Cour d’appel administrative de Nantes, le 24 juin 2025, n°24NT01732

Par un arrêt du 24 juin 2025, la Cour administrative d’appel de Nantes a été amenée à se prononcer sur l’étendue du contrôle exercé par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d’entrée en France et sur les conditions d’octroi d’un visa de long séjour.

Un ressortissant marocain a sollicité la délivrance d’un visa de long séjour en qualité de visiteur auprès de l’autorité consulaire française à Casablanca. Cette dernière a rejeté sa demande par une décision du 13 février 2023. L’intéressé a alors formé un recours administratif préalable obligatoire auprès de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d’entrée en France. Par une décision du 10 août 2023, la commission a également refusé la délivrance du visa, se substituant ainsi à la décision consulaire initiale. Le requérant a saisi le tribunal administratif de Nantes, qui a rejeté sa demande par un jugement du 3 juin 2024. Il a ensuite interjeté appel de ce jugement, contestant la légalité de la décision de la commission de recours. Il soutenait notamment que la commission ne pouvait légalement se fonder sur des motifs différents de ceux de la décision consulaire et que le refus était entaché d’une erreur manifeste d’appréciation au regard de sa situation personnelle et familiale.

Il convenait donc pour la Cour administrative d’appel de déterminer si la commission de recours contre les décisions de refus de visa, lorsqu’elle statue sur un recours administratif obligatoire, peut fonder sa décision sur des motifs nouveaux et distincts de ceux retenus par l’autorité consulaire. Secondairement, il lui appartenait d’apprécier si le refus de visa portait une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale du requérant au regard des ressources dont il disposait.

La Cour administrative d’appel de Nantes a rejeté la requête. Elle juge que la commission de recours, dont la décision se substitue à celle de l’autorité consulaire, a la faculté de retenir des motifs de refus différents sans que cela ne constitue une substitution de motifs au sens de la jurisprudence. La Cour valide ensuite l’appréciation portée par l’administration, estimant que le requérant n’établissait ni sa qualité d’ascendant à charge, ni l’insuffisance de ses ressources dans son pays d’origine, ni une atteinte à l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Cet arrêt vient ainsi clarifier la nature et l’étendue des pouvoirs de la commission de recours contre les décisions de refus de visa (I), avant de procéder à une application rigoureuse des critères d’appréciation de la situation personnelle du demandeur (II).

I. La confirmation de l’autonomie décisionnelle de la commission de recours

La Cour administrative d’appel rappelle avec fermeté la nature du pouvoir dévolu à la commission de recours contre les décisions de refus de visa. Elle opère une distinction claire entre la substitution de décision, qui caractérise l’intervention de la commission (A), et la substitution de motifs, qui relève de l’office du juge (B).

A. Une substitution de décision opérée par l’effet du recours administratif obligatoire

La Cour écarte l’argument du requérant selon lequel la commission aurait illégalement procédé à une substitution de motifs. Elle précise que la décision de la commission « s’est substituée à la décision consulaire ». Cette substitution de décision est une conséquence directe du caractère obligatoire du recours administratif préalable. La commission n’est pas simplement un organe de contrôle de la légalité de la première décision ; elle est saisie de l’ensemble de la demande et prend une nouvelle décision en fait et en droit.

Cette solution réaffirme que la saisine de la commission a pour effet de la rendre seule compétente pour statuer, la décision initiale du consulat étant entièrement remplacée. Le requérant ne peut donc plus utilement contester les motifs de la décision consulaire, seule la légalité de la décision de la commission important. La Cour souligne d’ailleurs que le moyen tiré de l’incomplétude du formulaire de visa, dirigé contre la décision consulaire, doit être « écarté comme inopérant ».

B. La faculté de retenir des motifs de refus nouveaux et propres

Découlant de cette substitution de plein droit, la Cour reconnaît logiquement à la commission la possibilité de fonder son refus sur des considérations qui lui sont propres. Elle juge qu’elle « peut se fonder sur des motifs différents de ceux de la décision consulaire, sans procéder ainsi à une substitution de motifs ». L’argument du requérant, qui confondait les deux notions, est ainsi définitivement rejeté.

La Cour prend soin de distinguer ce pouvoir administratif de celui du juge, rappelant que la substitution de motifs « relève au demeurant du seul pouvoir du juge ». La commission, en tant qu’autorité administrative, ne modifie pas les motifs d’une décision existante mais en prend une nouvelle qui se suffit à elle-même. Cette clarification est essentielle pour la compréhension de l’office de la commission et confirme l’étendue de son pouvoir d’appréciation.

II. L’appréciation souveraine de la situation du demandeur de visa

Après avoir posé le cadre juridique de l’intervention de la commission, la Cour administrative d’appel examine le bien-fondé du refus au fond. Elle valide l’analyse de l’administration concernant les ressources du demandeur (A) et écarte l’existence d’une atteinte disproportionnée à son droit à la vie privée et familiale (B).

A. L’évaluation concrète des moyens d’existence de l’intéressé

Le requérant soutenait être à la charge de sa fille et ne pas disposer de ressources suffisantes pour vivre dans son pays d’origine. La Cour examine précisément les pièces du dossier pour rejeter cette argumentation. Elle relève que l’intéressé perçoit une pension de retraite mensuelle de 580 euros, un montant supérieur au salaire minimum marocain qui s’élève à 287,61 euros.

Sur la base de cette comparaison factuelle, la Cour conclut que le requérant « n’est donc pas dépourvu de ressources propres lui permettant de vivre dans son pays ». L’appréciation de la situation de dépendance économique est ainsi menée de manière relative et non absolue. La seule existence d’un lien familial avec un ressortissant français ne suffit pas à établir une situation de charge si l’ascendant dispose de moyens de subsistance autonomes dans son pays.

B. L’absence d’atteinte disproportionnée au droit à la vie familiale

Le requérant invoquait enfin une méconnaissance de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, arguant de son isolement matériel et affectif. La Cour rejette également ce moyen par une analyse circonstanciée. Elle note que l’intéressé « n’apporte aucune précision sur la mère de ses enfants […] qui est ressortissante marocaine ».

De plus, la Cour souligne que le requérant « n’établit ni même n’allègue que ses enfants seraient empêchés de lui rendre visite au Maroc ». L’existence de visites antérieures, permises par l’octroi de visas de court séjour, vient renforcer l’idée que le lien familial n’est pas rompu par le refus de visa de long séjour. La décision attaquée ne porte donc pas une atteinte excessive au droit au respect de la vie privée et familiale du demandeur.

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Hassan KOHEN
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