Cour d’appel administrative de Nantes, le 25 mars 2025, n°24NT01871

En matière de contentieux fiscal, un contribuable a sollicité auprès du tribunal administratif de Caen la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge pour les années 2015 à 2017. Après près de deux ans de procédure et suite à un mémoire en défense de l’administration fiscale concluant au rejet de la demande, le président de la formation de jugement a invité le requérant à confirmer le maintien de ses conclusions en application de l’article R. 612-5-1 du code de justice administrative. En l’absence de réponse dans le délai d’un mois imparti, le magistrat a pris acte du désistement d’instance du contribuable par une ordonnance du 22 avril 2024. Le requérant a alors interjeté appel de cette ordonnance, estimant que les conditions d’application de l’article précité n’étaient pas réunies. Se posait ainsi la question de savoir si l’écoulement du temps, seul, suffit à fonder une interrogation légitime sur l’intérêt que le requérant conserve à sa requête, justifiant la mise en œuvre de la procédure de désistement d’office. Par un arrêt du 25 mars 2025, la cour administrative d’appel a répondu par la négative, annulant l’ordonnance et renvoyant l’affaire devant les premiers juges. Elle a considéré que des éléments substantiels, tels que l’importance des sommes en jeu et l’absence de tout dégrèvement, excluaient qu’un doute puisse naître quant à l’intérêt du contribuable à poursuivre l’instance. La cour administrative d’appel censure ainsi une application littérale et décontextualisée d’un mécanisme procédural (I), réaffirmant par là même la prévalence du droit à un examen au fond du litige (II).

I. La censure d’une interprétation extensive du mécanisme de désistement d’office

La décision de la cour administrative d’appel rappelle avec force que la mise en œuvre du désistement d’office demeure une faculté encadrée (A), dont l’usage ne saurait reposer sur la seule inertie procédurale du requérant (B).

A. Le rappel des conditions d’application de l’article R. 612-5-1 du code de justice administrative

L’article R. 612-5-1 du code de justice administrative offre au juge un outil de bonne administration de la justice, destiné à purger le rôle des affaires devenues sans objet pour leur auteur. La cour prend soin de détailler l’office du juge d’appel lorsqu’il est saisi de la contestation d’une telle mesure. Il doit opérer une triple vérification formelle, s’assurant que le requérant a bien reçu la demande de confirmation, que celle-ci fixait un délai suffisant d’au moins un mois et qu’elle l’informait clairement des conséquences d’une absence de réponse. Au-delà de ce contrôle formel, il lui appartient surtout d’apprécier si le premier juge a fait « une juste application des dispositions de l’article R. 612-5-1 ». C’est sur ce dernier point que le contrôle de la cour se fait le plus substantiel, transcendant la simple régularité procédurale pour toucher au fondement même de la décision de solliciter la confirmation du requérant.

B. Le rejet d’une présomption de désintérêt

La cour administrative d’appel procède à une analyse concrète des circonstances de l’affaire pour juger de la pertinence du doute émis par le premier juge. Elle relève que la demande portait sur la décharge d’un « montant important d’impositions », qu’elle avait fait l’objet d’un mémoire en défense de l’administration concluant à son rejet total et qu’aucun dégrèvement, même partiel, n’était intervenu en cours d’instance. De ces éléments, elle déduit une conclusion sans équivoque, affirmant que « rien ne permettait de s’interroger sur l’intérêt que conservait cette demande pour le requérant ». Par cette formule, la cour établit que l’intérêt à agir est présumé persister tant que le litige demeure entier dans son objet et son enjeu financier. Le simple silence du requérant, ou l’absence de production de nouveaux mémoires, ne peut suffire à renverser cette présomption lorsque le contexte matériel du dossier témoigne de la vitalité de la contestation.

En censurant l’initiative du tribunal, la cour ne se contente pas d’opérer une simple rectification procédurale ; elle réaffirme avec clarté un principe directeur fondamental de la procédure contentieuse.

II. La réaffirmation du droit substantiel au juge

Cette décision, au-delà de son aspect technique, consacre la primauté du droit d’accès au juge sur les considérations de pure gestion administrative (A), tout en définissant implicitement la portée de ce qui reste une décision d’espèce (B).

A. La primauté du droit d’accès au juge

En annulant l’ordonnance de désistement, la cour administrative d’appel garantit l’effectivité du droit à ce qu’une cause soit entendue par un juge. Elle rappelle que les mécanismes de rationalisation de la procédure ne doivent pas se transformer en obstacles indus à l’exercice d’une voie de recours. La faculté ouverte par l’article R. 612-5-1 doit être interprétée de manière restrictive, comme une exception au principe selon lequel toute requête introduite a vocation à être jugée sur le fond. Le juge administratif, gardien de la légalité et des droits des administrés, ne peut se dérober à son office que lorsque le désintérêt du requérant est rendu quasi certain par des indices objectifs et concordants. En l’espèce, la persistance d’un enjeu financier élevé et l’opposition maintenue de la partie adverse constituaient des preuves suffisantes de l’intérêt à agir, rendant l’ordonnance de désistement infondée et contraire à une saine administration de la justice.

B. La portée limitée d’une décision d’espèce

L’arrêt commenté ne constitue pas un revirement de jurisprudence mais une clarification salutaire de l’application des textes. Il s’agit d’une décision d’espèce, dont la solution est intimement liée aux faits, à savoir un enjeu fiscal important et l’absence totale de satisfaction du requérant. La portée de cet arrêt est donc avant tout pédagogique. Il agit comme un rappel à l’ordre pour les juridictions du fond, les invitant à ne pas user de manière automatique du désistement d’office pour de simples motifs de lenteur procédurale. La cour définit ainsi les contours de l’appréciation que le juge doit porter : l’état du dossier ne se résume pas à son ancienneté, mais englobe l’ensemble de ses composantes, notamment la nature et l’ampleur des prétentions qui y sont formulées. La solution retenue réaffirme une approche pragmatique et protectrice des droits du justiciable.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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