En matière de contentieux des visas, le juge administratif exerce un contrôle sur les décisions de l’administration qui, bien que disposant d’un large pouvoir d’appréciation, doit fonder ses refus sur des motifs légalement admissibles. Dans une décision rendue le 20 juin 2025, une cour administrative d’appel a été amenée à se prononcer sur la légalité d’un refus de visa de long séjour en qualité de « visiteur ». Une ressortissante étrangère, infirmière à Bahreïn, avait sollicité un tel visa pour s’établir en France auprès de son compagnon, qui s’était engagé à subvenir à ses besoins. Les autorités consulaires françaises avaient rejeté sa demande le 13 février 2023, au motif qu’il existait un risque de détournement de l’objet du visa et que les informations fournies pour justifier le séjour étaient incomplètes ou non fiables. La commission de recours contre les décisions de refus de visa d’entrée en France a implicitement confirmé cette position le 17 juin 2023. Saisi par la requérante, le tribunal administratif de Nantes a, par un jugement du 15 juillet 2024, annulé le refus et enjoint à l’administration de délivrer le visa, considérant les motifs avancés comme erronés. Le ministre de l’intérieur et des outre-mer a alors interjeté appel de ce jugement, demandant à la cour non seulement de l’annuler mais également de valider le refus initial en se fondant sur de nouveaux motifs, à savoir l’absence de nécessité d’un séjour de plus de trois mois et l’insuffisance des ressources personnelles de la demanderesse. La question de droit qui se posait à la cour était donc de savoir si un refus de visa, initialement fondé sur des motifs illégaux, pouvait être régularisé en appel par la substitution d’un nouveau motif tiré de l’insuffisance des ressources propres de la demandeuse, nonobstant l’engagement de prise en charge financière par un tiers. La cour administrative d’appel a répondu par l’affirmative. Après avoir confirmé le caractère illégal des motifs originels du refus, elle a accepté de procéder à la substitution de motif sollicitée par le ministre. Elle a jugé que le défaut de ressources personnelles suffisantes constituait un motif légal de refus, et que l’engagement de prise en charge par le compagnon de l’intéressée ne pouvait y suppléer en l’absence de lien matrimonial ou de pacte civil de solidarité. Estimant que l’administration aurait pris la même décision si elle s’était initialement fondée sur ce motif, la cour a annulé le jugement de première instance et rejeté définitivement la demande de visa.
Cette décision illustre la capacité de l’administration à corriger en cours d’instance une décision initialement mal fondée, grâce à l’office du juge de l’excès de pouvoir (I), tout en appliquant une interprétation stricte des conditions financières requises pour l’obtention d’un visa « visiteur » (II).
I. La régularisation contentieuse d’un refus de visa illégal
La cour administrative d’appel, tout en confirmant le caractère erroné des motifs ayant initialement justifié le refus de visa (A), a néanmoins validé cette décision en acceptant de lui substituer un nouveau motif présenté par l’administration (B).
A. La censure des motifs originels, confirmation d’une jurisprudence établie
Le juge d’appel confirme sans surprise l’analyse des premiers juges quant à l’illégalité des deux motifs avancés par les autorités consulaires. Le premier motif, tiré du risque de détournement de l’objet du visa à des fins migratoires, est écarté par une formule de principe. La cour énonce que « l’existence d’un risque de détournement du visa à des fins migratoires n’est pas de nature à justifier un refus de visa de long séjour en qualité de visiteur, qui permet de séjourner en France pendant une durée supérieure à trois mois et de solliciter, le cas échéant, avant l’expiration de la durée du visa, la délivrance d’un titre de séjour ». Ce faisant, elle rappelle logiquement que la finalité même d’un visa de long séjour est de permettre une installation durable, rendant inopérant le grief d’un risque de maintien sur le territoire. Le second motif, selon lequel les informations communiquées étaient « incomplètes et/ou ne sont pas fiables », est également écarté, le ministre n’ayant d’ailleurs pas contesté devant la cour le caractère manifestement erroné de cette appréciation. La décision initiale de refus était donc privée de toute base légale, ce qui aurait dû en principe conduire à son annulation pure et simple.
