Par un arrêt en date du 20 mai 2025, une cour administrative d’appel a précisé les conditions d’exonération fiscale des indemnités versées dans le cadre d’un protocole transactionnel consécutif à une rupture de contrat de travail. En l’espèce, un salarié, ancien mandataire social d’un établissement bancaire, avait été licencié pour un motif personnel non disciplinaire peu après avoir démissionné de son mandat. Un protocole transactionnel fut conclu, prévoyant le versement d’une indemnité conventionnelle de licenciement, d’une indemnité transactionnelle visant à compenser les préjudices liés à la rupture, et d’une indemnité spécifique pour préjudice moral. L’administration fiscale, après une réclamation du contribuable, avait admis l’exonération de la seule indemnité conventionnelle, ce qui conduisit le requérant à saisir la juridiction administrative. Le tribunal administratif de Rennes rejeta sa demande pour le surplus, le poussant à interjeter appel. Il soutenait que son licenciement était en réalité dépourvu de cause réelle et sérieuse, ce qui devait entraîner l’exonération de l’intégralité des sommes perçues en application de l’article 80 duodecies du code général des impôts. Se posait donc au juge d’appel la question de savoir dans quelle mesure il pouvait contrôler la cause du licenciement pour déterminer le régime fiscal d’indemnités transactionnelles, alors même que celles-ci avaient été initialement déclarées par le contribuable. La cour y répond en affirmant qu’il lui appartient « de rechercher la qualification à donner aux sommes qui font l’objet de la transaction » afin de déterminer si la rupture est « assimilable » à un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Procédant à cet examen, elle a estimé les motifs de licenciement insuffisamment établis et a ainsi jugé que les indemnités litigieuses n’étaient pas imposables. Cette décision illustre le pouvoir de qualification du juge fiscal en matière d’indemnités de rupture (I), dont la mise en œuvre aboutit à une solution favorable au contribuable (II).
I. La réaffirmation du pouvoir de contrôle du juge de l’impôt sur la qualification des indemnités de rupture
La cour administrative d’appel rappelle avec clarté l’autonomie dont dispose le juge fiscal pour apprécier la nature véritable des sommes versées lors d’une rupture de contrat de travail (A), écartant ainsi une application rigoureuse du régime de la preuve qui aurait pu peser sur le contribuable (B).
A. L’autonomie du juge fiscal dans l’appréciation de la cause du licenciement
L’arrêt énonce sans ambiguïté que la qualification fiscale des indemnités transactionnelles ne dépend pas de la terminologie employée par les parties, mais d’une analyse souveraine menée par le juge. En effet, celui-ci doit rechercher si les sommes versées « sont susceptibles d’être regardées comme une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ». Pour ce faire, il lui faut examiner si « la rupture des relations de travail est assimilable à un tel licenciement ». Cette démarche consacre la primauté de la réalité des faits sur la présentation qui en est faite dans les actes juridiques, comme le protocole d’accord ou la lettre de licenciement. Le juge n’est donc pas lié par la qualification retenue par l’employeur, ni par l’accord des parties. Il se livre à son propre examen des circonstances de la rupture pour en déterminer la véritable nature, ce qui lui permet de faire entrer les indemnités versées dans le champ des exonérations prévues par l’article 80 duodecies du code général des impôts, dès lors que le licenciement apparaît infondé.
B. L’inapplicabilité du régime de preuve renforcée à la charge du contribuable
De manière significative, la cour écarte l’application de l’article R. 194-1 du livre des procédures fiscales, qui impose en principe au contribuable ayant souscrit une déclaration de démontrer le caractère exagéré de son imposition s’il la conteste ultérieurement. L’arrêt précise que la détermination de la nature des indemnités se fait « au vu de l’instruction », ce qui rend ces dispositions non applicables. Le raisonnement sous-jacent est que la qualification juridique d’un revenu n’est pas une simple question de fait abandonnée à la seule déclaration du contribuable, mais une prérogative du juge de l’impôt. En procédant à cette qualification, le juge ne se borne pas à corriger une erreur matérielle du déclarant, mais exerce pleinement son office d’interprétation de la loi fiscale. Cette solution protège le contribuable contre une charge de la preuve excessive dans une situation où la nature juridique des sommes perçues est complexe et sujette à débat.
II. La mise en œuvre concrète du contrôle judiciaire sur les faits de l’espèce
Fort de ces principes, le juge d’appel procède à une analyse factuelle détaillée qui révèle l’insuffisance des motifs du licenciement (A), ce qui le conduit à prononcer une exonération fiscale étendue de l’ensemble des indemnités transactionnelles (B).
A. L’appréciation de l’insuffisance des motifs de licenciement énoncés
La cour examine de près la lettre de licenciement, qui justifiait la rupture par les « réticences » du salarié « à l’égard de plusieurs orientations stratégiques » et son « refus de participer à la mise en œuvre de ces orientations ». Le juge considère cependant que ce courrier « ne comporte aucune précision quant aux griefs reprochés ». Il relève également la proximité temporelle suspecte entre la démission du mandat social et l’engagement de la procédure de licenciement. De plus, la cour écarte un argument de l’administration fondé sur des articles de presse, au motif qu’il n’est pas justifié. Par cette analyse minutieuse, qui s’apparente à celle d’un juge prud’homal, la cour conclut que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse. Cet examen concret montre que le contrôle du juge fiscal n’est pas purement théorique, mais qu’il implique une véritable appréciation de la matérialité et du sérieux des griefs formulés par l’employeur.
B. La portée de l’exonération fiscale en résultant
La conséquence de cette requalification est l’exonération totale des deux indemnités transactionnelles qui restaient en litige. L’arrêt ne fait pas de distinction entre l’indemnité générale et celle visant à réparer un « préjudice moral distinct » lié à des « circonstances vexatoires ». Les deux sont considérées comme la contrepartie d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, et donc exonérées. Cette solution confirme une approche large, où toutes les sommes qui trouvent leur origine dans le caractère illégitime de la rupture bénéficient de l’exonération fiscale, dès lors qu’elles ont une nature indemnitaire. La décision illustre ainsi l’enjeu financier majeur que représente le pouvoir de requalification du juge de l’impôt, capable de modifier substantiellement la situation fiscale d’un contribuable en se fondant sur une analyse approfondie des faits à l’origine du versement des indemnités.