Cour d’appel administrative de Nantes, le 28 février 2025, n°24NT02621

Par une décision du 28 février 2025, une cour administrative d’appel s’est prononcée sur la légalité d’un refus de regroupement familial opposé par l’administration préfectorale. En l’espèce, un ressortissant étranger, titulaire d’une carte de résident et établi en France de longue date, avait sollicité le bénéfice du regroupement familial pour son épouse et leur enfant mineur. Le préfet avait rejeté sa demande au motif que les membres de sa famille pour lesquels la procédure était engagée résidaient déjà sur le territoire national en situation irrégulière. Saisi du litige, le tribunal administratif de Caen avait annulé cette décision et enjoint au préfet d’autoriser le regroupement familial. L’administration a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant que la communauté de vie des époux n’était pas établie et que sa décision ne portait pas une atteinte excessive au droit à la vie familiale normale du requérant. Il appartenait donc à la juridiction d’appel de déterminer si la présence irrégulière en France des bénéficiaires d’une demande de regroupement familial constitue un obstacle dirimant à son octroi, ou si ce motif doit être écarté lorsque les faits révèlent l’existence d’une vie familiale stable et ancienne sur le territoire. La cour administrative d’appel a jugé qu’en refusant le regroupement familial pour le seul motif de la présence irrégulière des bénéficiaires, alors que le demandeur justifiait d’une vie familiale stable depuis près de cinq ans, le préfet avait porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale garanti par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Par conséquent, la cour a confirmé l’annulation du refus et l’injonction faite à l’administration d’accorder le regroupement familial.

Cette décision illustre la manière dont le juge administratif contrôle la mise en œuvre par l’administration de son pouvoir d’appréciation en matière de police des étrangers, en faisant prévaloir une analyse concrète de la situation personnelle et familiale sur l’application stricte d’une faculté ouverte par la loi (I). La solution retenue se distingue également par la confirmation d’une injonction particulièrement contraignante, qui limite de manière significative la marge de manœuvre résiduelle de l’administration (II).

I. La primauté de l’appréciation concrète de la vie familiale

Le juge d’appel, pour confirmer l’annulation du refus préfectoral, a d’abord neutralisé le motif tiré de la présence irrégulière des bénéficiaires sur le territoire (A), avant de consacrer la stabilité des liens familiaux comme le critère déterminant de son appréciation (B).

A. La relativisation de l’irrégularité du séjour des bénéficiaires

Le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile permet à l’administration d’exclure du regroupement familial un membre de la famille qui réside déjà en France. Toutefois, la cour rappelle que l’administration « dispose toutefois d’un pouvoir d’appréciation et n’est pas tenue par les dispositions précitées ». En agissant ainsi, le juge administratif réaffirme qu’il ne s’agit que d’une simple faculté pour le préfet, et non d’une compétence liée qui imposerait un rejet automatique. Cette approche classique subordonne la décision administrative au respect des droits fondamentaux, au premier rang desquels figure le droit à une vie familiale normale. La présence sur le territoire des membres de la famille, bien qu’irrégulière, ne saurait constituer à elle seule un motif suffisant de rejet, le juge exerçant un contrôle de proportionnalité sur l’ingérence qu’une telle décision constitue dans la vie familiale de l’administré. La cour s’inscrit dans une jurisprudence constante qui exige de l’administration qu’elle procède à un examen global de la situation, sans s’arrêter à un seul élément, fut-il prévu par la loi.

B. La consécration de la stabilité des liens familiaux

Pour exercer son contrôle, la cour procède à une analyse factuelle et détaillée des éléments produits par le requérant. Elle relève que le mariage a été célébré en France, que l’enfant y est né et que le suivi médical de la mère et de l’enfant a été réalisé sur le territoire national. De plus, des documents administratifs, tels que des attestations de la caisse d’allocations familiales et des déclarations fiscales, établissent une communauté de vie sur plusieurs années. Face à ce faisceau d’indices concordants, la cour estime que « ces derniers éléments ne suffisent pas à établir l’absence de vie commune entre les intéressés », balayant ainsi les quelques arguments contraires avancés par le préfet. La conclusion est sans équivoque : « à la date de la décision contestée, [l’intéressé] justifiait d’une vie familiale stable depuis près de cinq ans en France ». C’est cette réalité factuelle, consolidée par le temps, qui devient le pivot du raisonnement du juge et qui rend le refus préfectoral manifestement disproportionné au regard des exigences de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.

II. La validation d’une injonction prétorienne audacieuse

Au-delà de l’annulation, la portée de l’arrêt réside dans la confirmation de l’injonction faite au préfet d’accorder le regroupement familial (A), ce qui conduit à une interprétation restrictive de la marge d’appréciation restante de l’administration (B).

A. L’obligation positive faite à l’administration

En règle générale, l’annulation d’un refus de regroupement familial a pour conséquence d’obliger le préfet à réexaminer la demande. Or, en l’espèce, la cour confirme la décision des premiers juges d’enjoindre directement à l’administration d’accorder le bénéfice du droit sollicité. Elle considère que « compte tenu du motif d’annulation retenu, l’exécution du jugement et du présent arrêt implique nécessairement qu’il lui soit enjoint d’admettre [les bénéficiaires] au bénéfice du regroupement familial ». Cette solution, bien que prévue par le code de justice administrative, demeure d’une application relativement stricte. Elle suppose que l’annulation ne laisse subsister aucune incertitude sur l’issue de la demande et que l’administration ne dispose plus d’aucune marge d’appréciation. En confirmant une telle injonction, la cour sanctionne fermement l’erreur de droit commise par le préfet, qui s’est fondé sur un motif jugé non pertinent au regard de la situation familiale de l’intéressé.

B. Une neutralisation des autres conditions légales

Le préfet soutenait en appel que l’injonction d’autoriser le regroupement familial ne pouvait être prononcée dès lors que les autres conditions, notamment de ressources et de logement, n’avaient pas été examinées. La cour écarte cet argument de manière péremptoire, estimant que son injonction s’impose « alors même que ni les ressources, ni le logement, ni le respect des principes qui régissent la vie familiale en France n’ont été examinés par le préfet ». Une telle affirmation est remarquable. Elle signifie que l’atteinte disproportionnée au droit à la vie familiale, qui constituait le vice principal de la décision, est si grave qu’elle rend inopérant l’examen des autres conditions posées par les textes. Le juge considère qu’il n’y a qu’une seule manière d’exécuter correctement sa décision : l’octroi du titre. Cette position témoigne de la volonté du juge de donner un effet utile maximal à la protection des droits fondamentaux, en empêchant l’administration de se prévaloir tardivement d’autres motifs pour justifier un nouveau refus qui serait tout aussi attentatoire à la vie familiale de l’administré.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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