Par un arrêt en date du 20 juin 2025, la cour administrative d’appel de Nantes se prononce sur la légalité d’une décision d’ajournement d’une demande de naturalisation, fondée sur des informations issues du traitement des antécédents judiciaires.
En l’espèce, une ressortissante étrangère a sollicité l’acquisition de la nationalité française. Au cours de l’instruction, l’administration a pris connaissance, par la consultation du traitement des antécédents judiciaires, de faits de violence commis par la postulante en 2015, lesquels avaient donné lieu à un simple rappel à la loi suivi d’un classement sans suite. Se fondant sur ce comportement, le ministre de l’intérieur a, par une décision du 18 août 2021, ajourné à deux ans la demande de naturalisation. Saisi par l’intéressée, le tribunal administratif de Nantes a annulé cette décision par un jugement du 14 mars 2024, au motif que les données n’auraient pas dû être consultables, les faits ayant fait l’objet d’un classement sans suite. Le ministre de l’intérieur a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant la régularité de la consultation et le bien-fondé de son appréciation.
Il appartenait donc à la cour administrative d’appel de déterminer si l’administration pouvait légalement fonder une décision d’ajournement de naturalisation sur des faits portés à sa connaissance par la consultation du traitement des antécédents judiciaires, alors même que les données consultées auraient dû être inaccessibles en vertu de la loi et ont, par la suite, été effacées. La question se posait également de savoir si l’appréciation de ces faits anciens ne caractérisait pas une erreur manifeste.
La cour administrative d’appel de Nantes censure le raisonnement des premiers juges. Elle juge que la légalité de la consultation des données doit s’apprécier à la date à laquelle elle est effectuée, indépendamment du fait que le fichier aurait dû comporter une mention d’inaccessibilité. Elle valide en conséquence l’utilisation de ces informations par l’administration et confirme le large pouvoir d’appréciation du ministre pour en tirer les conséquences sur la demande de naturalisation.
La solution retenue par la cour consacre une approche pragmatique de la légalité de la consultation des fichiers de police (I), ce qui lui permet de réaffirmer avec force le large pouvoir d’appréciation dont dispose l’administration en matière de naturalisation (II).
I. La validation de l’exploitation par l’administration d’informations issues d’un fichier de police
La cour administrative d’appel fonde sa décision sur une analyse stricte de la temporalité de l’accès aux données, considérant que la légalité de la consultation d’un fichier, même non conforme à ce qu’il devrait être, est acquise (A), et que l’effacement postérieur des informations qui y figurent est sans incidence sur leur utilisation par l’administration (B).
A. La légalité de la consultation d’un fichier non conforme
La cour juge que la consultation du traitement des antécédents judiciaires était régulière, car au moment de l’accès, aucune mention d’inaccessibilité n’y figurait. Elle écarte l’argument tiré de l’illégalité de cette consultation en précisant que sont « sans incidence à cet égard les deux circonstances que, d’une part, ces données auraient dû être assorties de cette mention conformément aux dispositions précitées de l’article 230-8 du code de procédure pénale […] et que, d’autre part, par une décision […] postérieure à la consultation […] le procureur de la République […] a décidé l’effacement dans ce fichier ».
Ce faisant, le juge d’appel refuse de faire peser sur l’administration les conséquences d’une erreur qui ne lui est pas imputable, à savoir l’absence de mise à jour du fichier par l’autorité judiciaire compétente. La légalité de l’acte administratif de consultation s’apprécie au jour où il est pris, au regard des informations formellement accessibles à cette date. L’administration n’a pas à vérifier la conformité intrinsèque du fichier qu’elle consulte, mais seulement à respecter les droits d’accès qui lui sont ouverts. Cette solution préserve la sécurité juridique des actes administratifs, qui pourraient être fragilisés par des irrégularités externes et postérieures.
B. L’indifférence de l’effacement ultérieur des données
Dans le prolongement de son raisonnement, la cour écarte l’argument selon lequel la décision d’effacement du fichier, prise par le procureur de la République le 27 juillet 2021, aurait dû faire obstacle à l’édiction de la décision d’ajournement du 18 août 2021. Elle estime que cette circonstance « ne faisait pas obstacle à ce que, pour fonder sa décision, le ministre de l’intérieur tiennent compte de ces faits dont il avait eu connaissance au moyen d’une consultation du traitement des antécédents judiciaires régulièrement effectuée avant l’effacement de ces données ».
La cour opère une distinction fondamentale entre la donnée informatisée et le fait matériel qu’elle relate. Si la décision du procureur a bien pour effet de supprimer l’inscription dans le fichier, elle n’efface pas la réalité des faits commis, ni la connaissance que l’administration en a légalement acquise. L’information, une fois légalement recueillie, intègre le dossier de l’administré et peut être utilisée pour fonder une décision, même si sa source originelle a disparu. Cette approche renforce l’autonomie de l’appréciation administrative par rapport aux vicissitudes du traitement des données judiciaires.
II. La confirmation du large pouvoir d’appréciation de l’autorité administrative en matière de naturalisation
Une fois la légalité de l’utilisation des faits établie, la cour examine l’appréciation qui en a été faite par le ministre. Elle valide cette appréciation en se fondant sur la gravité du comportement de l’intéressée (A) et en jugeant inopérants les autres éléments positifs de son parcours (B).
A. L’appréciation de la gravité d’un comportement isolé et ancien
Face au moyen tiré de l’erreur manifeste d’appréciation, la cour rappelle qu’il « appartient au ministre chargé des naturalisations de porter une appréciation sur l’intérêt d’accorder la naturalisation à l’étranger qui la sollicite ». Elle considère que, nonobstant l’ancienneté des faits et l’absence de poursuites pénales effectives, le ministre a pu légalement prendre en compte le comportement de la postulante.
En jugeant qu' »eu égard à la gravité de ces faits et à leur ancienneté à la date de la décision contestée et compte tenu du large pouvoir d’appréciation dont il dispose, le ministre de l’intérieur n’a pas entaché sa décision d’une erreur manifeste d’appréciation », la cour adopte une position classique en matière de contentieux de la naturalisation. Le contrôle du juge sur l’opportunité de la décision demeure restreint. Un seul fait, même ancien, peut suffire à fonder un ajournement si l’administration l’estime révélateur d’un comportement incompatible avec l’acquisition de la nationalité, sans que le juge y substitue sa propre appréciation.
B. La portée limitée des éléments positifs du dossier de l’intéressée
Enfin, la cour écarte d’un revers de main les arguments relatifs à la bonne insertion de la requérante. Elle juge que « le parcours scolaire et professionnel de l’intéressée ainsi que son insertion sociale sont, eu égard aux motifs de la décision contestée, sans incidence sur la légalité de cette décision ».
Cette affirmation illustre la logique de l’examen d’opportunité mené par l’administration. La naturalisation n’est pas seulement conditionnée par une bonne intégration, mais également par une absence de faits de nature à jeter un doute sur la conduite du postulant. Lorsqu’une décision d’ajournement est fondée sur un comportement jugé défavorable, les éléments tenant à l’insertion sociale et professionnelle, aussi positifs soient-ils, ne peuvent suffire à compenser le motif de refus retenu par l’administration. La cour confirme ainsi que chaque critère d’appréciation conserve son autonomie et qu’un élément négatif sur la conduite peut à lui seul justifier un ajournement.