En l’espèce, une ressortissante étrangère, mère d’un enfant français, a sollicité le renouvellement de son titre de séjour. Le préfet a opposé un refus à cette demande au motif qu’elle n’établissait pas que le père de l’enfant, de nationalité française, contribuait effectivement à son entretien et à son éducation, condition requise par le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Saisi par l’intéressée, le tribunal administratif de Nantes a annulé cette décision par un jugement du 20 mars 2024. Pour ce faire, les premiers juges ont pris en considération un jugement du juge aux affaires familiales, postérieur à la décision préfectorale, qui fixait la contribution du père à l’entretien de l’enfant. Le préfet a interjeté appel de ce jugement, soutenant que le tribunal ne pouvait légalement se fonder sur un élément de fait et de droit postérieur à sa décision pour en apprécier la légalité.
La question de droit soumise à la Cour administrative d’appel de Nantes était double. D’une part, il s’agissait de déterminer si, dans le cadre du contrôle de la légalité d’un refus de titre de séjour, le juge administratif peut tenir compte d’une décision de justice intervenue postérieurement à l’acte administratif contesté. D’autre part, et en cas de réponse négative, il lui appartenait d’examiner si le refus de séjour, apprécié au regard des seules circonstances de fait et de droit existant à la date de son édiction, portait une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de la requérante et méconnaissait l’intérêt supérieur de son enfant.
Par un arrêt du 24 décembre 2024, la Cour administrative d’appel de Nantes censure le raisonnement du tribunal administratif. Elle rappelle que la légalité d’une décision administrative s’apprécie à la date à laquelle elle a été prise, et qu’un jugement postérieur fixant une obligation alimentaire ne peut donc être invoqué pour contester un refus de séjour antérieur. Statuant par l’effet dévolutif de l’appel, la cour examine ensuite les autres moyens soulevés et juge que le refus de titre de séjour ne constitue ni une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de l’intéressée, ni une méconnaissance de l’intérêt supérieur de son enfant, eu égard notamment à la durée de son séjour en France, à l’absence d’isolement dans son pays d’origine et au jeune âge de l’enfant.
L’arrêt illustre avec rigueur la temporalité du contrôle de légalité exercé par le juge de l’excès de pouvoir (I), avant de procéder à une appréciation concrète des droits fondamentaux invoqués par la requérante (II).
I. La réaffirmation d’une orthodoxie temporelle dans le contrôle de légalité
La cour administrative d’appel rappelle fermement que l’appréciation de la légalité d’un acte administratif est strictement cantonnée aux circonstances de droit et de fait prévalant à la date de son édiction (A), conférant ainsi une portée très limitée, dans le cadre de ce litige, au jugement postérieur du juge judiciaire (B).
A. Le rejet d’un élément postérieur à la décision préfectorale
Le litige en première instance s’était cristallisé sur la prise en compte d’un jugement du juge aux affaires familiales du 23 février 2021. Ce jugement condamnait le père de l’enfant à verser une contribution mensuelle pour son entretien. Le tribunal administratif avait estimé que cette décision de justice suffisait à remplir la condition posée par l’ancien article L. 313-11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, et avait en conséquence annulé le refus de séjour du 14 septembre 2020.
La cour d’appel censure cette analyse en se fondant sur un principe cardinal du contentieux administratif. Elle énonce que le jugement du juge judiciaire « est postérieur à la date de la décision contestée et ne saurait permettre de retenir que les conditions prévues par les dispositions précitées étaient satisfaites à la date de son édiction ». Ce faisant, elle applique la règle constante selon laquelle le juge de l’excès de pouvoir se place à la date de la décision attaquée pour en apprécier la légalité. Les faits postérieurs, même s’ils modifient la situation de l’administré, sont en principe inopérants dans ce cadre contentieux. Cette solution garantit la sécurité juridique et préserve la cohérence de l’action administrative, qui ne saurait être invalidée a posteriori par des événements qu’elle ne pouvait connaître.
