Par un arrêt en date du 27 mai 2025, une cour administrative d’appel se prononce sur la légalité d’une décision ministérielle ajournant une demande de naturalisation. En l’espèce, un étranger avait sollicité l’acquisition de la nationalité française. Le ministre de l’intérieur a pris une décision d’ajournement de deux ans, motivée par une procédure pour des faits de harcèlement moral dont le postulant avait fait l’objet plusieurs années auparavant. L’intéressé a saisi le tribunal administratif de Nantes afin d’obtenir l’annulation de cette décision, mais sa demande a été rejetée par un jugement du 27 février 2024. Il a alors interjeté appel de ce jugement, contestant tant la régularité de la procédure suivie par l’administration que l’appréciation des faits retenus à son encontre. Le requérant soutenait que la consultation du traitement des antécédents judiciaires était irrégulière, la procédure le concernant ayant été classée sans suite. Il arguait également que le ministre avait commis une erreur dans l’appréciation des faits. Il appartenait ainsi à la juridiction d’appel de déterminer, d’une part, si l’administration pouvait légalement se fonder sur des informations issues du traitement des antécédents judiciaires relatives à une procédure classée sans suite. D’autre part, il lui incombait de juger si de tels faits, bien que n’ayant pas donné lieu à une condamnation, pouvaient justifier un ajournement de la demande de naturalisation sans constituer une erreur manifeste d’appréciation. La cour administrative d’appel rejette la requête, considérant que la procédure d’enquête n’était pas viciée et que le ministre n’avait pas commis d’erreur manifeste d’appréciation. L’arrêt permet ainsi de préciser les conditions dans lesquelles l’administration peut s’informer sur le comportement d’un candidat à la naturalisation (I), avant de réaffirmer la considérable marge d’appréciation dont elle dispose pour statuer sur de telles demandes (II).
I. La légalité conditionnée de l’exploitation des antécédents judiciaires
La solution retenue par la cour administrative d’appel repose sur une distinction entre le principe d’un accès restreint aux données sensibles (A) et la validation d’une procédure d’enquête administrative ayant permis de dépasser cette restriction (B).
A. Le principe d’un accès restreint aux données issues d’une procédure classée
L’acquisition de la nationalité française par naturalisation est soumise à une enquête portant sur la conduite et le loyalisme du demandeur, qui inclut la consultation de certains traitements de données personnelles. L’article 230-8 du code de procédure pénale encadre strictement la consultation de ces informations. Il prévoit notamment qu’« en cas de décision de non-lieu ou de classement sans suite, les données à caractère personnel concernant les personnes mises en cause font l’objet d’une mention ». De plus, lorsque les données font l’objet d’une telle mention, elles ne peuvent être consultées dans le cadre des enquêtes administratives menées en vue de l’instruction d’une demande de naturalisation. Le juge rappelle cette interdiction en des termes clairs, précisant que « l’autorité compétente ne peut légalement fonder le rejet ou l’ajournement de la demande de naturalisation sur des informations qui seraient uniquement issues d’une consultation » effectuée en méconnaissance de cette règle. Le droit protège ainsi le postulant contre l’utilisation d’informations brutes dont la pertinence a été écartée par l’autorité judiciaire elle-même. Un classement sans suite, qui reflète une décision d’opportunité des poursuites, ne doit pas, en principe, faire obstacle à une démarche d’intégration.
B. La neutralisation du vice de procédure par la diligence de l’administration
Toutefois, la cour écarte le moyen tiré du vice de procédure en se fondant sur les diligences complémentaires effectuées par l’administration. Il ressort en effet de l’arrêt que, suite à la consultation du fichier, l’administration a adressé une demande d’information au procureur de la République compétent. Celui-ci a alors confirmé que la procédure avait bien fait l’objet d’un classement sans suite. Le juge en déduit que l’éventuelle absence de mise à jour du fichier n’a pas été préjudiciable. La cour relève que « la circonstance que le fichier automatisé du traitement des antécédents judiciaires n’aurait pas été actualisé après le classement sans suite n’a pas empêché l’administration d’être informée de ce classement ». En d’autres termes, l’administration n’a pas fondé sa décision sur la seule mention de la procédure dans le fichier, mais sur l’ensemble des informations recueillies, incluant la confirmation de l’issue judiciaire par le ministère public. L’irrégularité initiale, si elle avait existé, a donc été purgée par cette démarche complémentaire, qui a permis au ministre de disposer d’un dossier complet et exact pour prendre sa décision.
Une fois la régularité de la procédure d’enquête établie, la cour a pu examiner le bien-fondé de la décision administrative au regard du large pouvoir d’appréciation du ministre en la matière.
II. La confirmation du large pouvoir d’appréciation ministériel
L’arrêt illustre le pouvoir discrétionnaire de l’administration en matière de naturalisation (A), dont le contrôle par le juge se limite à la recherche d’une erreur manifeste dans l’appréciation des faits (B).
A. L’opportunité de la naturalisation laissée à la libre appréciation de l’administration
Conformément à l’article 21-15 du code civil, l’acquisition de la nationalité française par décision de l’autorité publique est une mesure de faveur et non un droit. L’article 48 du décret du 30 décembre 1993 permet au ministre chargé des naturalisations de rejeter la demande ou de prononcer son ajournement « en imposant un délai ou des conditions ». Le juge rappelle dans son arrêt que l’autorité administrative dispose en cette matière « d’un large pouvoir d’appréciation » et peut, à ce titre, « prendre en considération notamment, pour apprécier l’intérêt que présenterait l’octroi de la nationalité française, les renseignements défavorables recueillis sur le comportement général du postulant ». Cette formule consacre la liberté de l’administration d’évaluer l’opportunité d’accueillir un nouveau membre au sein de la communauté nationale, au-delà du simple respect des conditions légales. Le comportement personnel de l’individu, même en dehors de toute sanction pénale, constitue ainsi un critère pertinent pour fonder une décision.
B. L’absence d’erreur manifeste d’appréciation malgré le classement sans suite
Le requérant soutenait que la décision était entachée d’une erreur d’appréciation, les faits de harcèlement moral étant contestés et la procédure ayant été classée sans suite. La cour rejette cet argument en soulignant que le contrôle juridictionnel se limite à l’erreur manifeste. Or, elle estime que le ministre n’a pas commis une telle erreur. Le juge constate que les dénégations du requérant ne sont pas établies et que « les faits reprochés ne sont pas dépourvus de gravité et avaient un caractère encore récent à la date de la décision contestée ». Dès lors, « quand bien même la procédure a donné lieu à un classement sans suite », le ministre a pu légalement considérer que ces éléments justifiaient un délai d’attente supplémentaire avant une éventuelle intégration. La décision de classement n’emporte pas une reconnaissance de l’innocence de la personne mise en cause ni n’efface la matérialité des faits. L’administration conserve donc la faculté de les prendre en compte pour apprécier le mérite du postulant à obtenir la nationalité française. En validant l’ajournement, la cour confirme qu’un comportement jugé contraire à une bonne intégration peut légitimement fonder une décision défavorable, même en l’absence de toute condamnation pénale définitive.