Par un arrêt rendu le 27 juin 2025, une cour administrative d’appel se prononce sur la légalité d’un refus de titre de séjour opposé à un ressortissant étranger, père d’un enfant français, au motif de la précarité de son intégration familiale et sociale.
Un ressortissant ivoirien, entré régulièrement en France en 2019 avec un visa étudiant, avait obtenu le renouvellement de son titre de séjour jusqu’en septembre 2022. Après cette date, une première décision de refus de renouvellement, assortie d’une obligation de quitter le territoire français, lui fut notifiée en janvier 2023, décision à laquelle il n’a pas déféré. Demeuré sur le territoire, l’intéressé a noué une relation stable avec une compatriote en situation régulière, de laquelle est né un enfant en mai 2023. Invoquant ces nouveaux liens privés et familiaux, il a sollicité en février 2024 son admission exceptionnelle au séjour. Le préfet a rejeté sa demande par un arrêté du 2 août 2024, lui a enjoint de quitter le territoire et a prononcé une interdiction de retour.
Saisi par le requérant, le tribunal administratif de Rennes, par un jugement du 5 décembre 2024, a annulé la seule interdiction de retour sur le territoire français, mais a confirmé le refus de séjour et l’obligation de quitter le territoire. L’intéressé a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant notamment que la décision préfectorale était insuffisamment motivée, entachée d’un défaut d’examen de sa situation et qu’elle portait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale ainsi qu’à l’intérêt supérieur de son enfant. Le préfet, pour sa part, a conclu au rejet de la requête en affirmant le bien-fondé de ses décisions.
Il était ainsi demandé aux juges d’appel si le développement de liens familiaux, y compris la naissance d’un enfant, par un étranger qui se maintient irrégulièrement sur le territoire national, suffit à caractériser une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale justifiant l’annulation d’un refus d’admission exceptionnelle au séjour.
La cour administrative d’appel rejette la requête. Elle estime que le préfet n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en considérant que la situation de l’intéressé ne justifiait pas une admission exceptionnelle au séjour, et que la décision ne méconnaissait ni l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ni l’intérêt supérieur de l’enfant.
La cour confirme ainsi une approche rigoureuse de l’admission au séjour fondée sur la vie privée et familiale, où la stabilité des liens est appréciée au regard des conditions de leur établissement (I). Cette solution, si elle préserve la marge d’appréciation de l’administration, conduit à une interprétation restrictive de la portée des attaches familiales constituées dans un contexte de précarité administrative (II).
***
I. La consolidation du pouvoir d’appréciation préfectoral face à l’invocation de la vie familiale
La cour d’appel valide la décision administrative en écartant d’abord les moyens de légalité externe, confirmant sa régularité formelle (A), avant de procéder à un contrôle restreint sur le fond, réaffirmant la prééminence de l’appréciation du préfet dans la balance des intérêts en présence (B).
A. La neutralisation des imperfections formelles de l’acte administratif
Le requérant invoquait une motivation insuffisante de l’arrêté préfectoral ainsi qu’un défaut d’examen particulier de sa situation. La cour écarte ces arguments en se fondant sur une approche pragmatique de la régularité formelle de l’acte. Elle relève que la décision attaquée « contient, pour chacune des décisions qu’il comporte, les considérations de droit et de fait précises et non stéréotypées qui les fondent ». Le juge considère que l’administration a satisfait à son obligation, dès lors que l’arrêté mentionne les éléments pertinents relatifs à la situation administrative, familiale et professionnelle du demandeur.
De surcroît, la cour minimise l’impact des erreurs matérielles qui affectaient la première version de l’arrêté. Elle note que la « référence erronée, dans l’arrêté initial du 2 août 2024, à un refus de titre fondé sur l’article L. 423-23 » a été rectifiée et que la mention de dispositions abrogées n’entache pas la légalité de l’acte dès lors que des dispositions identiques leur ont été substituées. Cette analyse témoigne d’une jurisprudence qui refuse de sanctionner les vices purement formels lorsque ceux-ci n’ont pas privé l’intéressé d’une garantie ou n’ont pas exercé une influence sur le sens de la décision. L’essentiel demeure que l’administration ait effectivement procédé à l’examen de la situation, ce que le contenu même de l’arrêté démontre.
