Cour d’appel administrative de Nantes, le 25 mars 2025, n°24NT02237

Un éleveur et entraîneur de chevaux de course, ayant perçu des gains de la part d’une société organisatrice de courses hippiques au titre des années 2018 à 2020, s’est acquitté de la taxe sur la valeur ajoutée sur ces sommes. S’estimant ultérieurement en droit d’en obtenir la restitution, il a imputé le montant correspondant sur une déclaration rectificative et a sollicité le remboursement du crédit de taxe en résultant. Face au rejet de ses demandes par l’administration fiscale, confirmée par un jugement du tribunal administratif de Caen en date du 17 mai 2024, le contribuable a interjeté appel. Il soutenait que les gains de course n’étaient pas soumis à la taxe sur la valeur ajoutée en vertu du droit de l’Union européenne, tel qu’interprété par la Cour de justice de l’Union européenne, et que, par conséquent, la taxe acquittée devait lui être restituée sans que l’administration puisse lui opposer un défaut de régularisation formelle des factures initiales. La question de droit posée à la cour administrative d’appel était donc de déterminer si un assujetti, ayant collecté une taxe en application d’une disposition de droit interne jugée incompatible avec une directive européenne, pouvait en obtenir la restitution sans avoir préalablement procédé à la rectification des factures émises, afin de neutraliser le risque de perte de recettes fiscales pour l’État. Par un arrêt du 25 mars 2025, la cour administrative d’appel rejette la requête, considérant que la non-conformité de la loi nationale au droit de l’Union ne dispense pas le contribuable de suivre la procédure de régularisation exigée pour la restitution d’une taxe indûment facturée, notamment l’émission de factures rectificatives, dès lors que le risque de déduction de cette même taxe par le client n’a pas été éliminé.

Si la solution consacre sans détour la primauté du droit de l’Union quant au champ d’application matériel de la taxe sur la valeur ajoutée, elle subordonne néanmoins la restitution de la taxe indûment perçue au respect rigoureux des procédures nationales de régularisation (I). Cette exigence, loin d’être une simple formalité, apparaît comme la mise en œuvre d’un équilibre pragmatique entre le principe de neutralité fiscale et l’impératif de protection des finances publiques (II).

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**I. La primauté du droit de l’Union conditionnée par le respect des procédures nationales de régularisation**

La cour reconnaît sans ambiguïté que les gains de course en litige n’entraient pas dans le champ d’application de la taxe sur la valeur ajoutée, conformément à la jurisprudence européenne (A). Elle en tire cependant une conséquence procédurale stricte en maintenant l’obligation pour le contribuable de rectifier les factures initialement émises comme condition de la restitution (B).

**A. La consécration de la non-imposabilité des gains de course**

L’arrêt rappelle avec force la portée de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, en particulier l’arrêt *Baštová* du 10 novembre 2016, qui a clarifié la notion de prestation de services à titre onéreux. Il en résulte que les gains perçus par un propriétaire pour le classement de son cheval dans une course, sans rémunération directe et garantie pour la seule participation, ne constituent pas la contrepartie d’un service et échappent donc à la taxation. La cour constate ainsi que les dispositions du code général des impôts en vigueur durant la période litigieuse étaient incompatibles avec les objectifs de la directive du 28 novembre 2006. Cette incompatibilité « impose d’écarter ces dispositions aux gains perçus par la société requérante au cours de la période en litige, ce que, au demeurant, l’administration ne conteste pas en défense ». L’analyse de la cour sur ce point est sans équivoque et s’inscrit dans une application loyale du principe de primauté du droit de l’Union. Le fondement matériel de la créance de restitution du contribuable est ainsi solidement établi et n’est d’ailleurs pas l’objet principal du débat contentieux.

Cependant, cette reconnaissance de principe ne suffit pas à garantir automatiquement le remboursement.

