Cour d’appel administrative de Nantes, le 20 juin 2025, n°23NT03420

La Cour administrative d’appel de Nantes a rendu, le 20 juin 2025, un arrêt relatif au droit à la réunification familiale d’un bénéficiaire de protection subsidiaire. Cette décision traite de la délicate preuve du lien de filiation lorsqu’un acte de naissance étranger présente des irrégularités matérielles et des contradictions factuelles. Un ressortissant étranger sollicitait la venue d’un enfant né en 2018, demande initialement rejetée par l’autorité administrative compétente en avril 2023. Le tribunal administratif de Nantes avait annulé ce refus le 25 septembre 2023, enjoignant alors de délivrer le visa de long séjour sollicité. L’administration a interjeté appel, soutenant que l’acte de naissance était dépourvu de valeur probante et que le demandeur résidait en Europe lors de la conception. La question posée aux juges portait sur la capacité des pièces produites à établir une filiation certaine malgré des incohérences manifestes dans les déclarations. La cour annule le jugement de première instance au motif que les éléments versés au dossier ne permettent pas d’attester de la réalité du lien familial allégué.

I. L’exigence de concordance des actes d’état civil étrangers

A. Le contrôle de la régularité formelle et matérielle des documents

En vertu de l’article 47 du code civil, les actes d’état civil faits en pays étranger font foi sauf si des données extérieures établissent leur irrégularité. La juridiction d’appel relève ici que l’acte de naissance produit ne mentionne aucune date d’établissement, ce qui fragilise immédiatement sa force probante initiale. L’administration souligne également l’attribution d’un numéro d’identité identique pour le père et l’enfant, sans que le demandeur ne puisse justifier d’une règle de droit local. « Tout acte de l’état civil (…) fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi », rappelle toutefois le code. Le juge administratif doit former sa conviction au vu de l’ensemble des éléments produits pour déterminer si les faits déclarés correspondent à la réalité. Les magistrats constatent que l’acte indique une résidence permanente du père en Afghanistan alors que ce dernier résidait déjà sur le territoire national français.

B. L’influence déterminante des déclarations antérieures sur la sincérité du recours

La décision de la Cour administrative d’appel de Nantes s’appuie sur les déclarations sans ambiguïté effectuées par l’intéressé lors de sa demande d’asile initiale. Le demandeur avait affirmé devant l’officier de protection n’avoir qu’un seul enfant de sexe masculin, omettant l’existence de la fille dont il revendique aujourd’hui la paternité. Cette contradiction majeure, intervenue après la naissance alléguée de l’enfant, jette un doute sérieux sur la véracité des liens familiaux invoqués pour la réunification. Les pièces du dossier démontrent par ailleurs que l’intéressé résidait en Belgique entre 2012 et 2017, rendant sa présence en Afghanistan lors de la conception improbable. La preuve d’un retour au pays d’origine durant cette période charnière n’est étayée par aucun document probant ou précision concrète sur les modalités du voyage. L’absence de concordance entre la réalité géographique du père et la date de naissance de l’enfant fait échec à la présomption de l’article 47.

II. La portée limitée de la possession d’état en l’absence d’actes probants

A. La réunion insuffisante de faits caractérisant la filiation

Selon l’article 311-1 du code civil, la possession d’état s’établit par une réunion suffisante de faits révélant le lien de filiation et de parenté allégué. Le demandeur produisait des photographies prises lors de séjours, des échanges sur une messagerie instantanée ainsi que des mandats de transferts financiers récents. Les juges considèrent que « ces seuls éléments sont insuffisants pour établir le lien de filiation (…) par une possession d’état continue, paisible, publique et non équivoque ». La jurisprudence exige en effet une stabilité temporelle et une reconnaissance sociale qui font défaut lorsque les preuves sont limitées à des actes pécuniaires sporadiques. L’absence de traitement constant de l’enfant comme le sien propre, corrélée aux déclarations contradictoires antérieures, prive les faits présentés de toute valeur probante suffisante. La possession d’état doit être caractérisée de manière globale pour suppléer l’absence ou l’irrégularité flagrante d’un acte d’état civil étranger trop imprécis.

B. La validation du refus de visa sans recours à l’expertise génétique

La Cour administrative d’appel de Nantes confirme le bien-fondé du refus de visa sans juger nécessaire d’ordonner la réalisation d’une expertise génétique biologique. Cette mesure d’instruction n’est pas de droit et le juge peut s’en dispenser si les autres éléments du dossier emportent déjà sa conviction profonde. Dès lors que le lien familial n’est pas établi, les moyens tirés de la méconnaissance du droit à la vie privée et familiale sont écartés. L’intérêt supérieur de l’enfant ne peut être utilement invoqué lorsque la réalité juridique et biologique de la filiation avec le protecteur reste sérieusement contestée. Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 25 septembre 2023 est donc annulé, rétablissant ainsi la décision de refus prise par la commission de recours. Cette solution illustre la rigueur du contrôle exercé par les juges du fond sur la sincérité des procédures de réunification des familles de réfugiés.

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Hassan KOHEN
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