Par un arrêt en date du 24 juin 2025, la Cour administrative d’appel de Nantes a statué sur les conditions d’appréciation de l’âge d’un enfant dans le cadre d’une demande de réunification familiale au bénéfice d’un parent protégé. En l’espèce, une ressortissante étrangère, ayant obtenu la protection subsidiaire en France en 2016, avait sollicité le droit d’être rejointe par sa fille aînée, restée dans leur pays d’origine. Une première demande de visa, introduite alors que l’enfant était âgée de quinze ans, avait fait l’objet d’une décision de rejet devenue définitive après le jugement d’un tribunal administratif en 2020. Une nouvelle demande de visa a été déposée en 2022, alors que l’intéressée était désormais âgée de plus de dix-neuf ans.
Face au refus des autorités consulaires, confirmé par la commission de recours, les requérantes ont saisi le tribunal administratif de Nantes, qui a rejeté leur demande. Elles ont alors interjeté appel, soutenant principalement que l’âge de l’enfant devait être apprécié à la date de la première demande de visa et que la décision portait une atteinte disproportionnée à leur droit à la vie privée et familiale. La question de droit soulevée était donc de déterminer si, en présence de demandes de visa successives au titre de la réunification familiale, l’âge de l’enfant doit s’apprécier à la date de la première demande, définitivement rejetée, ou à la date de la nouvelle demande.
La cour administrative d’appel rejette la requête en jugeant que l’âge de l’enfant doit être apprécié à la date de la nouvelle demande de visa, dès lors que la précédente a fait l’objet d’un refus définitif. Elle considère en outre que le refus de visa ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit à la vie privée et familiale de la requérante. Cet arrêt illustre une application rigoureuse des conditions temporelles de la réunification familiale (I), dont la portée est à peine tempérée par le contrôle de proportionnalité exercé au regard des droits fondamentaux (II).
I. La stricte application de la condition d’âge en cas de demandes successives
La décision de la cour administrative d’appel repose sur une interprétation stricte des textes régissant la réunification familiale, réaffirmant l’autonomie de chaque demande de visa (A) et excluant par là même toute continuité juridique entre des procédures distinctes (B).
A. La consécration de l’autonomie de la nouvelle demande de visa
L’arrêt rappelle que, selon l’article L. 561-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, l’âge de l’enfant s’apprécie à la date d’introduction de la demande de réunification, laquelle est initiée par la demande de visa. La cour précise le point de droit essentiel en affirmant que « lorsqu’une nouvelle demande de visa est déposée après un premier refus définitif, il convient, pour apprécier l’âge de l’enfant, de tenir compte de cette demande, et non de la première demande ». Cette solution consacre le principe de l’autonomie des procédures administratives successives.
En effet, le caractère définitif du premier refus, validé par une décision de justice passée en force de chose jugée, a eu pour effet de clore la procédure initiale. La nouvelle demande déposée plusieurs années plus tard ne peut donc être considérée comme le prolongement de la première. Elle constitue une nouvelle saisine de l’autorité administrative, qui doit l’examiner au regard des circonstances de droit et de fait prévalant à la date de son dépôt. La cour se refuse ainsi à créer un lien juridique entre deux instances qui sont, par l’effet de la première décision, devenues étrangères l’une à l’autre.
B. Le rejet d’une continuité fictive entre les procédures
En adoptant cette position, la juridiction d’appel écarte la thèse des requérantes qui tendait à faire prévaloir la date de la première demande pour l’appréciation de la condition d’âge. Une telle approche aurait abouti à créer une continuité fictive entre les deux procédures, en neutralisant les effets du temps écoulé et du premier refus devenu inattaquable. Le juge administratif réaffirme ainsi l’importance de la sécurité juridique et de la stabilité des situations consolidées par une décision juridictionnelle.
La cour prend également soin de vérifier que le cas d’espèce n’entre pas dans le champ de l’exception jurisprudentielle permettant d’apprécier l’âge à la date de la demande d’asile du parent. Cette exception vise à ne pas pénaliser les familles en raison de la durée de la procédure d’asile. Or, en l’espèce, la protection subsidiaire avait été accordée bien avant que l’enfant n’atteigne l’âge limite, ce qui rendait cette exception inapplicable. Cette analyse démontre une application méthodique et rigoureuse des règles, ne laissant que peu de place à une interprétation extensive des conditions d’éligibilité.
II. Une portée limitée du contrôle au regard des droits fondamentaux
Après avoir écarté le moyen tiré de l’erreur de droit, la cour examine la conformité de la décision de refus à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Ce contrôle, s’il est un passage obligé, aboutit à une validation du refus au terme d’une appréciation restrictive du droit à la vie familiale (A), soulignant ainsi la portée pratique de la décision pour les futurs demandeurs (B).
A. L’appréciation restrictive du droit à la vie familiale et privée
La cour procède à une balance des intérêts en présence pour déterminer si le refus de visa a porté une atteinte disproportionnée au droit à la vie privée et familiale de la requérante. Le juge relève que la jeune femme, âgée de vingt ans à la date de la décision contestée, a toujours vécu dans son pays d’origine, où elle dispose d’attaches familiales. Il note par ailleurs l’absence de preuve que son état de santé nécessiterait des soins non disponibles localement.
À travers ce raisonnement, la cour considère que les liens familiaux avec la mère en France ne suffisent pas à l’emporter sur les considérations liées à l’ordre public, notamment le contrôle des flux migratoires. La protection de la vie familiale au sens de la convention est ici interprétée de manière restrictive, dans la mesure où l’intéressée a atteint l’âge adulte et a construit un centre de vie autonome dans son pays d’origine. L’atteinte portée à la vie familiale est ainsi jugée proportionnée au but poursuivi par l’administration.
B. La portée de la décision pour les demandeurs de réunification familiale
Cet arrêt constitue une mise en garde claire quant aux conséquences de l’échec d’une première demande de réunification familiale. Il souligne que le temps joue contre les demandeurs et que le caractère définitif d’un refus a pour effet de « remettre les compteurs à zéro ». La seule date qui vaille est celle de la dernière demande en cours d’examen, et les droits acquis ou potentiels sous l’empire d’une demande antérieure sont anéantis par une décision de rejet devenue inattaquable.
La portée de cette décision est donc avant tout pratique : elle incite les familles à la plus grande diligence dans la conduite de leurs procédures et dans l’exercice des voies de recours. Elle démontre que la durée des procédures administratives et contentieuses peut avoir des conséquences irrémédiables sur le droit à la réunification, particulièrement pour les enfants approchant de l’âge limite. En refusant de lier les demandes successives, le juge administratif privilégie une application stricte de la loi, qui, si elle est juridiquement fondée, peut aboutir à des situations humaines difficiles.