une autorité étrangère. Toutefois, cette présomption n’est pas irréfragable. Elle peut être renversée si « d’autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent (…) que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ».
En cas de contestation par l’administration, il appartient au juge de forger sa conviction au vu de tous les éléments versés au débat. La cour ne se limite donc pas à un examen formel des actes. Elle procède à une évaluation concrète de leur crédibilité, en tenant compte du contexte juridique de leur émission et des autres pièces du dossier. Cette démarche permet de concilier le respect des documents officiels étrangers et la nécessité de prévenir la fraude documentaire, tout en réaffirmant le pouvoir d’appréciation du juge administratif.
B. Le rejet d’une argumentation administrative fondée sur une loi abrogée
Face aux actes produits par les demandeurs, le ministre de l’intérieur opposait leur non-conformité à une loi mauritanienne de 1996. La cour écarte cet argument en relevant l’intervention d’une loi nouvelle de 2011, laquelle a institué un système d’état civil modernisé et sécurisé, fondé sur un registre national des populations et l’attribution d’un numéro national d’identification unique à chaque citoyen. Le juge souligne avec force que cette nouvelle législation « abroge et remplace toutes les dispositions antérieures contraires ».
Dès lors, l’administration ne pouvait valablement exiger que les actes produits respectent les formes prescrites par une loi qui n’est plus en vigueur dans le pays d’origine. En jugeant que les actes présentés « ont toutefois été établis dans le cadre de la campagne d’identification prévue par la loi précitée de 2011 », la cour opère une application stricte du principe de l’application de la loi dans le temps. Elle censure ainsi une position administrative qui, en se fondant sur un état du droit obsolète, créait une exigence dépourvue de base légale et portait une atteinte injustifiée à la validité des documents officiels présentés.
II. La portée de la décision au regard du droit à la réunification familiale
En annulant le refus de visa, la cour ne se contente pas de trancher une question de preuve ; elle garantit l’effectivité du droit à la vie familiale du réfugié (A), tout en adressant un signal clair à l’administration quant à ses obligations (B).
A. La consolidation du droit à la vie familiale par la méthode du faisceau d’indices
La décision ne se fonde pas exclusivement sur la validité formelle des nouveaux actes d’état civil. Le juge prend soin de relever que « les éléments d’identification présents sur les extraits d’acte de naissance correspondent aux déclarations constantes de M. B… lors de ses démarches auprès de l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides ». Cette approche, qui s’apparente à la méthode du faisceau d’indices, permet de renforcer la conviction du juge quant à l’authenticité des liens familiaux allégués.
En croisant différentes sources d’information, la cour adopte une vision pragmatique et protectrice des droits des justiciables. Elle s’assure que la réalité matérielle des liens familiaux, déjà évoquée par le réfugié lors de sa propre procédure d’asile, n’est pas ignorée au profit d’un formalisme excessif. Cette solution revêt une importance particulière pour les réfugiés, pour qui la protection du droit à être rejoint par leur famille constitue une composante essentielle de leur statut et de leur intégration, conformément à l’article L. 561-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
B. L’injonction faite à l’administration de se conformer au droit applicable
En concluant que « la commission de recours a fait une inexacte application des dispositions précitées », la cour tire toutes les conséquences de son analyse. L’annulation de la décision de refus de visa est assortie d’une injonction claire, ordonnant au ministre de l’intérieur de délivrer les visas sollicités dans un délai de deux mois. Cette mesure coercitive garantit l’exécution effective de l’arrêt et met fin à une situation de blocage préjudiciable pour la famille.
Au-delà du cas d’espèce, cet arrêt constitue un rappel à l’ordre pour les autorités consulaires et le ministère. Il les contraint à une vigilance accrue quant à l’évolution des législations étrangères en matière d’état civil et les dissuade de maintenir des positions fondées sur des analyses juridiques dépassées. La décision réaffirme ainsi que le contrôle exercé par l’administration sur les actes étrangers, bien que légitime, doit s’exercer dans le respect du droit en vigueur et sous le contrôle entier du juge administratif.