B. La portée limitée du jugement du juge aux affaires familiales
L’arrêt précise implicitement le rôle dévolu à la décision de justice mentionnée par le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Ces dispositions prévoient qu’un étranger, parent d’un enfant français, peut justifier de la contribution de l’autre parent à l’entretien de l’enfant soit par la preuve de versements effectifs, soit en produisant une décision de justice. La cour rappelle qu’il « appartient seulement au demandeur de produire la décision de justice intervenue, quelles que soient les mentions de celle-ci ».
Toutefois, la décision commentée souligne que cette production doit intervenir en temps utile. Le jugement du juge aux affaires familiales, s’il avait existé à la date de la décision préfectorale, aurait contraint l’administration à octroyer le titre de séjour, sans même avoir à vérifier l’exécution effective des paiements. En l’espèce, son caractère tardif le rend inefficace pour contester la légalité du refus. La portée de l’arrêt est donc pédagogique : il rappelle aux administrés que la constitution de leur dossier et l’obtention des pièces justificatives nécessaires doivent impérativement précéder la décision de l’administration, sous peine de ne pouvoir s’en prévaloir utilement devant le juge de l’excès de pouvoir.
II. L’appréciation restrictive du droit au respect de la vie privée et familiale
Ayant écarté le motif d’annulation retenu par les premiers juges, la cour procède, en vertu de l’effet dévolutif de l’appel, à l’examen des autres moyens soulevés. Elle exerce alors un contrôle de proportionnalité classique au regard des stipulations de la Convention européenne des droits de l’homme (A), dont l’issue est défavorable à la requérante, notamment au travers d’une interprétation stricte de la notion d’intérêt supérieur de l’enfant (B).
A. Le contrôle de proportionnalité au regard de l’article 8 de la CESDH
La requérante invoquait une atteinte à son droit au respect de sa vie privée et familiale, garanti par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. La cour se livre à une mise en balance entre les intérêts en présence : d’un côté, le droit de l’État à maîtriser les flux migratoires, et de l’autre, le droit de l’intéressée au maintien de ses liens familiaux en France.
Pour conclure à l’absence d’atteinte disproportionnée, la cour relève plusieurs éléments factuels : la présence de la requérante en France depuis seulement trois ans à la date de la décision, son statut de célibataire, et le fait qu’elle ne prétend pas être dépourvue d’attaches dans son pays d’origine où elle a vécu jusqu’à l’âge de vingt-huit ans. La décision énonce ainsi que « la décision en litige portant refus de titre de séjour ne peut être regardée comme ayant porté au droit de Mme B… au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts de cette mesure ». Cette motivation, bien que classique, démontre le caractère concret de l’appréciation menée par le juge, qui refuse de déduire automatiquement un droit au séjour de la seule existence d’un lien de filiation avec un enfant français.
B. L’interprétation de l’intérêt supérieur de l’enfant
Enfin, l’arrêt se prononce sur le moyen tiré de la méconnaissance de l’article 3-1 de la Convention internationale des droits de l’enfant. La cour juge que l’intérêt supérieur de l’enfant, bien qu’il doive être une considération primordiale, n’emporte pas de conséquences automatiques sur le droit au séjour de son parent. Le raisonnement des juges s’appuie principalement sur le jeune âge de l’enfant, âgé de deux ans seulement à la date de l’arrêté.
Selon la cour, cet intérêt « n’implique pas nécessairement qu’un titre de séjour soit délivré à Mme B…, alors que celle-ci n’établit, ni n’allègue d’ailleurs, qu’elle serait dans l’impossibilité de se réinsérer dans son pays d’origine ». Cette approche révèle que, pour le juge, la possibilité pour le noyau familial de se reconstituer hors de France est un facteur déterminant. L’intérêt de l’enfant n’est donc pas conçu comme un droit absolu à grandir sur le territoire français, mais comme le droit de ne pas être séparé de son parent, une condition qui peut être satisfaite y compris en cas de retour de ce dernier dans son pays d’origine. Cette solution confirme une jurisprudence constante qui refuse de faire de l’intérêt de l’enfant un obstacle dirimant à toute mesure d’éloignement de son parent en situation irrégulière.