B. La validation de la décision par la substitution d’un motif légal
Face à l’illégalité de sa décision, le ministre a usé de la faculté, ouverte en première instance comme en appel, de demander au juge de substituer au motif erroné un nouveau motif, de droit ou de fait, justifiant la même décision. La cour rappelle les conditions de cette substitution : le nouveau motif doit être légal, l’administration aurait pris la même décision en se fondant sur lui, et l’opération ne doit pas priver le requérant d’une garantie procédurale. En l’espèce, le ministre a avancé que l’intéressée ne disposait pas de ressources propres suffisantes. La cour a estimé que « ce motif est de nature à fonder légalement la décision litigieuse ». Elle a ensuite considéré qu’il « résulte de l’instruction que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d’entrée en France aurait pris la même décision en se fondant sur ce seul motif ». Cette technique processuelle permet ainsi à l’administration de « sauver » une décision qui aurait autrement été annulée. Bien que favorisant une bonne administration de la justice en évitant la reprise d’une procédure vouée au même résultat, cette pratique confère un avantage substantiel à l’administration, qui peut ajuster son argumentation au fil du contentieux, et illustre la portée limitée d’une annulation pour un vice de motivation lorsque le fond du droit lui est favorable.
II. L’appréciation restrictive de la condition de ressources pour un visa « visiteur »
La substitution de motif admise par la cour repose sur une conception exigeante de l’autonomie financière du demandeur de visa (A), ce qui conduit à interroger la portée de cette solution au regard du droit au respect de la vie privée et familiale (B).
A. L’exigence de ressources personnelles et l’inefficacité de la prise en charge par un tiers
Pour justifier le refus de visa sur le nouveau motif, la cour se livre à une analyse concrète de la situation financière de la requérante. Elle constate que celle-ci « ne dispose pas de ressources propres suffisantes pour lui permettre de s’installer en France sans y exercer une activité professionnelle ». L’élément déterminant du raisonnement de la cour réside dans le rejet de l’attestation de prise en charge fournie par le compagnon de l’intéressée. La juridiction juge qu’un tel engagement est insuffisant pour pallier le défaut de ressources personnelles, au motif que les membres du couple « ne sont pas mariés ni liés par un pacte civil de solidarité ». Cette position établit une distinction nette entre les formes d’union légalement reconnues et les unions de fait. Seules les premières semblent pouvoir emporter des conséquences juridiques en matière d’évaluation des ressources pour un visa « visiteur ». En exigeant une autonomie financière stricte du demandeur, la cour adopte une approche formaliste qui ne tient pas compte de la réalité économique du projet de vie du couple.
B. Une portée limitée du droit à la vie privée et familiale
Cette interprétation rigoureuse des conditions matérielles du séjour a des conséquences directes sur la protection de la vie privée et familiale. La requérante invoquait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale, garanti par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. La cour écarte ce moyen en considérant que, « compte tenu du caractère relativement récent de la relation » et de la nature du visa sollicité, le refus n’emporte pas une telle atteinte disproportionnée. Cette motivation révèle que, pour le juge, l’intensité du contrôle de proportionnalité varie en fonction de l’ancienneté et de la stabilité du lien familial ou privé invoqué. En qualifiant la relation de « relativement récente » et en la combinant avec une analyse purement administrative des conditions du visa, la cour minimise la portée du projet d’installation commun du couple. Si cette décision s’inscrit dans le cadre du large pouvoir d’appréciation de l’administration en matière d’entrée sur le territoire, elle témoigne d’une certaine réserve à reconnaître les projets de vie familiaux non encore formalisés par un lien juridique, renforçant ainsi les obstacles à l’établissement en France pour les partenaires de citoyens français ou de résidents réguliers.