Cour d’appel administrative de Nantes, le 24 janvier 2025, n°23NT03636

Par un arrêt en date du 24 janvier 2025, la Cour administrative d’appel de Nantes a statué sur les modalités de remboursement des frais d’avocat pour une partie bénéficiant de l’aide juridictionnelle.

En l’espèce, une ressortissante étrangère a fait l’objet d’un arrêté préfectoral l’assignant à résidence et l’obligeant à se présenter de manière régulière aux services de police. Saisi par l’intéressée, le tribunal administratif de Nantes a annulé cette décision administrative. Cependant, le premier juge a rejeté la demande de l’avocate de la requérante, qui sollicitait, sur le fondement de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991, la condamnation de l’État à lui verser une somme au titre des honoraires qu’elle aurait perçus si sa cliente n’avait pas bénéficié de l’aide juridictionnelle. L’avocate a interjeté appel de ce jugement, mais uniquement en ce qu’il a rejeté sa demande relative aux frais de justice. Elle soutenait que l’annulation de l’acte administratif démontrait le bien-fondé de son action et que les diligences accomplies justifiaient que l’État, partie perdante, soit condamné à lui verser la somme demandée.

Il était donc demandé au juge d’appel de déterminer si le magistrat de première instance pouvait légalement refuser d’allouer une somme à l’avocat de la partie gagnante, bénéficiaire de l’aide juridictionnelle, alors que cet avocat avait accompli les démarches nécessaires au succès du recours.

La Cour administrative d’appel de Nantes répond par la négative et annule le jugement sur ce point. Elle estime que le premier juge a rejeté à tort les conclusions présentées sur le fondement de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991. La Cour juge que l’annulation de l’arrêté préfectoral résultait bien de la requête et des moyens soulevés par l’avocate. Par conséquent, elle condamne l’État à verser une somme à l’avocate au titre des frais engagés en première instance, statuant ainsi par l’effet dévolutif de l’appel.

Il convient d’étudier la rectification opérée par le juge d’appel quant à l’application du mécanisme de l’article 37 de la loi sur l’aide juridique (I), avant d’analyser la portée de cette décision qui réaffirme le principe d’une juste compensation pour les diligences de l’avocat (II).

I. L’application contrôlée du mécanisme de l’article 37

Le juge d’appel rappelle la logique du dispositif de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991, en censurant une interprétation qui en neutralisait l’effet (A), pour finalement réaffirmer le lien entre les diligences de l’avocat et le droit à une juste rétribution (B).

A. La censure d’un rejet injustifié des frais irrépétibles

La Cour administrative d’appel exerce un contrôle rigoureux sur l’appréciation du premier juge concernant l’octroi des frais liés à l’aide juridictionnelle. L’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 organise un mécanisme de substitution, où la partie perdante et non bénéficiaire de l’aide juridictionnelle est condamnée à payer à l’avocat de la partie assistée la somme que ce dernier aurait perçue. L’objectif est de faire supporter le coût du procès à la partie qui succombe, plutôt qu’à la collectivité via la contribution de l’État.

Dans cette affaire, le tribunal administratif avait créé une situation paradoxale en donnant raison à la requérante sur le fond, mais en refusant d’en tirer les conséquences financières pour son avocate. Or, la décision d’annulation de l’arrêté préfectoral suffisait à établir que l’État était la partie perdante. Le refus du premier juge de condamner l’État apparaissait donc comme une dérogation non motivée au principe posé par la loi. La Cour d’appel souligne que le juge peut, « même d’office, pour des raisons tirées de (…) l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée, (…) dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation ». Toutefois, en l’espèce, aucune de ces considérations n’était invoquée ni ne semblait pouvoir justifier le rejet de la demande. Le silence du premier juge sur les motifs de son refus s’analyse en une erreur de droit, que le juge d’appel se devait de corriger.