B. Une application classique du bilan entre droit au séjour et vie familiale
Au cœur du litige se trouve l’application de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. La cour procède à un bilan des intérêts en présence, mais son contrôle se limite à l’erreur manifeste d’appréciation, laissant une large latitude à l’autorité préfectorale. Elle reconnaît les éléments plaidant en faveur du requérant : une présence de près de cinq ans en France, une vie commune établie et la naissance d’un enfant. Cependant, elle oppose à ces faits des éléments jugés déterminants.
La cour souligne que l’intéressé « s’est maintenu sur le territoire français et y a fondé une famille malgré une mesure d’éloignement prise à son encontre ». La constitution de sa vie familiale est donc intervenue alors qu’il se trouvait en situation irrégulière, ce qui en diminue la portée. De plus, la cour qualifie la vie familiale de « récente » à la date de la décision. Enfin, elle estime qu’il n’existe pas d’obstacle à la reconstitution de la cellule familiale en Côte d’Ivoire, pays d’origine du couple, où le requérant a vécu jusqu’à l’âge de vingt ans. Cette position réaffirme un principe constant selon lequel la protection de la vie familiale n’emporte pas un droit absolu au choix du lieu de résidence de la famille.
***
II. La portée limitée des liens familiaux établis en situation irrégulière
En confirmant le refus de séjour, la cour adopte une lecture restrictive de l’intérêt supérieur de l’enfant (A) et confère un poids décisif à la circonstance que la vie familiale a été structurée en violation des lois sur le séjour des étrangers (B).
A. Une conception restrictive de l’intérêt supérieur de l’enfant
Le requérant se prévalait des stipulations de l’article 3-1 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant, qui impose de faire de l’intérêt supérieur de celui-ci une considération primordiale. La cour écarte ce moyen de manière concise, en affirmant que la mesure d’éloignement « n’implique pas que M. B… soit séparé de son jeune enfant ». Pour le juge, dès lors que la compagne et l’enfant ont la possibilité de suivre le requérant dans son pays d’origine, l’intérêt supérieur de l’enfant n’est pas méconnu.
Cette approche, bien que conforme à une jurisprudence établie, peut apparaître réductrice. Elle appréhende l’intérêt de l’enfant principalement sous l’angle du maintien de l’unité familiale, sans examiner en profondeur les conséquences d’un déracinement sur son développement et son bien-être, notamment lorsque sa mère est titulaire d’une carte de résident de longue durée et possède des attaches fortes en France. La décision suggère que l’intérêt de l’enfant est subordonné à la régularité de la situation administrative de ses parents, sa protection ne pouvant faire échec à la politique de maîtrise des flux migratoires.
B. La précarité administrative, facteur déterminant de l’appréciation
L’élément central de la motivation de la cour réside dans le fait que le requérant a sciemment organisé sa vie familiale alors qu’il était sous le coup d’une obligation de quitter le territoire. Cette circonstance pèse lourdement dans l’appréciation du juge et conduit à relativiser l’ensemble des autres éléments d’intégration. La solution s’inscrit dans une logique de « loyauté » de l’administré, où la tentative de régularisation par la constitution de liens familiaux après une première décision d’éloignement est perçue comme une tentative de contournement de la loi.
En jugeant qu’il ne peut être considéré que le préfet « aurait fait une appréciation manifestement erronée des faits de l’espèce », la cour valide une politique de fermeté à l’égard des étrangers qui ne respectent pas les décisions d’éloignement. La portée de cet arrêt est donc de rappeler que si la vie privée et familiale constitue un droit fondamental, sa protection n’est pas inconditionnelle. Elle peut être écartée lorsque les liens familiaux invoqués sont récents et se sont développés dans un contexte d’illégalité, signifiant ainsi que la stabilité du séjour reste un préalable à la consolidation des droits qui lui sont attachés.