Cour d’appel administrative de Nantes, le 2 septembre 2025, n°25NT02014

Par une décision rendue le 2 septembre 2025, la cour administrative d’appel de Nantes a statué sur la demande de sursis à exécution d’un jugement annulant un arrêté préfectoral. Un étranger avait fait l’objet d’un arrêté préfectoral lui imposant de quitter le territoire français sous trente jours, fixant le pays de renvoi et prononçant une interdiction de retour d’une durée d’un an. Saisi par l’intéressé, le tribunal administratif de Rennes avait, par un jugement du 15 juillet 2025, annulé cette décision au motif d’un défaut d’examen particulier de sa situation. Le préfet a alors interjeté appel de ce jugement et a concomitamment saisi la cour d’une demande de sursis à son exécution. Le juge d’appel devait donc déterminer si le moyen soulevé par le préfet, contestant l’appréciation des premiers juges sur le défaut d’examen de la situation, revêtait un caractère suffisamment sérieux pour justifier la suspension du jugement d’annulation. La cour a répondu par l’affirmative, considérant que le moyen de l’administration était sérieux et de nature à justifier l’annulation du jugement attaqué. En conséquence, elle a ordonné le sursis à l’exécution de ce dernier, rejetant par voie de conséquence les demandes d’injonction et de frais de l’intimé.

Cette décision illustre l’application des conditions procédurales du sursis à exécution en contentieux administratif et met en lumière ses conséquences directes pour l’administré. Il convient ainsi d’examiner les critères stricts de la suspension d’un jugement d’annulation (I), avant d’analyser les effets concrets attachés à cette mesure provisoire (II).

I. L’appréciation rigoureuse des conditions du sursis à exécution

Le juge d’appel fonde sa décision sur une analyse précise des conditions posées par le code de justice administrative, en se concentrant sur le caractère sérieux du moyen d’appel (A) qui relève de son appréciation souveraine (B).

A. L’exigence d’un moyen sérieux de nature à justifier l’annulation

L’article R. 811-15 du code de justice administrative subordonne le sursis à exécution d’un jugement d’annulation à la démonstration, par l’appelant, de l’existence d’un moyen qui paraisse « sérieux et de nature à justifier, outre l’annulation ou la réformation du jugement attaqué, le rejet des conclusions à fin d’annulation accueillies par ce jugement ». Le juge d’appel ne procède pas à un examen au fond du litige, mais à une évaluation prima facie de la solidité de l’argumentation de l’appelant. En l’espèce, le préfet soutenait que c’était à tort que les premiers juges avaient retenu un défaut d’examen particulier de la situation de l’étranger.

La cour considère ce moyen comme remplissant la condition de sérieux. Elle estime, « en l’état de l’instruction », que l’argumentation préfectorale est suffisamment plausible pour remettre en cause le bien-fondé du jugement de première instance. Cette analyse ne préjuge pas de la solution qui sera finalement retenue au fond, mais elle constitue un filtre nécessaire pour éviter des suspensions purement dilatoires. Le caractère sérieux est ici attaché à la contestation de l’appréciation portée par le tribunal sur une diligence de l’administration, ce qui témoigne de l’intensité du contrôle exercé par le juge du sursis.

B. L’appréciation souveraine du juge sur la consistance du moyen

La décision de suspendre un jugement relève du pouvoir d’appréciation du juge d’appel, qui se livre à un pronostic sur les chances de succès du recours au fond. En qualifiant de « sérieux » le moyen du préfet, la cour signale une possible divergence d’analyse avec les juges du tribunal administratif quant à la matérialité de l’examen individuel effectué par l’administration. La question n’est plus de savoir si l’examen a eu lieu, mais si l’appréciation qu’en ont faite les premiers juges était elle-même correcte.

Cet examen se fait de manière concrète, au vu des pièces du dossier disponibles à ce stade de la procédure. La décision commentée, bien que succincte dans sa motivation sur ce point, révèle que le juge du sursis a été convaincu par les éléments produits par l’administration. Il juge ainsi que l’argumentation préfectorale est non seulement apte à entraîner l’annulation du jugement, mais aussi à conduire au rejet des conclusions initiales de l’administré. Cette double condition assure que la suspension ne soit accordée que lorsque l’appel paraît avoir des chances de prospérer pleinement.

II. Les effets significatifs du prononcé du sursis à exécution

L’octroi du sursis à exécution emporte des conséquences juridiques importantes et immédiates, en restaurant provisoirement la force exécutoire de l’acte annulé (A) et en entraînant le rejet des demandes accessoires de l’administré (B).

A. La restauration provisoire de la force exécutoire de l’acte annulé

La conséquence la plus directe de la décision de la cour est de priver d’effet le jugement du tribunal administratif de Rennes jusqu’à ce qu’il soit statué sur l’appel au fond. L’annulation de l’obligation de quitter le territoire français étant suspendue, cette dernière redevient exécutoire. L’étranger se retrouve donc, pendant toute la durée de l’instance d’appel, dans la même situation juridique qu’avant l’intervention du premier jugement, c’est-à-dire sous le coup d’une mesure d’éloignement.

Cette mesure conservatoire a pour but de préserver les effets de la décision administrative contestée lorsque son annulation par le premier juge semble fragile. Elle garantit l’effectivité de l’action administrative dans l’attente d’une décision définitive, répondant ainsi à l’intérêt général qui s’attache à l’exécution des décisions de l’administration. Pour l’administré, cependant, la portée de la victoire obtenue en première instance est neutralisée, créant une situation d’incertitude juridique quant à son droit au séjour.

B. Le rejet mécanique des conclusions à fin d’injonction et de frais

Le sursis à exécution de l’annulation entraîne logiquement le rejet des autres conclusions présentées par l’étranger. Celui-ci demandait à la cour d’enjoindre au préfet de lui délivrer un titre de séjour ou de réexaminer sa situation. Or, de telles injonctions ne peuvent être prononcées que si le juge fait droit aux conclusions principales de l’administré. La cour, en suspendant le jugement d’annulation, prive ces demandes de leur fondement.

De même, la demande de prise en charge des frais de l’instance, formulée sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, est rejetée. L’État n’ayant pas, dans le cadre de cette instance en sursis, la qualité de partie perdante, il ne peut être condamné à verser une somme à ce titre. Ce rejet illustre le caractère accessoire de ces conclusions, dont le sort est intimement lié à celui de la demande principale. Ainsi, la décision de sursis a un effet radical, balayant l’ensemble des prétentions de la partie qui avait pourtant obtenu gain de cause en première instance.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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