Par une décision rendue le 24 juin 2025, une cour administrative d’appel a précisé les contours du contrôle juridictionnel exercé sur un refus d’autorisation environnementale fondé sur les impératifs de la défense nationale. En l’espèce, une société spécialisée dans le développement des énergies renouvelables avait sollicité une autorisation pour l’installation d’un parc de cinq éoliennes. Ce projet se situait toutefois dans une zone surplombée par un couloir aérien du réseau d’entraînement à très basse altitude des armées.
Saisi pour avis, le ministre de la défense s’était opposé au projet, invoquant les risques pour la sécurité des aéronefs militaires. Conformément à cet avis défavorable, le préfet a rejeté la demande d’autorisation par un arrêté en date du 24 juillet 2023. La société pétitionnaire a alors formé un recours contentieux devant la juridiction administrative, soutenant principalement que l’avis du ministre était entaché d’une erreur d’appréciation et que la décision du préfet était, par conséquent, illégale. La question de droit qui se posait à la cour était donc de déterminer dans quelle mesure le juge administratif peut contrôler le bien-fondé d’un avis conforme émis par l’autorité militaire et quelle est l’incidence de cet avis sur la légalité de la décision préfectorale subséquente.
La cour administrative d’appel a rejeté la requête, jugeant que le préfet se trouvait en situation de compétence liée et ne pouvait qu’acter le refus. Elle a par ailleurs validé l’appréciation du ministre, estimant que les risques invoqués étaient suffisamment caractérisés. Ainsi, la décision commentée illustre la force d’un avis conforme dans la procédure d’autorisation environnementale (I), tout en confirmant l’exercice d’un contrôle juridictionnel restreint sur les appréciations techniques de l’autorité militaire (II).
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I. La confirmation de la compétence liée du préfet face à un avis conforme défavorable
La décision de la cour administrative d’appel réaffirme avec clarté le caractère contraignant de l’avis émis par le ministre de la défense en matière d’implantation d’éoliennes (A), ce qui a pour effet de rendre inopérants les autres moyens de légalité soulevés par la requérante (B).
A. L’automaticité du rejet dictée par la réglementation environnementale
Le raisonnement des juges du fond s’articule autour des dispositions du code de l’environnement qui encadrent l’instruction des demandes d’autorisation pour les parcs éoliens. L’article R. 181-32 de ce code impose au préfet de saisir pour avis conforme le ministre de la défense. La portée de cette consultation est ensuite précisée par l’article R. 181-34, qui dispose que le préfet « est tenu de rejeter la demande d’autorisation environnementale » lorsque cet avis est défavorable.
Ces dispositions créent une situation de compétence liée pour l’autorité préfectorale. Autrement dit, dès lors que l’avis du ministre s’oppose au projet, le préfet perd toute marge d’appréciation et n’a d’autre choix que de refuser l’autorisation sollicitée. La cour rappelle cette mécanique juridique en soulignant que le préfet a rejeté la demande « pour des motifs identiques à ceux opposés par le ministre des armées (…) et dès lors qu’il était en conséquence (…) tenu de rejeter la demande ». Cette solution n’est pas nouvelle, mais elle confirme la prééminence des considérations de défense nationale dans le processus décisionnel. L’avis conforme agit ici comme un véritable droit de veto, dont la mise en œuvre entraîne une conséquence automatique et inéluctable pour le porteur de projet.
B. La neutralisation des autres moyens de légalité externe
Une conséquence directe de cette compétence liée est la neutralisation des autres arguments juridiques qui ne portent pas sur la légalité même de l’avis. En l’espèce, la société requérante invoquait l’incompétence de l’auteur de l’arrêté préfectoral. Or, ce moyen, qui relève de la légalité externe de l’acte, est jugé inopérant par la cour.
Cette conclusion est parfaitement logique sur le plan du droit administratif. Un moyen est qualifié d’inopérant lorsqu’il ne peut, même s’il était fondé, conduire à l’annulation de la décision contestée. En situation de compétence liée, quand bien même l’acte aurait été signé par une autorité incompétente, le préfet compétent n’aurait pu prendre une décision différente. L’illégalité commise n’a donc eu aucune incidence sur le sens de la décision. La cour l’exprime sans détour : « Du fait de cette compétence liée, l’autre moyen soulevé, tiré de l’incompétence de la signataire de l’arrêté attaqué, ne peut qu’être écarté comme inopérant. » Cette approche pragmatique concentre le débat contentieux sur le seul point de droit susceptible d’infléchir la solution : la validité de l’avis qui lie l’administration.
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II. L’exercice d’un contrôle restreint sur l’appréciation du risque par l’autorité militaire
Si la compétence du préfet est liée, le juge peut néanmoins examiner la légalité de l’avis lui-même. Cet examen se traduit par une validation des motifs avancés par le ministre (A), illustrant la primauté accordée à la sécurité de la défense nationale lorsque le risque est jugé plausible (B).
A. La validation du bien-fondé des motifs de l’avis ministériel
Le cœur de l’argumentation de la société requérante reposait sur une prétendue erreur d’appréciation du ministre des armées. La cour administrative d’appel procède donc à une analyse des justifications fournies dans l’avis du 26 mai 2023. Elle relève que le ministre a fondé son refus sur plusieurs éléments concrets : la faible distance entre la hauteur des éoliennes et le plancher de vol, les contraintes techniques des aéronefs volant à grande vitesse, et la multiplication des obstacles dans la zone.
Face à ces arguments techniques, le juge n’exerce qu’un contrôle restreint, limité à l’erreur manifeste d’appréciation. Il ne lui appartient pas de substituer sa propre évaluation du risque à celle de l’autorité militaire spécialisée. Le juge vérifie seulement que l’appréciation de l’administration n’est pas manifestement erronée, illogique ou disproportionnée. En l’espèce, la cour estime que les risques sont établis et que l’avis ministériel est cohérent. Elle conclut ainsi que « cet avis (…) n’est, en conséquence, pas entaché d’une erreur d’appréciation, tout comme les motifs repris par le préfet dans son arrêté attaqué ». Le contrôle du juge reste donc en surface et valide une analyse qui relève de l’expertise technique de la défense.
B. La portée de la décision : la primauté de la sécurité de la défense nationale
Au-delà de son aspect technique, cette décision témoigne de la manière dont le droit positif arbitre le conflit potentiel entre deux objectifs d’intérêt général : le développement des énergies renouvelables et la préservation de la capacité opérationnelle des armées. L’implantation d’éoliennes est encouragée par les politiques publiques de transition énergétique, mais elle ne saurait se faire au détriment des impératifs de la défense nationale.
Cette jurisprudence confirme que, lorsqu’un risque pour la sécurité aérienne militaire est sérieusement motivé par l’autorité compétente, il constitue un obstacle dirimant à un projet d’infrastructure. Bien qu’il s’agisse d’une décision d’espèce, dont la solution est étroitement liée aux faits géographiques et techniques du dossier, sa portée est plus générale. Elle rappelle aux opérateurs de projets éoliens que les zones d’entraînement des forces armées bénéficient d’une protection juridique forte et que le juge administratif fait preuve d’une grande prudence avant de remettre en cause l’appréciation technique du ministère de la défense. La sécurité nationale demeure une considération prépondérante, capable de justifier des restrictions significatives à d’autres politiques publiques.