**B. Le maintien de l’exigence formelle de régularisation**

La cour administrative d’appel opère une distinction nette entre le bien-fondé de la demande sur le plan matériel et les conditions procédurales de sa mise en œuvre. Elle juge que « la circonstance que la Cour de justice de l’Union européenne ait jugé que le prix, le cas échéant, remporté par un assujetti (…) ne doit pas être inclus dans la base d’imposition à la taxe sur la valeur ajoutée, ne fait pas obstacle à l’application du 3 de l’article 283 du code général des impôts ». Cette disposition, qui rend toute personne ayant mentionné la taxe sur une facture redevable de celle-ci, constitue un mécanisme de sécurisation de la collecte de l’impôt. En refusant de considérer que l’inconventionnalité de la loi fiscale initiale neutralise cette exigence procédurale, la cour affirme l’autonomie et la force de cette règle de forme. La restitution n’est donc pas un droit qui découlerait mécaniquement de la constatation du paiement de l’indû, mais un droit dont l’exercice est encadré par des règles visant à garantir la cohérence du système fiscal dans son ensemble.

Cette approche rigoriste trouve sa justification dans la nécessité de préserver un équilibre fondamental du système de la taxe sur la valeur ajoutée.

**II. La recherche d’un équilibre entre le principe de neutralité et la prévention du risque fiscal**

L’arrêt met en lumière l’articulation entre le principe de neutralité, qui commande la restitution d’une taxe indûment perçue, et les mécanismes de sauvegarde des recettes publiques (A). Il en résulte une conséquence pratique déterminante, à savoir que la charge de prouver l’absence de risque pour le Trésor public incombe entièrement au contribuable qui sollicite le remboursement (B).

**A. La neutralité de la taxe subordonnée à l’absence de perte de recettes**

La décision s’appuie explicitement sur la jurisprudence européenne, notamment les arrêts *Genius Holding* et *Stadeco*, pour rappeler que si le principe de neutralité exige qu’une taxe indûment facturée puisse être régularisée, ce droit n’est pas absolu. Les États membres conservent la faculté d’adopter des mesures pour assurer l’exacte perception de l’impôt et éviter la fraude, à condition que ces mesures n’aillent pas au-delà du nécessaire. La cour cite ainsi une considération essentielle de la jurisprudence européenne, selon laquelle le principe de neutralité « ne s’oppose toutefois pas à ce qu’un État membre subordonne la correction de la taxe sur la valeur ajoutée mentionnée indûment sur une facture à la condition que l’émetteur de la facture initiale ait envoyé à son destinataire une facture rectifiée » lorsque le risque de perte de recettes fiscales n’a pas été éliminé. L’exigence d’une facture rectificative n’est donc pas une simple formalité, mais la garantie que le client qui a reçu la facture initiale ne pourra pas déduire une taxe dont le fournisseur demande simultanément la restitution.

La mise en œuvre de cette condition repose entièrement sur les diligences du demandeur.

**B. La charge de la preuve de l’élimination du risque pesant sur le contribuable**

La cour administrative d’appel tire la conséquence logique de ce principe en examinant la situation de fait du requérant. Elle relève que ce dernier « ne soutient pas, et a fortiori n’établit pas, avoir éliminé totalement le risque de perte de recettes fiscales, c’est-à-dire avoir évité que la SECF déduise, de son côté, la taxe acquittée ». Le contribuable ne produit aucun élément, telle une facture rectificative ou toute autre démarche équivalente, qui attesterait de la régularisation de la situation auprès de son client, la société organisatrice des courses. En l’absence de cette preuve, la cour considère que la condition posée par la jurisprudence pour la restitution n’est pas remplie. Cette solution, pragmatique, fait peser sur l’émetteur de la facture, seul à même d’entreprendre les démarches correctives auprès de son client, la responsabilité de sécuriser la chaîne de la taxe sur la valeur ajoutée. Elle constitue une illustration claire de la manière dont les principes directeurs du droit fiscal européen sont appliqués de façon concrète et exigeante par le juge national.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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