Par un arrêt en date du 28 janvier 2025, la Cour administrative d’appel de Nantes s’est prononcée sur la charge de la preuve en matière de rémunération d’heures supplémentaires, de remboursement de frais de déplacement et de compensation de congés non pris dans la fonction publique. En l’espèce, un agent technique d’une université, après une réaffectation, a sollicité le paiement d’un volume conséquent d’heures supplémentaires, le remboursement de frais de mission et la compensation de jours de congés qu’il affirmait ne pas avoir pu prendre sur plusieurs années. Face au rejet implicite de sa demande par l’employeur, l’agent a saisi le tribunal administratif de Rennes. Les premiers juges ont partiellement fait droit à sa demande, en ne lui accordant qu’une indemnisation pour préjudice moral lié à l’absence d’entretiens professionnels, mais en rejetant toutes ses prétentions financières. L’agent a interjeté appel de ce jugement, contestant le rejet de ses demandes relatives aux heures supplémentaires, aux frais de déplacement et aux congés non pris. Il soutenait notamment que les documents qu’il produisait suffisaient à établir la réalité de son travail et que la responsabilité de l’employeur était engagée.
Il revenait ainsi aux juges d’appel de déterminer si un agent public peut obtenir la rémunération d’heures supplémentaires et la compensation de jours de congé en l’absence d’un dispositif de contrôle mis en place par l’employeur, sur la seule foi de documents qu’il a lui-même établis. La cour rejette la requête, considérant que les éléments produits par l’agent, non corroborés par des demandes formelles de sa hiérarchie ou des justificatifs probants, ne suffisent pas à établir la réalité et le quantum des heures, frais et congés revendiqués.
La décision de la Cour administrative d’appel de Nantes illustre une application rigoureuse des règles de preuve, et ce en dépit des manquements reconnus de l’employeur public (I). Cette solution, bien que juridiquement fondée sur les règles de preuve, aboutit à une solution sévère pour l’agent, soulignant la portée limitée d’une telle décision qui s’attache principalement aux faits de l’espèce (II).
I. L’application rigoureuse des règles de preuve en dépit des manquements de l’employeur
La cour d’appel, pour rejeter les prétentions de l’agent, s’est appuyée sur le mécanisme probatoire classique en la matière (A), considérant que les pièces fournies par le requérant étaient insuffisantes pour emporter sa conviction (B).
A. Le rappel du mécanisme probatoire partagé en matière d’heures supplémentaires
L’arrêt rappelle avec clarté la règle de la charge de la preuve applicable en cas de litige relatif aux heures de travail accomplies. Faisant écho à une jurisprudence constante, il énonce qu’« il appartient, en premier lieu, à l’agent d’étayer sa demande par la production d’éléments suffisamment précis quant aux horaires qu’il estime avoir effectués pour permettre à l’employeur de répondre en fournissant ses propres éléments ». Ce principe, transposé du droit du travail, instaure un équilibre en ne faisant pas peser sur le seul agent le fardeau d’une preuve souvent difficile à rapporter, surtout lorsque l’employeur est défaillant dans ses propres obligations de décompte. La cour rappelle ainsi que le juge forme sa conviction au vu de l’ensemble des pièces versées au débat par les deux parties, se réservant la possibilité d’ordonner toute mesure d’instruction utile. Cette exigence d’un commencement de preuve de la part de l’agent constitue une condition préalable à l’examen au fond de sa demande, obligeant l’employeur à sortir de sa simple dénégation. Le rappel de ce principe structure l’ensemble du raisonnement des juges qui, après avoir posé le cadre juridique, vont l’appliquer à chacune des demandes de l’agent.
B. L’insuffisance des éléments unilatéraux produits par l’agent
La cour constate que l’agent ne satisfait pas à l’exigence probatoire qui lui incombe. Pour ses heures supplémentaires, il « se borne à produire des relevés d’heures supplémentaires, réalisés par ses soins, ni contrôlés ni validés par l’université ». De même, concernant ses jours de congés, il ne produit que des « relevés de congés non pris réalisés par ses soins, ni contrôlés ni validés par l’administration ». Cette qualification d’éléments unilatéraux et non contradictoires scelle le sort de ses demandes. La circonstance qu’il ait été indemnisé pour un contingent de 200 heures supplémentaires par le passé est jugée inopérante pour établir une reconnaissance générale du volume d’heures allégué. Pour les frais de déplacement, la logique est encore plus stricte : l’absence de sollicitation et d’obtention d’un « ordre de mission régulier » et de tout « justificatif pour attester de la réalité de ces frais » suffit à écarter sa demande. La décision souligne ainsi qu’en dépit des règles applicables, la preuve ne peut reposer exclusivement sur les propres déclarations de l’agent, non étayées par des éléments objectifs et vérifiables.
II. La portée limitée de la solution : une décision d’espèce au détriment de l’agent
Si la solution est orthodoxe sur le plan des principes de la preuve, elle n’en demeure pas moins sévère pour l’agent en neutralisant la faute de l’administration dans son appréciation (A), ce qui confirme le caractère essentiellement factuel et non probant des décomptes purement déclaratifs (B).
A. La neutralisation de la faute de l’administration dans l’appréciation de la preuve
L’un des aspects les plus notables de l’arrêt réside dans la manière dont il traite la défaillance de l’employeur. La cour reconnaît en effet que « l’université n’a pas mis en œuvre des mesures d’accompagnement de nature à permettre au requérant de déclarer utilement les heures supplémentaires effectuées ». Ce manquement constitue une faute de l’administration, qui est tenue par le décret du 25 août 2000 de mettre en place des systèmes de contrôle du temps de travail. Toutefois, les juges estiment que cette faute ne suffit pas à renverser la charge de la preuve ni à dispenser l’agent de produire des éléments probants. En d’autres termes, la carence de l’employeur ne crée pas une présomption en faveur de l’agent. Cette analyse, si elle est conforme à la logique probatoire, aboutit à une situation où l’administration, en ne respectant pas ses propres obligations, se place dans une position favorable lors du contentieux, l’agent se trouvant dans l’incapacité de fournir des preuves que le système défaillant aurait dû générer. La solution apparaît donc rigoureuse, car elle ne tire aucune conséquence directe de la faute de l’employeur au profit de l’agent dans l’administration de la preuve.
B. L’affirmation du caractère non probant des décomptes déclaratifs non validés
En définitive, la portée de cet arrêt doit être mesurée. Il ne s’agit pas d’un revirement de jurisprudence, mais plutôt d’une décision d’espèce qui applique des principes bien établis à une situation factuelle particulière. La leçon principale de cette décision est pratique : elle rappelle aux agents publics la nécessité absolue de formaliser leurs démarches et de conserver des preuves tangibles de leur activité. Les heures supplémentaires doivent être effectuées « à la demande du chef de service », et cette demande doit, idéalement, être écrite. Les déplacements doivent être précédés d’un ordre de mission et les frais justifiés. Les demandes de report de congés doivent être formellement déposées et validées. En l’absence de tels éléments, les décomptes personnels, même tenus de bonne foi, ont une force probante quasi nulle devant le juge administratif. L’arrêt confirme ainsi que le risque de l’absence de preuve, même lorsque l’employeur est en partie responsable de la situation, pèse in fine sur l’agent qui réclame un paiement.