B. La reconnaissance du lien entre diligences et rétribution

La Cour prend soin de motiver sa décision en se fondant sur les actions concrètes menées par l’avocate en première instance. Elle constate que « l’annulation prononcée (…) résulte de la production (…) d’une requête introductive d’instance comportant le moyen tiré de l’insuffisance de motivation de l’arrêté ». Ce faisant, elle établit un lien de causalité direct entre le travail fourni par l’auxiliaire de justice et le succès de la procédure contentieuse. Cette démarche est essentielle car elle ancre le droit à rétribution non pas dans une simple réclamation de principe, mais dans une réalité objective et vérifiable.

En tenant compte « de la nature du litige et des diligences accomplies », la Cour adopte une approche pragmatique. Elle ne se contente pas de sanctionner une erreur de droit, mais procède à une nouvelle appréciation des faits pour fixer un montant qu’elle estime juste. La somme de 800 euros allouée représente la juste contrepartie du travail effectué, récompensant ainsi l’efficacité de l’intervention de l’avocate. La solution confirme que le bénéfice de l’aide juridictionnelle ne doit pas priver l’avocat d’une juste rémunération lorsque celle-ci peut être légalement mise à la charge de la partie adverse.

Cette décision, en garantissant l’effectivité du dispositif, revêt une valeur pédagogique certaine (II) tout en s’inscrivant dans le cadre d’une application classique du droit positif.

II. Une décision pédagogique à la portée mesurée

Cet arrêt constitue un rappel utile des obligations pesant sur le juge quant à l’application du droit de l’aide juridictionnelle (A), mais sa portée demeure celle d’une décision d’espèce dont l’influence future reste limitée (B).

A. Un rappel à l’orthodoxie juridique

La valeur principale de cet arrêt est de réaffirmer la cohérence du système de l’aide juridictionnelle et des frais irrépétibles. En condamnant l’État, partie perdante, à indemniser l’avocate de la partie adverse, la Cour empêche un détournement de l’esprit de la loi. Permettre à l’État, après avoir pris une décision illégale, de ne supporter aucune charge financière au titre des frais d’avocat de son opposant victorieux, reviendrait à faire peser le coût de sa propre turpitude sur le budget de l’aide juridictionnelle, c’est-à-dire sur la collectivité. La solution retenue est donc conforme à l’équité et à une saine gestion des deniers publics.

L’arrêt rappelle ainsi aux juges du fond que leur pouvoir d’appréciation pour écarter l’application de l’article 37 doit être exercé de manière explicite et motivé par des raisons précises, liées à l’équité ou à la situation économique de la partie condamnée. L’absence de motivation équivaut à un défaut de base légale, ouvrant la voie à la censure par le juge d’appel. La décision a donc une fonction de régulation, assurant une application homogène et prévisible de la loi sur l’ensemble du territoire. Elle garantit que l’avocat qui accomplit sa mission avec succès au profit d’un justiciable démuni ne sera pas privé de la rémunération prévue par la loi, sauf circonstances très particulières.

B. Une portée jurisprudentielle limitée

Si la décision est juridiquement bien fondée et opportune, elle ne constitue pas pour autant un revirement de jurisprudence ou un arrêt de principe. La Cour ne fait qu’appliquer la lettre et l’esprit d’un texte clair, corrigeant une anomalie d’appréciation en première instance. L’arrêt ne propose aucune interprétation nouvelle de l’article 37 de la loi de 1991 ; il se contente de rappeler les conditions de sa mise en œuvre. Son influence sur l’évolution du droit positif est donc, par nature, limitée.

La prudence de la Cour est d’ailleurs visible dans le traitement des frais d’appel. En rejetant la demande de l’avocate au titre des frais engagés pour l’instance d’appel elle-même, la Cour montre que l’octroi de ces sommes demeure une faculté pour le juge. Ce refus, décidé « dans les circonstances de l’espèce », confirme le pouvoir souverain d’appréciation du juge, qui peut considérer qu’une condamnation pour les frais de première instance est suffisante. Cet arrêt est donc une décision d’application, dont l’apport principal est de rappeler une règle de droit existante et de veiller à sa correcte exécution, sans pour autant étendre ou restreindre son champ d’application.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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