Cour d’appel administrative de Nantes, le 23 mai 2025, n°25NT01121

Par un arrêt en date du 23 mai 2025, le président d’une cour administrative d’appel a été amené à se prononcer sur la recevabilité d’une demande de sursis à exécution d’un jugement ayant rejeté un recours en annulation. En l’espèce, une ressortissante étrangère s’était vu refuser la délivrance d’un visa de long séjour à des fins professionnelles par les autorités consulaires. La commission de recours contre les décisions de refus de visa d’entrée en France ayant implicitement rejeté le recours préalable obligatoire, l’intéressée avait saisi le tribunal administratif. Ce dernier a rejeté sa demande tendant à l’annulation de la décision de la commission. La requérante a alors interjeté appel de ce jugement et a, par une requête distincte, sollicité qu’il soit sursis à son exécution. Elle soutenait que l’exécution de ce jugement risquait d’entraîner des conséquences difficilement réparables et que ses moyens d’appel étaient sérieux. La question se posait donc de savoir si un jugement se bornant à rejeter une demande d’annulation constitue une décision susceptible de faire l’objet d’un sursis à exécution. La cour administrative d’appel rejette la demande au motif qu’un tel jugement de rejet n’emporte par lui-même aucune mesure d’exécution. Dès lors, la procédure de sursis à exécution, qui vise à suspendre les effets d’une décision, est sans objet.

I. L’inapplicabilité de principe du sursis à exécution à un jugement de rejet

Le juge des référés fonde sa décision sur une analyse stricte de la nature même du jugement dont la suspension est demandée, ce qui le conduit à écarter l’examen des conditions de fond habituellement requises.

A. Un jugement purement déclaratoire et dépourvu d’effets exécutoires

La solution repose sur une distinction fondamentale entre les jugements d’annulation et les jugements de rejet. Un jugement qui annule une décision administrative modifie l’ordonnancement juridique en faisant disparaître rétroactivement l’acte contesté. À l’inverse, un jugement qui rejette un recours en annulation se limite à constater la légalité de la décision administrative attaquée, la maintenant ainsi en vigueur. Il possède un caractère déclaratoire et ne crée aucune situation de droit ou de fait nouvelle. La juridiction d’appel le souligne en affirmant que le jugement attaqué « n’entraîne par lui-même aucune mesure d’exécution susceptible de faire l’objet du sursis prévu à l’article R. 811-17 du code de justice administrative ». En l’absence de toute mesure d’exécution, la demande de suspension devient logiquement sans objet. Le préjudice dont se prévaut la requérante, à savoir la perte d’une opportunité d’emploi, ne découle pas du jugement de rejet mais bien de la décision administrative initiale de refus de visa, que le jugement n’a fait que valider.

B. La neutralisation des conditions de recevabilité du sursis

En conséquence directe de cette analyse, le juge n’examine pas les deux conditions cumulatives posées par l’article R. 811-17 du code de justice administrative. La requérante invoquait pourtant tant le risque de conséquences difficilement réparables que le caractère sérieux des moyens soulevés dans sa requête au fond. Ces arguments sont cependant rendus inopérants par le constat préalable de l’absence de caractère exécutoire du jugement. Le raisonnement du juge des référés démontre une application rigoureuse de la procédure, où la recevabilité de la demande est appréciée avant tout au regard de son objet même. Cette approche formaliste évite au juge de devoir se prononcer, même de manière provisoire, sur le fond de l’affaire ou sur la situation personnelle du demandeur lorsque la procédure de référé est manifestement inadaptée.

II. La portée circonscrite de la solution et la protection des justiciables

Bien que rigoureuse sur le plan procédural, cette décision interroge sur la protection effective du justiciable face à l’administration et confirme le caractère exceptionnel de la suspension d’un jugement de rejet.

A. Une interprétation stricte potentiellement préjudiciable aux droits du requérant

La position adoptée, si elle est juridiquement fondée, peut apparaître sévère pour le justiciable. En effet, la procédure d’appel n’étant pas suspensive, la décision de refus de visa continue de produire tous ses effets pendant la durée de l’instance. Le requérant peut ainsi subir un préjudice irréversible avant même que le juge d’appel n’ait statué sur la légalité du jugement de première instance. La décision commentée illustre une certaine tension entre la logique procédurale et la nécessité d’assurer une protection juridictionnelle effective en urgence. Elle contraint le justiciable dont la demande est rejetée en première instance à attendre l’issue de son appel, sans pouvoir obtenir une mesure provisoire suspendant les effets de la décision administrative qu’il conteste, alors même que les conséquences de celle-ci peuvent être graves.

B. Le maintien d’une exception pour les jugements de rejet à portée spécifique

Toutefois, la portée de la décision doit être nuancée. Le juge prend soin d’indiquer que le sursis à exécution n’est possible « que dans l’hypothèse où ce rejet a modifié la situation de droit ou de fait du demandeur ». Il réserve ainsi l’éventualité où un jugement de rejet ne serait pas purement déclaratoire. Tel pourrait être le cas si, au-delà du simple rejet de la demande d’annulation, le jugement comportait dans ses motifs ou son dispositif des éléments créant des obligations nouvelles pour le requérant ou modifiant sa situation. Cette réserve, bien que d’application très limitée en pratique, maintient une soupape de sécurité pour des cas de figure atypiques. L’arrêt confirme donc une jurisprudence bien établie qui fait du caractère non exécutoire des jugements de rejet le principe, tout en ménageant la possibilité d’une exception pour des situations où le jugement produirait par lui-même des effets juridiques propres allant au-delà de la seule confirmation de l’acte administratif initial.

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Hassan KOHEN
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