Par un arrêt en date du 25 mars 2025, la Cour administrative d’appel de Nantes s’est prononcée sur la légalité d’une obligation de quitter le territoire français prise à l’encontre d’un étranger se prévalant de son état de santé et de sa vie familiale. En l’espèce, un ressortissant guinéen entré en France en 2018 et s’y étant maintenu après le rejet de sa demande d’asile, avait sollicité une protection contre l’éloignement en raison de son état de santé. Il faisait également valoir sa paternité d’un enfant né en France d’une union avec une compatriote titulaire d’une carte de résident. L’autorité préfectorale avait rejeté sa demande et lui avait fait obligation de quitter le territoire par un arrêté du 6 octobre 2022. Saisi d’un recours en annulation, le tribunal administratif de Nantes avait confirmé cette décision par un jugement du 16 juillet 2024. Le requérant a interjeté appel de ce jugement, soutenant notamment une atteinte disproportionnée à son droit au respect de la vie privée et familiale ainsi qu’une méconnaissance du dispositif de protection des étrangers malades. Il revenait donc à la cour de déterminer si le refus de protection et la mesure d’éloignement qui en découle portent une atteinte excessive au droit au respect de la vie privée et familiale d’un étranger père d’un enfant avec lequel il n’entretient pas de lien établi. Il s’agissait également pour elle de préciser les conditions dans lesquelles l’état de santé d’un étranger peut faire obstacle à son éloignement, notamment quant à l’appréciation de la gravité des conséquences d’un défaut de prise en charge médicale. La Cour administrative d’appel de Nantes rejette la requête. Elle juge que l’atteinte à la vie privée et familiale n’est pas disproportionnée en l’absence de contribution avérée à l’entretien et à l’éducation de l’enfant. Surtout, elle confirme que la protection due à l’état de santé est subordonnée à la démonstration de conséquences d’une « exceptionnelle gravité » en cas de défaut de soins, condition non remplie en l’espèce selon l’avis du collège de médecins de l’OFII.
L’arrêt applique ainsi de manière classique les critères d’appréciation du droit au séjour au regard des attaches personnelles (I), tout en confirmant l’interprétation stricte des conditions de protection liées à l’état de santé (II).
I. La confirmation d’une appréciation rigoureuse du droit au respect de la vie privée et familiale
La cour, pour écarter le moyen tiré de la violation de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, s’attache à vérifier l’effectivité des liens familiaux invoqués (A) avant de procéder à une mise en balance des intérêts en présence qui se révèle défavorable au requérant (B).
A. L’exigence d’un lien effectif avec l’enfant
Le juge administratif rappelle que la seule existence d’un lien de filiation ne suffit pas à caractériser une vie privée et familiale justifiant une protection contre l’éloignement. En l’espèce, la cour relève que si le requérant est bien le père d’un enfant né en France, il est séparé de la mère et, surtout, « ne démontre pas contribuer à l’entretien et à l’éducation de son enfant ». Cette formule consacre une jurisprudence constante qui subordonne la reconnaissance d’un lien familial protégé à l’existence de relations effectives et continues, notamment sur le plan matériel et affectif. La paternité doit être active pour constituer le centre des intérêts privés et familiaux d’un étranger en situation irrégulière. En l’absence de preuve d’une telle implication, le lien de filiation est considéré comme trop distendu pour fonder une protection au titre de la vie familiale. La charge de la preuve pèse entièrement sur le requérant, qui doit produire des éléments concrets et probants, tels que des versements financiers réguliers ou des attestations relatives à sa participation à la vie de l’enfant.
B. La balance des intérêts en défaveur du requérant
L’appréciation du respect de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales suppose une mise en balance entre le droit de l’individu au respect de sa vie privée et familiale et les impératifs de l’ordre public, au premier rang desquels figure le droit pour l’État de maîtriser les flux migratoires. Dans cette décision, la cour effectue ce contrôle de proportionnalité en tenant compte de l’ensemble des éléments de la situation personnelle de l’intéressé. Elle oppose la faiblesse des liens familiaux en France au fait que le requérant n’est pas « dépourvu d’attaches privées et familiales dans son pays d’origine où il a vécu jusqu’à l’âge de vingt-cinq ans ». La durée de présence en France, de quatre années au moment de la décision attaquée, est également jugée insuffisante pour faire pencher la balance en sa faveur, d’autant que cette présence a été marquée par l’irrégularité du séjour après le rejet de sa demande d’asile. La décision n’est donc pas regardée comme ayant porté une « atteinte disproportionnée » aux droits du requérant. Cette analyse illustre une approche pragmatique où la précarité du lien parental et la persistance d’attaches dans le pays d’origine sont des facteurs déterminants.
Si le contrôle exercé au titre de la vie privée et familiale se révèle classique, celui portant sur la protection de l’état de santé met en lumière la technicité du contentieux des étrangers et la portée de l’avis médical spécialisé.
II. L’application stricte du régime de protection de l’étranger malade
La cour valide le raisonnement préfectoral en s’appuyant de manière quasi-exclusive sur l’avis émis par le service médical de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (A), ce qui rend sans objet l’examen des possibilités de traitement dans le pays de renvoi (B).
A. La portée déterminante de l’avis du collège de médecins de l’OFII
Le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile protège l’étranger dont l’état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner des conséquences « d’une exceptionnelle gravité ». L’évaluation de ce critère médical est confiée à un collège de médecins de l’OFII. Dans cette affaire, l’autorité préfectorale a suivi l’avis émis par ce collège, selon lequel la condition de l’exceptionnelle gravité n’était pas remplie. La cour entérine cette position en jugeant que le certificat médical produit par le requérant, bien que postérieur à l’avis de l’OFII, « ne suffit pas à démontrer » le contraire. L’arrêt illustre le poids considérable de l’avis du collège de médecins dans l’appréciation du juge. Sauf à produire une expertise médicale circonstanciée et solidement étayée démontrant une erreur d’appréciation manifeste des médecins de l’OFII, le requérant peut difficilement contester leurs conclusions. Le juge administratif n’étant pas médecin, il s’en remet logiquement à l’expertise de l’organe spécialisé mis en place par le législateur.
B. L’indifférence du moyen relatif à l’offre de soins dans le pays de renvoi
La protection de l’étranger malade est soumise à une double condition cumulative : d’une part, un risque de conséquences d’une exceptionnelle gravité en cas de défaut de soins et, d’autre part, l’impossibilité de bénéficier effectivement d’un traitement approprié dans le pays de renvoi. Le raisonnement de la cour est séquentiel. Ayant constaté que la première condition n’est pas remplie, elle n’a pas à examiner la seconde. Par conséquent, le moyen du requérant contestant l’absence de démonstration par le préfet de l’existence d’un suivi approprié dans son pays d’origine est écarté comme « inopérant ». Cette solution est rigoureusement conforme à la lettre et à la logique du texte. Elle signifie que la question de la disponibilité des soins dans le pays de renvoi ne se pose que si, et seulement si, la gravité exceptionnelle de l’état de santé est préalablement établie. Cette approche évite au juge et à l’administration une recherche souvent complexe et hypothétique sur l’état du système de santé d’un pays tiers lorsque le critère premier et principal de la protection n’est pas satisfait.