Cour d’appel administrative de Nantes, le 24 décembre 2024, n°24NT01438

Par un arrêt en date du 24 décembre 2024, la Cour administrative d’appel de Nantes s’est prononcée sur les modalités de calcul des ressources pour l’attribution d’une bourse nationale de collège. En l’espèce, une mère avait sollicité l’octroi d’une bourse pour son fils scolarisé en classe de cinquième. L’administration avait rejeté sa demande au motif que le revenu fiscal de référence de son foyer dépassait le plafond réglementaire. Ce revenu incluait non seulement les siens, mais également ceux de son fils aîné majeur, rattaché à son foyer fiscal. La requérante a saisi le tribunal administratif de Rennes, qui a annulé la décision de refus en jugeant que les revenus de l’enfant majeur n’auraient pas dû être pris en compte. Le ministre de l’éducation nationale a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant que la réglementation imposait de considérer l’ensemble des revenus figurant sur l’avis d’imposition. La question posée à la cour était donc de savoir si, pour l’appréciation des ressources ouvrant droit à une bourse de collège, il convient de prendre en compte l’intégralité du revenu fiscal de référence du foyer ou s’il y a lieu d’en déduire les revenus perçus par un enfant majeur qui y est rattaché. La cour administrative d’appel a infirmé le jugement de première instance, donnant ainsi raison à l’administration. Elle a jugé que les articles L. 531-1 et D. 531-4 du code de l’éducation commandent de retenir le revenu fiscal de référence tel qu’il est établi sur l’avis d’imposition, sans prévoir de mécanisme de déduction pour les revenus d’un enfant majeur rattaché.

La solution retenue par la cour, fondée sur une lecture stricte des textes, consacre une approche rigoureuse de la notion de ressources (I), dont la logique juridique n’exclut cependant pas des conséquences socialement discutables (II).

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I. L’application littérale des critères d’éligibilité à la bourse

La cour administrative d’appel fonde sa décision sur une interprétation rigoureuse des dispositions du code de l’éducation. Elle opère une distinction claire entre l’auteur de la demande de bourse et le périmètre du foyer dont les ressources sont évaluées (A), ce qui la conduit à conférer une force quasi absolue au revenu fiscal de référence mentionné sur l’avis d’imposition (B).

A. La distinction entre la personne assumant la charge de l’élève et le foyer fiscal de référence

Le juge d’appel s’attache à une analyse précise de l’article D. 531-4 du code de l’éducation. Il en ressort que si la demande de bourse doit être présentée par la personne qui assume la charge « effective et permanente de l’élève », l’appréciation des ressources, elle, ne se limite pas aux seuls revenus de cette personne. La cour souligne ainsi que les textes « font une distinction entre la personne qui présente la demande » et les « modalités d’examen du droit à bourse » qui, elles, « doivent prendre en considération les ressources de l’ensemble des membres du foyer fiscal ». Cette dissociation est au cœur du raisonnement du juge. Elle signifie que la qualité de demandeur, liée à la charge effective de l’enfant, ne détermine pas la méthode de calcul des ressources, laquelle repose sur une base plus large et purement fiscale.

En procédant de la sorte, la cour refuse d’aligner la notion de charge de l’élève, qui relève d’une situation de fait, sur la composition du revenu, qui est une construction juridique et fiscale. Le foyer fiscal devient ainsi l’unique référentiel pour l’administration, indépendamment de la manière dont les revenus sont générés ou répartis au sein de ce foyer. Cette lecture empêche toute appréciation individualisée de la capacité contributive de la personne ayant la charge de l’enfant.

B. La force probante attachée au revenu fiscal de référence

Découlant logiquement de cette première distinction, la cour réaffirme le caractère intangible du revenu fiscal de référence comme seul critère d’évaluation des ressources. Le code de l’éducation prévoit expressément que « le revenu fiscal de référence, tel qu’il figure sur l’avis d’imposition », est celui qui doit être retenu. Le juge en déduit qu’il n’existe aucune marge d’appréciation pour l’administration, ni pour lui-même, afin de modifier cette base de calcul. La solution est énoncée sans ambiguïté lorsqu’il est affirmé que « les dispositions précitées ne prévoient pas de retenir les seuls revenus de la ou des personnes assumant la charge effective et permanente de l’élève ». Le revenu fiscal de référence constitue un bloc indivisible.

Cette approche est confortée par le rejet de l’autre moyen soulevé par la requérante, relatif à la baisse de ses revenus l’année suivante. En écartant cet argument comme étant sans incidence sur la légalité de la décision, la cour rappelle que l’appréciation des ressources s’effectue à un instant précis, sur la base de l’avis d’imposition de l’année de référence, et non en fonction de la situation financière actuelle ou future de la famille. Le mécanisme se veut ainsi totalement objectif, excluant toute considération subjective ou circonstancielle.

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II. La portée d’une solution juridiquement fondée mais socialement rigide

En annulant le jugement du tribunal administratif, la cour administrative d’appel restaure une orthodoxie juridique qui privilégie la sécurité et l’objectivité (A). Toutefois, cette rigueur formelle met en lumière les limites d’un système qui peut se révéler indifférent aux réalités économiques et familiales concrètes (B).

A. La consécration d’un mécanisme d’évaluation objectif et sécurisant

La décision commentée a le mérite de la clarté et de la prévisibilité. En faisant du revenu fiscal de référence un critère absolu, elle offre à l’administration un outil simple et efficace pour traiter un grand nombre de demandes de manière uniforme. Cette méthode prévient les risques d’arbitraire et garantit une stricte égalité de traitement entre les demandeurs placés dans une situation fiscale identique. Elle évite à l’administration de devoir se livrer à des enquêtes complexes sur la contribution réelle de chaque membre du foyer aux charges de la famille, une tâche qui serait à la fois intrusive et difficile à mettre en œuvre.

Sur le plan juridique, la solution est donc parfaitement cohérente avec le principe de légalité et l’exigence de sécurité juridique. Le juge administratif se cantonne à son rôle d’interprète des textes, sans se substituer au pouvoir réglementaire pour corriger ce qui pourrait apparaître comme une imperfection du dispositif. L’arrêt rappelle ainsi que la définition des critères d’attribution des aides sociales relève de la compétence du pouvoir réglementaire, et non de l’interprétation du juge.

B. L’indifférence du droit aux réalités économiques du foyer

Si la solution se justifie pleinement sur le plan du droit, elle n’en soulève pas moins des interrogations sur le plan de l’équité. En l’espèce, l’inclusion des revenus du fils aîné a eu pour effet de priver son jeune frère d’une bourse, alors même que rien ne garantit que les revenus du premier participent effectivement aux dépenses du foyer ou à l’entretien du second. Le rattachement au foyer fiscal est souvent une simple facilité fiscale pour l’enfant majeur et ses parents, qui ne traduit pas nécessairement une communauté de vie et de revenus.

La règle appliquée de manière mécanique peut ainsi aboutir à un résultat contraire à l’objectif social des bourses, qui est d’aider les familles dont les capacités financières sont réellement limitées. Cette décision illustre les effets de seuil et la rigidité d’un système fondé sur des indicateurs fiscaux qui ne reflètent qu’imparfaitement la situation économique réelle des ménages. Elle confirme que le droit aux bourses est moins apprécié au regard de la charge d’entretien de l’enfant qu’en fonction d’une construction purement fiscale, choix du législateur que le juge se contente d’appliquer strictement.

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