Cour d’appel administrative de Nantes, le 20 mai 2025, n°24NT01629

La Cour administrative d’appel de Nantes, par une décision du 20 mai 2025, encadre strictement l’usage des renseignements défavorables lors d’une procédure de naturalisation. En l’espèce, l’autorité administrative a prononcé l’ajournement d’une demande de nationalité pour une durée de deux ans en raison d’anciens faits de violences. La requérante a contesté cette mesure devant le tribunal administratif de Nantes qui a prononcé l’annulation de la décision ministérielle le 4 avril 2024. Saisie en appel, la juridiction devait déterminer si de simples mentions dans des fichiers de police justifient légalement le rejet d’une requête de naturalisation. La Cour confirme le jugement de premier ressort en estimant que l’administration a commis une erreur manifeste d’appréciation dans l’examen du dossier présenté. L’analyse de cette affaire impose d’étudier l’exercice du pouvoir d’opportunité par l’autorité administrative (I) pour ensuite s’attacher à la preuve de la matérialité des faits (II).

I. L’exercice d’un large pouvoir d’opportunité sous le contrôle du juge

A. La discrétion administrative dans l’examen de l’intérêt de la naturalisation

L’article 21-15 du code civil dispose que « l’acquisition de la nationalité française par décision de l’autorité publique résulte d’une naturalisation accordée par décret ». L’administration dispose d’une compétence étendue pour apprécier si l’octroi de la citoyenneté est conforme à l’intérêt national au regard du profil du candidat. Dans le cadre de cet examen, elle peut légalement prendre en considération « les renseignements défavorables recueillis sur le comportement du postulant » durant son séjour. Cette évaluation porte non seulement sur la moralité de l’intéressé mais également sur son insertion globale au sein de la communauté nationale française. La décision d’ajournement constitue ainsi une mesure d’attente permettant de vérifier la stabilité du comportement du demandeur sur une période définie par l’autorité.

B. La limite juridictionnelle constituée par l’erreur manifeste d’appréciation

Si le pouvoir de l’administration est vaste, le juge administratif exerce un contrôle de l’erreur manifeste afin de censurer les décisions fondées sur des motifs erronés. L’autorité administrative avait ici retenu une procédure pénale de 2013 relative à des violences conjugales ayant entraîné une incapacité de travail de courte durée. Le juge vérifie si les éléments versés aux débats permettent de qualifier le comportement du postulant comme étant effectivement sujet à des critiques sérieuses. La sanction de l’erreur manifeste garantit que l’exercice de la discrétion administrative ne se transforme pas en un pouvoir arbitraire totalement déconnecté des réalités factuelles. La reconnaissance de cette marge d’appréciation administrative n’exonère toutefois pas l’autorité de respecter une rigueur probatoire stricte quant aux faits reprochés au candidat à la naturalisation.

II. L’exigence de certitude quant à l’imputabilité des faits défavorables

A. L’insuffisance des classements sans suite pour caractériser un comportement critique

Pour justifier l’ajournement, l’administration invoquait un courriel indiquant que « cette affaire a fait l’objet d’un classement sans suite par le parquet […] au motif rappel à la loi ». Or, la Cour souligne que « la circonstance que l’avis de classement désigne [la requérante] comme  » auteur  » n’est pas, par elle-même, susceptible d’établir l’exactitude des faits ». Les procès-verbaux d’audition révélaient des versions divergentes entre les époux, la requérante contestant avoir porté des coups de manière intentionnelle ou agressive. L’absence d’investigations complémentaires ou de condamnation pénale empêche l’administration de tenir pour acquise la réalité des violences physiques imputées initialement par les services de police. Le juge administratif exige ainsi que les renseignements défavorables soient étayés par des éléments de preuve concrets et concordants dépassant la simple mention de fichiers.

B. La portée de la protection des droits du postulant face à l’incertitude probatoire

La décision commentée renforce la protection du candidat en imposant à l’État de fonder ses décisions sur des faits établis « avec suffisamment de certitude ». En l’absence de pièces probantes, le juge considère que l’administration ne pouvait légalement se fonder sur une procédure dont la matérialité demeure contestée par l’intéressée. Cette solution impose une vigilance accrue aux services ministériels lors de l’exploitation des antécédents judiciaires ne débouchant pas sur une condamnation définitive par le juge pénal. L’arrêt confirme que le comportement passé ne peut être opposé au demandeur que s’il est démontré par des pièces dont la teneur est incontestable. L’annulation de l’ajournement conduit ainsi à obliger l’autorité administrative à procéder à un nouvel examen de la demande de naturalisation sans pouvoir réitérer son erreur.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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