Par un arrêt en date du 28 janvier 2025, la Cour administrative d’appel de Nantes se prononce sur les conditions de refus d’un visa de long séjour sollicité en qualité de travailleur salarié. En l’espèce, un ressortissant tunisien, âgé de dix-neuf ans, a obtenu une promesse d’embauche pour un poste d’agent technique en télécommunications auprès d’une société française, laquelle a préalablement obtenu l’autorisation de travail requise. Sur la base de ce projet, l’intéressé a sollicité un visa de long séjour, mais les autorités consulaires françaises à Tunis ont rejeté sa demande. La commission de recours contre les décisions de refus de visa d’entrée en France, saisie par le demandeur, a implicitement confirmé ce refus. Le tribunal administratif de Nantes, saisi à son tour, a annulé cette décision implicite et a enjoint à l’administration de délivrer le visa. Le ministre de l’intérieur a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant que le profil du demandeur était en inadéquation avec le poste et qu’il existait un risque de détournement de l’objet du visa. La question de droit soulevée par cette affaire était donc de savoir si l’insuffisance de l’expérience et de la qualification professionnelles d’un étranger, pourtant titulaire d’une autorisation de travail, peut légalement fonder un refus de visa en caractérisant un risque de détournement de son objet. La Cour administrative d’appel de Nantes répond par l’affirmative, considérant que l’inadéquation entre le profil du candidat et l’emploi proposé suffit à justifier la décision de refus. Elle annule par conséquent le jugement de première instance et rejette la demande du requérant.
Cette décision réaffirme la marge d’appréciation dont dispose l’administration pour refuser un visa malgré l’octroi d’une autorisation de travail (I), tout en consacrant une interprétation extensive de la notion de risque de détournement de l’objet du visa (II).
I. La confirmation du pouvoir d’appréciation de l’administration
La Cour administrative d’appel rappelle que l’obtention d’une autorisation de travail ne lie pas l’autorité consulaire (A), laquelle peut se fonder sur l’inadéquation du profil du demandeur pour justifier sa décision (B).
A. L’autonomie de la décision de refus de visa par rapport à l’autorisation de travail
L’arrêt énonce avec clarté un principe fondamental du droit des étrangers, selon lequel l’autorisation de travail et le visa de long séjour constituent deux procédures distinctes, répondant à des logiques différentes. La Cour rappelle que « la circonstance qu’un travailleur étranger dispose d’une autorisation de travail ne fait pas obstacle à ce que l’autorité compétente refuse de lui délivrer un visa d’entrée et de long séjour en France ». Cette solution, constante en jurisprudence, permet de préserver le pouvoir souverain de l’État en matière de contrôle des flux migratoires. L’autorisation de travail, délivrée par l’autorité compétente en matière de travail, vise principalement à vérifier la situation de l’emploi en France et l’adéquation du recrutement au regard des besoins de l’économie nationale. L’octroi du visa, qui relève de la compétence du ministre des affaires étrangères et du ministre de l’intérieur, répond quant à lui à des impératifs de contrôle de l’immigration et de préservation de l’ordre public. En maintenant cette dualité, la juridiction administrative confirme que l’appréciation portée sur le marché du travail ne préjuge en rien de celle portée sur le projet de séjour de l’étranger.
B. L’inadéquation du profil professionnel comme motif de refus
Le juge administratif précise ensuite le cadre dans lequel s’exerce ce contrôle autonome. Il admet que l’administration peut refuser un visa « en cas de risque avéré de détournement de son objet, lorsqu’elle établit que le motif indiqué dans la demande ne correspond manifestement pas à la finalité réelle du séjour de l’étranger en France ». L’originalité de l’arrêt réside dans le lien direct qu’il établit entre l’inadéquation du profil du candidat et ce risque de détournement. En l’occurrence, le demandeur, âgé de dix-neuf ans, ne justifiait que d’un stage d’une quarantaine de jours et d’un certificat de formation dont le contenu n’était pas détaillé. La Cour en déduit que les pièces versées au dossier « n’établissent pas que celui-ci disposerait de la qualification et de l’expérience suffisantes pour occuper l’emploi d’agent technique en télécommunications ». Cette insuffisance est considérée comme un indice suffisant pour suspecter que le contrat de travail ne constitue qu’un prétexte pour obtenir un titre de séjour, révélant ainsi un risque que le visa soit utilisé à d’autres fins que celles pour lesquelles il a été demandé.
II. Une conception extensive du risque de détournement de l’objet du visa
L’appréciation portée par la Cour sur les qualifications du demandeur apparaît particulièrement rigoureuse (A), ce qui conduit à une extension de la notion de détournement, dont la portée doit être mesurée (B).
A. Une appréciation rigoureuse de l’expérience du demandeur
La Cour administrative d’appel procède à un examen très détaillé et exigeant des justificatifs produits par le demandeur. Elle relève que l’attestation de stage, bien que décrivant des tâches techniques précises, ne porte que sur une durée limitée à « une quarantaine de jours ». De plus, elle souligne qu’« aucun élément au dossier ne permet d’éclairer la cour quant aux contenu, durée et objectifs de la formation de raccordeur soudeur suivie » par le requérant. Cette analyse méticuleuse place de fait le demandeur dans une position difficile, où il doit non seulement prouver l’existence de ses qualifications, mais également en démontrer la consistance et la pertinence au regard de l’emploi proposé. On peut s’interroger sur le degré de sévérité de cette approche, notamment à l’égard d’un jeune travailleur et pour un poste qui ne requiert pas nécessairement de longues années d’expérience. En écartant les documents fournis comme insuffisants, le juge administratif effectue une appréciation qui pourrait s’apparenter à une substitution de son propre jugement à celui de l’employeur, qui avait pourtant estimé le candidat apte à occuper le poste.
B. La portée de la présomption de détournement
En validant le raisonnement de l’administration, l’arrêt consacre une forme de présomption : une expérience jugée insuffisante suffit à caractériser un risque de détournement. Cette solution confère à l’autorité administrative une marge de manœuvre considérable, lui permettant de remettre en cause, au stade du visa, une appréciation sur l’adéquation entre un profil et un poste qui relève normalement de l’employeur et, dans une certaine mesure, des services du ministère du travail. Si cette jurisprudence vise à lutter contre les recrutements de complaisance, elle pourrait également avoir pour effet de fragiliser des projets d’immigration professionnelle légitimes, en particulier pour des jeunes diplômés ou des travailleurs peu expérimentés. La portée de cet arrêt est donc significative, car il incite l’administration à un contrôle approfondi des compétences professionnelles des demandeurs de visa, au-delà de la simple vérification de l’autorisation de travail. Il renforce l’idée que le projet migratoire doit présenter une cohérence d’ensemble, dont l’adéquation entre la formation, l’expérience et l’emploi constitue une pièce maîtresse, soumise à l’appréciation souveraine de l’administration sous le contrôle normal du juge.