Cour d’appel administrative de Nantes, le 28 mars 2025, n°24NT01788

Par un arrêt en date du 28 mars 2025, la cour administrative d’appel de Nantes a été amenée à se prononcer sur la légalité d’une décision de transfert d’un demandeur d’asile vers l’État membre jugé responsable de sa demande. En l’espèce, un ressortissant soudanais avait sollicité l’asile en France le 4 mars 2024, mais les autorités préfectorales ont constaté, via le système Eurodac, un enregistrement antérieur de sa part en tant que demandeur d’asile à Malte. Le 19 mars 2024, le préfet de Maine-et-Loire a pris un arrêté ordonnant son transfert vers les autorités maltaises, lesquelles avaient accepté sa reprise en charge. Saisi par l’intéressé, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande d’annulation par un jugement du 16 avril 2024. Le requérant a alors interjeté appel de ce jugement, soulevant plusieurs moyens tenant tant à la régularité de la procédure suivie qu’à une appréciation erronée de sa situation au regard du droit de l’Union européenne. La cour était donc saisie de la question de savoir si des manquements allégués aux garanties procédurales, telles que le droit à l’information et le déroulement de l’entretien individuel, ainsi que la critique des conditions d’accueil dans l’État membre responsable, suffisent à faire obstacle à une décision de transfert prise en application du règlement (UE) n° 604/2013, dit Dublin III. Répondant par la négative, la cour administrative d’appel rejette la requête, considérant d’une part que les garanties procédurales ont été respectées et, d’autre part, que le requérant n’apporte pas la preuve de défaillances systémiques à Malte ou d’un risque personnel qui justifierait de déroger à la règle de compétence.

I. La confirmation du transfert subordonnée au respect rigoureux des garanties procédurales

La cour administrative d’appel procède à une vérification méticuleuse du respect des garanties offertes au demandeur d’asile par le règlement Dublin III. Elle s’attache d’abord à l’effectivité du droit à l’information avant d’examiner la régularité de l’entretien individuel, confirmant que le respect formel de ces étapes fonde la légalité de la procédure de transfert, sauf preuve contraire d’une atteinte substantielle aux droits du demandeur.

A. L’effectivité du droit à l’information du demandeur d’asile

Le juge administratif rappelle que l’information du demandeur d’asile, prévue à l’article 4 du règlement n° 604/2013, constitue une garantie substantielle lui permettant de comprendre la procédure et de faire valoir ses observations. Dans cette affaire, la cour constate que l’administration a rempli son obligation en s’appuyant sur des éléments matériels précis. Elle relève en effet qu’il « ressort des pièces du dossier que M. A… B… s’est vu remettre le 4 mars 2024, le jour même de l’enregistrement de sa demande d’asile en préfecture, et à l’occasion de l’entretien individuel, les brochures A et B (…) en langue arabe, dont il a signé les pages de garde ». La cour ajoute que l’intéressé a déclaré « avoir compris la procédure engagée à son encontre ». En se fondant sur la remise de brochures standardisées dans une langue comprise par le demandeur et sur la signature de ces documents, le juge ancre son appréciation dans une approche pragmatique. Cette méthode établit une présomption simple de délivrance effective de l’information, faisant peser sur le requérant la charge de démontrer que, malgré ces formalités, il n’a pas été en mesure de comprendre ses droits, une preuve particulièrement difficile à rapporter en pratique.

B. L’appréciation des conditions de l’entretien individuel

La cour examine ensuite la régularité de l’entretien individuel, étape cruciale prévue à l’article 5 du même règlement. Elle écarte les arguments du requérant contestant les conditions dans lesquelles cet entretien s’est déroulé. Le juge note que l’entretien a bien eu lieu avant la décision de transfert, avec l’assistance d’un interprète, et qu’aucun élément ne vient étayer l’allégation d’un défaut de confidentialité. Concernant la qualification de l’agent ayant mené l’entretien, la cour estime que l’absence de son identification nominative n’est pas suffisante pour vicier la procédure, dès lors que le compte-rendu a été signé et contresigné par un supérieur hiérarchique. Elle juge que « l’absence de plus de précision sur l’identité dudit agent n’a pas privé l’intéressé de la garantie que constitue le bénéfice de cet entretien individuel ». Par ce raisonnement, la cour administrative d’appel refuse de sanctionner une simple imperfection formelle qui n’a pas eu de conséquence concrète sur la capacité du demandeur à faire valoir sa situation. Elle confirme ainsi une jurisprudence constante qui exige du requérant la preuve d’une atteinte substantielle à ses droits pour que la garantie soit considérée comme méconnue.

II. La réaffirmation du principe de confiance mutuelle au cœur du régime d’asile européen

Au-delà du contrôle des aspects procéduraux, l’arrêt illustre la force du principe de confiance mutuelle qui sous-tend le régime d’asile européen commun. Le juge rappelle que ce principe instaure une présomption de respect des droits fondamentaux dans les autres États membres, une présomption qui ne peut être renversée que dans des conditions très strictes, dont la preuve incombe entièrement au demandeur.

A. Le principe de l’absence de défaillances systémiques dans l’État membre responsable

L’argument central du requérant reposait sur le risque de traitement inhumain et dégradant qu’il encourrait en cas de retour à Malte, en raison de prétendues défaillances des conditions d’accueil et de la procédure d’asile dans cet État. La cour administrative d’appel oppose à cette argumentation le principe fondamental de confiance mutuelle entre les États membres de l’Union européenne. Elle énonce clairement que « les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l’intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire ». Cette position réaffirme que chaque État membre est présumé respecter ses obligations découlant du droit de l’Union et des conventions internationales, notamment la Convention de Genève et la Convention européenne des droits de l’homme. La seule voie pour écarter cette présomption est d’établir l’existence de « défaillances systémiques (…) qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant », conformément à l’article 3, paragraphe 2, du règlement Dublin III.

B. La charge de la preuve d’un risque personnel et avéré

En application de ce principe, la cour évalue les éléments fournis par le requérant pour étayer ses allégations. Elle constate que celui-ci n’apporte pas de preuves suffisantes pour renverser la présomption de sécurité. Le juge souligne qu’il « n’établit pas la réalité de ses allégations, dont il n’avait d’ailleurs pas fait état lors de son entretien du 4 mars 2024 ». La cour écarte les documents produits en considérant qu’ils « ne permettent pas de tenir pour établi que sa propre demande d’asile serait exposée à un risque sérieux de ne pas être traitée par les autorités maltaises dans des conditions conformes ». Cette analyse montre l’exigence d’un haut niveau de preuve. Des allégations générales sur la situation d’un pays ou des documents non personnalisés sont jugés insuffisants. Le demandeur doit démontrer un risque personnel, direct et avéré, ce qui implique de fournir des éléments circonstanciés sur sa propre situation. De même, les problèmes de santé évoqués ne sont pas considérés comme caractérisant « une situation de vulnérabilité exceptionnelle imposant d’instruire sa demande d’asile en France ». L’arrêt confirme ainsi la portée limitée de la clause dérogatoire de l’article 17 du règlement, dont la mise en œuvre relève de la seule appréciation souveraine de l’État, le juge ne sanctionnant qu’une éventuelle erreur manifeste d’appréciation, non constituée en l’espèce.

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Hassan KOHEN
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Hassan Kohen

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