Cour d’appel administrative de Nantes, le 20 juin 2025, n°24NT00431

Par un arrêt en date du 20 juin 2025, une cour administrative d’appel se prononce sur les conditions d’appréciation de la force probante des actes d’état civil étrangers dans le cadre d’une demande de réunification familiale au bénéfice de la famille d’un réfugié.

En l’espèce, une ressortissante étrangère a sollicité, pour elle-même et ses deux enfants mineurs, des visas de long séjour afin de rejoindre son compagnon, qui s’était vu reconnaître la qualité de réfugié en France plusieurs années auparavant. Les autorités consulaires ont rejeté ces demandes, une décision confirmée par la commission de recours contre les refus de visa d’entrée en France au motif que l’identité des demandeuses et le lien de filiation des enfants n’étaient pas établis, et qu’une intention frauduleuse était relevée. Saisi d’un recours contre ce refus, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de l’intéressée. Cette dernière a alors interjeté appel du jugement, soutenant la validité de ses documents d’état civil et la réalité des liens familiaux l’unissant au réfugié. La question de droit qui se posait à la cour était de savoir si des actes d’état civil étrangers, dont la régularité formelle est mise en doute par l’administration, peuvent néanmoins être considérés comme probants lorsqu’ils sont corroborés par un faisceau d’indices concordants, notamment les déclarations antérieures et constantes du membre de la famille déjà présent en France.

La cour administrative d’appel répond par l’affirmative en annulant le jugement de première instance ainsi que la décision de la commission de recours. Elle juge que l’administration a fait une inexacte application des dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile en considérant que l’identité et les liens de filiation n’étaient pas établis. La juridiction d’appel estime que les documents produits, bien que présentant une irrégularité administrative mineure, sont suffisamment confortés par les déclarations constantes du réfugié depuis sa propre demande d’asile pour attester de la réalité des faits déclarés. La cour, en censurant l’appréciation de l’administration, rappelle les principes encadrant le contrôle de la force probante des documents d’état civil étrangers (I), avant d’appliquer cette grille d’analyse aux différents liens familiaux dont la reconnaissance était demandée (II).

***

I. Le rappel des principes de l’appréciation de la preuve en matière de réunification familiale

La cour administrative d’appel fonde sa décision sur une interprétation extensive des modes de preuve du lien familial, privilégiant une analyse globale des éléments du dossier plutôt qu’un examen purement formel des documents produits (A), réaffirmant ainsi la finalité protectrice du droit à la réunification pour les familles de réfugiés (B).

A. La primauté de l’examen global des preuves sur la régularité formelle des actes

Le juge administratif rappelle que si l’article 47 du code civil dispose que la force probante d’un acte d’état civil étranger peut être combattue, c’est à la condition que des éléments établissent que l’acte est « irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ». En cas de contestation par l’administration, il appartient au juge de « former sa conviction au vu de l’ensemble des éléments produits par les parties ». La cour souligne par cette approche que le doute sur la régularité formelle d’un document ne suffit pas à lui seul à écarter sa valeur probante. Une simple non-conformité à une prescription administrative du pays d’origine ne saurait automatiquement emporter le rejet de l’acte si d’autres pièces ou éléments viennent en confirmer la substance.

Cette méthode d’appréciation par faisceau d’indices est particulièrement adaptée au contexte de la réunification familiale des réfugiés, où l’obtention de documents administratifs parfaitement conformes peut s’avérer difficile. La cour réaffirme ainsi une jurisprudence constante qui impose à l’administration, et par suite au juge, de ne pas s’arrêter à une appréciation isolée de chaque pièce, mais de les confronter pour en dégager une conviction sur la réalité des liens familiaux. En l’espèce, l’omission d’une mention administrative sur les actes de naissance des enfants ne suffisait pas à établir que les faits de naissance et de filiation étaient matériellement inexistants.

