La présente décision, rendue par la Cour administrative d’appel de Nantes le 23 mai 2025, offre une illustration précise du contrôle exercé par le juge administratif sur les refus de visa de long séjour motivés par des doutes quant à l’authenticité d’actes d’état civil étrangers. En l’espèce, une ressortissante française, naturalisée en 2021, s’est vu opposer par les autorités consulaires en République démocratique du Congo un refus de visa pour ses deux enfants allégués. Saisie d’un recours obligatoire, la commission de recours contre les refus de visa d’entrée en France a implicitement confirmé cette position. La requérante a alors saisi le tribunal administratif de Nantes, qui a rejeté sa demande par un jugement du 26 mai 2023. La mère a interjeté appel de ce jugement. En cours d’instance d’appel, l’un des enfants est décédé, conduisant la cour à prononcer un non-lieu à statuer partiel. Le litige subsistait donc uniquement pour le second enfant, la requérante soutenant que la décision de refus était irrégulière en la forme et mal fondée au fond, le lien de filiation étant selon elle suffisamment établi. Le problème de droit soulevé par cet arrêt est donc de savoir dans quelle mesure le juge administratif peut, en application de l’article 47 du code civil, écarter la force probante d’actes d’état civil et de jugements supplétifs étrangers successifs lorsqu’ils présentent des contradictions manifestes, pour confirmer un refus de visa fondé sur un lien de filiation. La Cour administrative d’appel rejette le recours, considérant que l’accumulation d’incohérences et de discordances entre les différents actes de naissance produits prive ceux-ci de toute force probante et justifie légalement la décision de l’administration.
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I. L’exercice du contrôle de la force probante des actes d’état civil étrangers
La Cour administrative d’appel, pour confirmer le rejet de la demande de visa, se livre à une analyse rigoureuse des pièces produites, ce qui la conduit à écarter leur valeur probante en raison de contradictions substantielles.
A. Le principe de la recevabilité des preuves contre les actes étrangers
Le juge administratif rappelle le cadre juridique applicable à l’évaluation des actes d’état civil établis hors de France. Il se fonde sur l’article 47 du code civil, lequel dispose que « Tout acte de l’état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi ». Toutefois, ce même article tempère immédiatement cette présomption en précisant qu’elle tombe « si d’autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ». C’est sur le fondement de cette exception que l’administration, puis le juge, construisent leur raisonnement. L’arrêt confirme ainsi que si l’administration ne peut en principe contester le bien-fondé d’une décision juridictionnelle étrangère, elle conserve la pleine faculté d’en vérifier la régularité et l’absence de fraude. Il appartient alors au juge administratif, en cas de contestation, « de former sa conviction au vu de l’ensemble des éléments produits par les parties ». Cette approche pragmatique confère au juge un pouvoir d’appréciation étendu, lui permettant d’aller au-delà de la simple apparence des documents pour en scruter la cohérence et la vraisemblance matérielle.
B. La caractérisation de contradictions matérielles dirimantes
Appliquant ce principe au cas d’espèce, la cour met en évidence une série d’incohérences qui affectent les documents fournis par la requérante. Le juge relève d’abord « la coexistence de deux actes de naissance pour le même enfant, dressés par deux services d’état-civil différents ». Cette situation est aggravée par une « discordance entre les mentions de ces deux actes quant à l’identité du père de l’enfant ». Loin de clarifier la situation, la production de jugements supplétifs successifs ne fait qu’amplifier le doute. Un premier jugement supplétif a été rendu au motif que l’enfant ne disposait pas d’acte de naissance, alors même qu’un acte antérieur existait déjà. Puis, un second jugement supplétif a été produit en appel, annulant certains actes mais pas tous, et faisant état d’un quatrième acte de naissance jusqu’alors inconnu de l’administration. Face à cet enchevêtrement de documents contradictoires, le juge conclut que la requérante « n’apporte aucune explication » plausible. La cour estime en conséquence que « les actes d’état-civil produits ne permettent pas d’établir l’identité et le lien de filiation de l’enfant ». Cette démonstration factuelle, précise et méthodique, illustre parfaitement la manière dont le juge utilise son pouvoir de conviction pour écarter des pièces qui, bien que revêtues d’une apparence officielle, sont privées de toute crédibilité par leurs contradictions internes et mutuelles.
II. La confirmation d’une solution classique en matière de police des étrangers
Au-delà de l’analyse factuelle, la décision s’inscrit dans une logique jurisprudentielle bien établie, tant par la neutralisation des moyens procéduraux que par la portée limitée de sa solution.
A. La neutralisation des moyens de légalité externe
La requérante soulevait des arguments de procédure, notamment le défaut de motivation et la méconnaissance de l’article L. 114-5 du code des relations entre le public et l’administration. La cour les écarte sans difficulté. Concernant la motivation, elle juge que le refus, qui s’appropriait les motifs de la décision consulaire, était suffisant. Les raisons, à savoir que « le document d’état-civil présenté en vue d’établir la filiation n’est pas conforme au droit local » et que « les informations communiquées pour justifier les conditions du séjour sont incomplètes et/ou ne sont pas fiables », permettaient à l’intéressée de comprendre le fondement du rejet et de le contester utilement. Quant à l’obligation pour l’administration d’inviter à compléter un dossier, le juge estime qu’elle n’était pas applicable. En effet, la commission de recours « n’ayant pas fondé sa décision sur le caractère incomplet de la demande », mais sur le manque de fiabilité des pièces fournies, elle n’avait pas à solliciter des documents supplémentaires. Ces rejets confirment que le juge, en matière de contentieux des visas, tend à faire prévaloir l’examen au fond sur les vices de forme, dès lors que ceux-ci n’ont pas privé le requérant d’une garantie essentielle.
B. La portée d’une décision d’espèce
Cet arrêt ne constitue pas un revirement de jurisprudence mais plutôt une application rigoureuse de principes constants. Le large pouvoir d’appréciation reconnu à l’administration en matière de délivrance de visas, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, est ici réaffirmé. La solution est avant tout une décision d’espèce, dont la justification repose entièrement sur les faits particuliers et les incohérences documentaires propres au dossier. La portée de l’arrêt est donc moins de créer un nouveau principe que de rappeler avec force les exigences de preuve qui pèsent sur le demandeur de visa. Il illustre le seuil de cohérence attendu dans la production de documents d’état civil étrangers et confirme que la multiplication de pièces contradictoires, loin de renforcer un dossier, conduit inexorablement à sa fragilisation. En définitive, cette décision a une valeur pédagogique : elle souligne que la présomption de validité des actes étrangers est fragile et ne résiste pas à un examen factuel démontrant une absence manifeste de fiabilité. Elle s’inscrit ainsi dans le courant jurisprudentiel constant visant à concilier le droit à mener une vie familiale normale et la nécessité pour l’État de contrôler les flux migratoires et de prévenir la fraude documentaire.