Cour d’appel administrative de Nantes, le 24 décembre 2024, n°24NT00716

Par un arrêt en date du 24 décembre 2024, la Cour administrative d’appel de Nantes a précisé les contours de l’office du juge administratif dans le contentieux du droit au séjour des étrangers malades. En l’espèce, une ressortissante étrangère, titulaire depuis plusieurs années d’un titre de séjour pour raisons de santé, sollicitait le renouvellement de celui-ci. Son état nécessitait la poursuite d’un traitement médical spécifique en France. Le préfet de la Sarthe a toutefois rejeté sa demande par une décision du 10 octobre 2022, se fondant sur un avis du collège de médecins de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) concluant à la disponibilité d’un traitement approprié dans le pays d’origine de l’intéressée. Saisi par la requérante, le tribunal administratif de Nantes a annulé cette décision par un jugement du 11 janvier 2024, estimant que l’administration n’établissait pas la possibilité pour l’étrangère de bénéficier effectivement d’un traitement adéquat. Le préfet a alors interjeté appel de ce jugement. Il revenait donc à la cour de déterminer si, au regard des éléments produits par les parties, le refus de renouvellement de titre de séjour était légal, et plus particulièrement de définir la charge de la preuve pesant sur l’étranger lorsque l’administration oppose un avis de l’OFII qui lui est défavorable. La Cour administrative d’appel de Nantes annule le jugement de première instance et rejette la demande de l’étrangère, considérant que celle-ci n’a pas apporté la preuve suffisante pour renverser la présomption de disponibilité d’un traitement découlant de l’avis du collège de médecins.

L’arrêt illustre ainsi la portée probatoire conférée à l’avis médical de l’OFII, qui impose à l’étranger une charge de la preuve particulièrement exigeante (I), tout en confirmant une interprétation restrictive des autres garanties procédurales et substantielles invoquées (II).

I. La consolidation de la portée probatoire de l’avis médical de l’Office français de l’immigration et de l’intégration

La décision de la cour réaffirme le principe selon lequel l’avis du collège de médecins de l’OFII constitue un élément central de l’appréciation du préfet, établissant une présomption de disponibilité du traitement (A) que seule une preuve contraire et circonstanciée de la part de l’étranger peut renverser (B).

A. La présomption de disponibilité effective du traitement dans le pays d’origine

Le raisonnement de la juridiction d’appel s’articule autour de l’article L. 425-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Ce texte subordonne la délivrance d’un titre de séjour à la double condition que l’état de santé de l’étranger nécessite une prise en charge médicale dont le défaut aurait des conséquences d’une exceptionnelle gravité et qu’il ne puisse bénéficier effectivement d’un traitement approprié dans son pays d’origine. La cour rappelle sa jurisprudence constante sur la répartition de la charge de la preuve en la matière. Elle énonce que « la partie qui justifie d’un avis du collège des médecins de l’Office français de l’immigration et de l’intégration qui lui est favorable doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l’existence ou l’absence d’un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d’un titre de séjour ». En l’espèce, l’avis de l’OFII, bien que reconnaissant la gravité de l’état de santé de l’intéressée, concluait à la possibilité pour elle de bénéficier d’un traitement approprié dans son pays. Cet avis, favorable à l’administration, suffisait donc à établir une présomption simple que le préfet était en droit de suivre pour fonder sa décision de refus.

B. L’exigence d’une preuve contraire circonstanciée à la charge de l’étranger

Face à cette présomption, il incombait à la requérante d’apporter des éléments probants de nature à la contredire. La cour se livre à une analyse détaillée des arguments de l’étrangère, qui soutenait que le traitement spécifique qu’elle recevait n’était pas disponible dans son pays d’origine et ne pouvait être substitué par les molécules qui y sont accessibles. Cependant, les juges d’appel estiment que ces allégations ne sont pas suffisamment étayées. Ils relèvent que l’intéressée « ne justifie ni du caractère non substituable de ce traitement, ni de l’échec thérapeutique avec un autre traitement ». Cette formule souligne le degré de précision attendu de la part du demandeur. La simple affirmation de l’indisponibilité d’un médicament ou de l’impossibilité d’une substitution ne suffit pas. L’étranger doit produire des pièces médicales précises, telles que des attestations de spécialistes ou des résultats d’analyses démontrant une résistance à d’autres traitements, pour combattre efficacement les conclusions de l’OFII. En l’absence de tels éléments, et face aux informations produites par l’administration sur la disponibilité de nombreux autres antirétroviraux, la cour conclut que la présomption n’est pas renversée.

Après avoir tranché la question centrale de la charge de la preuve, la cour examine, par l’effet dévolutif de l’appel, les autres moyens soulevés par la requérante, confirmant une approche rigoureuse de la légalité de la décision préfectorale.

II. Le rejet des moyens subsidiaires fondé sur une application stricte des règles de procédure et de fond

La cour écarte également les autres arguments de la requérante, qu’ils portent sur la régularité de la procédure suivie pour l’émission de l’avis médical (A) ou sur le respect de ses droits fondamentaux (B), confirmant la marge d’appréciation limitée du juge sur ces aspects.

A. La validation de la régularité formelle de l’avis du collège de médecins

La requérante soulevait plusieurs vices de procédure affectant l’avis du collège de médecins. La cour rejette ces moyens en s’appuyant sur une jurisprudence bien établie. Elle rappelle d’abord qu’aucune disposition n’impose au préfet de communiquer à l’étranger l’avis de l’OFII avant de prendre sa décision. Ensuite, elle considère que la mention « Après en avoir délibéré, le collège des médecins de l’Office français de l’immigration et de l’intégration émet l’avis suivant » fait foi du caractère collégial de la délibération jusqu’à preuve du contraire, preuve que la requérante ne rapportait pas. Enfin, s’agissant de la composition du collège, la cour se satisfait des pièces versées par l’administration démontrant que le médecin auteur du rapport médical initial n’a pas siégé au sein du collège délibérant. Cette position témoigne d’un contrôle formel de la procédure, le juge se refusant à remettre en cause la régularité de l’avis sur la base de simples allégations.

B. L’appréciation restrictive de l’atteinte à la vie privée et familiale

La requérante invoquait enfin une atteinte à son droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. La cour écarte ce moyen de manière concise mais significative. Elle relève que si l’intéressée fait valoir une intégration professionnelle, elle « n’allègue ni ne démontre disposer en France d’attaches personnelles ou familiales suffisamment anciennes, stables et durables pour établir une atteinte disproportionnée ». Cet attendu rappelle que l’intégration par le travail, si elle est un élément d’appréciation, ne suffit pas à elle seule à caractériser une vie privée et familiale au sens de la convention. Le juge exige la démonstration de liens personnels d’une intensité particulière, appliquant une grille d’analyse stricte qui laisse une marge d’appréciation importante à l’autorité administrative pour refuser le séjour lorsque de tels liens ne sont pas établis.

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Hassan KOHEN
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