B. La protection du lien familial antérieur à l’exil

Le droit à la réunification familiale pour les réfugiés, prévu à l’article L. 561-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, vise à reconstituer la cellule familiale telle qu’elle existait avant le départ contraint du pays d’origine. La cour attache une importance déterminante aux déclarations faites par le réfugié lui-même lors de sa demande de protection. En relevant que les actes produits « concordent avec les déclarations constantes de M. D… depuis le dépôt de sa demande d’asile le 13 mai 2014 », la juridiction ancre son raisonnement dans la cohérence et la constance des affirmations du réfugié, à une époque non suspecte.

Ces déclarations initiales constituent un élément de preuve essentiel, car elles préexistent au litige relatif au visa et reflètent la situation familiale que le réfugié a présentée pour obtenir sa propre protection. En leur accordant un poids significatif, la cour limite la marge d’appréciation de l’administration face à des doutes ultérieurs fondés sur des motifs purement formels. La décision commentée renforce ainsi la sécurité juridique des familles de réfugiés en consacrant la valeur des déclarations originelles comme un fil conducteur pour l’appréciation des preuves rapportées ultérieurement par les membres de la famille.

***

Forte de ces principes, la juridiction d’appel procède à une application rigoureuse de cette méthode aux faits de l’espèce, en validant successivement le lien de filiation des enfants et le lien de concubinage de la requérante.

II. L’application concrète de la méthode d’appréciation aux liens familiaux

La cour met en œuvre son raisonnement en deux temps, d’abord en reconnaissant la filiation des enfants malgré les doutes de l’administration (A), puis en qualifiant la relation du couple de concubinage stable et continu, suffisant pour ouvrir droit à la réunification (B).

A. La reconnaissance de la filiation en dépit d’irrégularités documentaires

Pour justifier de l’identité et de la filiation de ses enfants, la requérante produisait des actes de naissance issus de jugements supplétifs maliens. L’administration avait opposé un refus en se fondant notamment sur l’absence du numéro d’identification national sur ces documents, en méconnaissance d’une loi malienne. La cour écarte cet argument en considérant qu’il ne suffit pas à remettre en cause la force probante des actes. Elle constate que ceux-ci sont corroborés non seulement par les déclarations passées du père, mais également par des « extraits des minutes du greffe » du tribunal malien, qui confirment l’existence et la teneur des jugements supplétifs.

Ce faisant, la cour opère une balance des preuves. D’un côté, une irrégularité administrative formelle ; de l’autre, des décisions de justice étrangères, des documents greffiers qui en attestent, et des déclarations cohérentes dans le temps. En jugeant que la commission de recours « a fait une inexacte application des dispositions citées ci-dessus » en refusant de reconnaître le lien de filiation, l’arrêt illustre parfaitement le principe selon lequel la réalité matérielle prime sur la stricte observance de toutes les prescriptions administratives étrangères, surtout lorsque cette réalité est étayée par un ensemble d’éléments concordants.

B. L’assimilation du mariage religieux à un concubinage pour la réunification

La situation de la requérante elle-même soulevait une difficulté juridique distincte. Le couple s’était marié religieusement, une union dépourvue d’effets civils en droit français. Plutôt que de s’arrêter à cette absence de mariage civil, la cour recherche si la relation ne peut pas être qualifiée de concubinage au sens de l’article L. 561-2 du code précité, qui vise la situation du concubin avec lequel le réfugié avait « une vie commune suffisamment stable et continue » avant sa demande d’asile.

La cour considère que l’existence de ce mariage religieux, combinée à la « naissance des deux enfants du couple en 2007 et 2012 », constitue la preuve d’une telle relation. Elle requalifie ainsi les faits pour les faire entrer dans une catégorie juridique permettant la réunification. Cette démarche pragmatique démontre la volonté du juge de donner son plein effet au droit à la vie familiale et au dispositif de réunification. En estimant que l’administration a fait une « inexacte application » de la loi en refusant le visa à l’intéressée en qualité de concubine, la cour adopte une solution protectrice qui tient compte de la réalité sociologique de la vie de couple dans le pays d’origine, sans exiger une conformité stricte au modèle du mariage civil français.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture