Cour d’appel administrative de Nantes, le 28 février 2025, n°24NT02398

Par un arrêt en date du 28 février 2025, une cour administrative d’appel a été amenée à se prononcer sur la légalité d’une mesure d’éloignement prise à l’encontre d’un ressortissant étranger. En l’espèce, un individu de nationalité algérienne, entré irrégulièrement sur le territoire français en 2016, a fait l’objet d’un arrêté préfectoral lui faisant obligation de quitter sans délai le territoire et prononçant une interdiction de retour d’une durée de cinq ans. Cette décision administrative était motivée par la menace pour l’ordre public que constituait le comportement de l’intéressé, lequel avait été condamné à une peine d’emprisonnement pour des faits de violences graves et répétés, notamment sur les mères de deux de ses enfants.

Saisi d’un recours par l’étranger, le tribunal administratif de Caen avait rejeté sa demande d’annulation par un jugement du 11 avril 2024. Le requérant a donc interjeté appel de ce jugement, soutenant principalement que l’arrêté portait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale, garanti par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et méconnaissait l’intérêt supérieur de son plus jeune enfant, de nationalité française.

Il convenait donc pour la juridiction d’appel de déterminer si une obligation de quitter le territoire français, assortie d’une interdiction de retour, pouvait être légalement imposée à un étranger père d’un enfant français, lorsque son comportement constitue une menace grave pour l’ordre public.

La cour administrative d’appel rejette la requête, confirmant ainsi le jugement de première instance. Elle estime que la gravité des faits commis par l’intéressé caractérise une menace réelle et actuelle pour l’ordre public. Procédant à une balance des intérêts, elle juge que l’atteinte portée à la vie privée et familiale de l’individu n’est pas disproportionnée au regard des buts poursuivis par la décision, compte tenu de la faiblesse des liens qu’il entretenait avec son fils et de la persistance de ses attaches familiales dans son pays d’origine.

La solution retenue par la cour s’articule autour d’une justification rigoureuse de la mesure d’éloignement, fondée sur les impératifs de l’ordre public (I), conduisant à la validation d’une sanction proportionnée aux circonstances de l’espèce (II).

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I. La justification de la mesure d’éloignement par les impératifs de l’ordre public

La cour administrative d’appel fonde sa décision sur une analyse en deux temps. Elle caractérise d’abord la menace que représente l’individu pour l’ordre public (A), avant de procéder à une appréciation restrictive de ses liens privés et familiaux en France (B).

A. La caractérisation d’une menace réelle et actuelle pour l’ordre public

La décision administrative contestée repose sur le 5° de l’article L. 611-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qui autorise l’éloignement d’un étranger en situation irrégulière dont le comportement constitue une menace pour l’ordre public. La juridiction d’appel s’attache à démontrer que cette condition est remplie en l’espèce, en se fondant sur des éléments précis et circonstanciés.

Le juge administratif relève en effet que l’intéressé a été condamné à une peine d’emprisonnement de vingt-quatre mois pour des « faits de violence, commis, entre le 1er octobre 2021 et le 29 mars 2022 ». La cour prend soin de détailler la nature de ces agissements, notamment les violences exercées à l’encontre de son ancienne compagne et de la mère de son plus jeune fils. Elle souligne la gravité particulière des faits les plus récents, l’individu ayant, sous l’empire de l’alcool, frappé sa compagne alors enceinte « au niveau du dos avec une batte de baseball » et lui ayant « donné des coups de pied ». La menace est ainsi non seulement grave, mais également actuelle, puisque les faits sont récents et ont justifié une incarcération qui se poursuivait à la date de l’arrêté. Par cette motivation détaillée, la cour établit que « la présence du requérant sur le territoire français constituait une menace réelle et actuelle pour l’ordre public », justifiant légalement le principe d’une mesure d’éloignement.

B. L’appréciation restrictive du droit au respect de la vie privée et familiale

Face à la menace pour l’ordre public, le requérant opposait son droit au respect de sa vie privée et familiale, arguant de sa paternité, notamment à l’égard d’un enfant de nationalité française. Conformément à une jurisprudence constante, la cour examine si les liens de l’intéressé en France sont d’une intensité telle que la mesure d’éloignement constituerait une ingérence disproportionnée.

Le juge administratif procède à une analyse concrète des éléments fournis par le requérant pour attester de la réalité de ses liens familiaux. Il constate que ce dernier « ne justifie pas d’une participation effective à l’entretien de cet enfant ni même de liens réels avec lui ». Les preuves apportées, telles que des virements ponctuels et de faibles montants, quelques photographies et une autorisation de parloir, sont jugées insuffisantes pour établir une relation suivie et une implication matérielle et affective significative. De surcroît, la cour oppose à la précarité de ces liens en France le fait que le requérant « n’établit pas être dépourvu d’attaches familiales en Algérie », où résident ses parents et une partie de sa fratrie. Cette mise en balance des attaches de l’étranger dans son pays d’origine et en France est un élément classique du contrôle de proportionnalité exercé en la matière.

Cette double analyse permet à la cour de conclure que les conditions d’une mesure d’éloignement sont réunies. Elle peut dès lors se prononcer sur la proportionnalité de l’ensemble des décisions contenues dans l’arrêté préfectoral.

II. La validation d’une sanction proportionnée aux circonstances de l’espèce

La cour administrative d’appel confirme l’appréciation du préfet non seulement sur le principe de l’éloignement, mais également sur ses modalités. Elle valide ainsi une sanction adaptée à la situation de l’intéressé en opérant un contrôle scrupuleux de la proportionnalité de l’ingérence (A), ce qui inscrit cette décision dans le courant d’une jurisprudence bien établie (B).

A. Le contrôle scrupuleux de la proportionnalité de l’ingérence

L’essentiel de l’argumentaire du requérant reposait sur la méconnaissance de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. La cour opère donc le contrôle de proportionnalité qui s’impose, en mettant en balance l’intérêt général que constitue la défense de l’ordre public et le droit de l’intéressé au respect de sa vie privée et familiale.

Le juge conclut que « la décision contestée lui faisant obligation de quitter le territoire français n’a pas porté au droit de (…) au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise ». Cette conclusion s’applique également à l’interdiction de retour sur le territoire français d’une durée de cinq ans. La cour estime en effet que la gravité des faits justifie une telle mesure, et que, pour les mêmes motifs tenant à la faiblesse de ses liens familiaux en France, cette interdiction n’est pas entachée d’une erreur manifeste d’appréciation. La référence à l’intérêt supérieur de l’enfant, protégé par l’article 3 de la Convention internationale des droits de l’enfant, est également écartée au motif que la relation paternelle n’est pas suffisamment établie pour faire obstacle à l’éloignement.

B. La confirmation d’une solution classique en l’absence d’intégration

En rejetant la requête, la cour administrative d’appel ne fait pas œuvre de revirement jurisprudentiel. Elle s’inscrit au contraire dans une logique jurisprudentielle constante qui refuse de conférer un caractère absolu à la protection dont peut bénéficier un étranger, même parent d’un enfant français, en cas de menace grave pour l’ordre public.

Cette décision d’espèce illustre le fait que la seule existence d’un lien de filiation avec un ressortissant français ne constitue pas une immunité contre l’éloignement. Le juge administratif exige la preuve de liens réels et effectifs, ainsi qu’une participation à l’entretien et à l’éducation de l’enfant. En l’absence de tels éléments et face à un comportement révélant un danger pour la société, la protection de l’ordre public prévaut sur les intérêts privés de l’étranger. L’arrêt confirme ainsi que le droit au respect de la vie familiale n’est pas un droit inconditionnel et que son exercice peut être limité pour des motifs légitimes, au premier rang desquels figure la sécurité publique. La solution est donc une application orthodoxe des principes qui gouvernent le contentieux de l’éloignement des étrangers.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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