Cour d’appel administrative de Nantes, le 29 avril 2025, n°24NT02325

La Cour administrative d’appel de Nantes a rendu le 29 avril 2025 une décision majeure concernant l’articulation entre le droit au séjour et la protection de l’ordre public. Un ressortissant étranger sollicitait la délivrance d’un titre de séjour en raison de ses liens personnels stables, mais s’était vu opposer un refus administratif motivé par des condamnations pénales. Le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa contestation le 10 juillet 2024, entraînant l’introduction d’un recours devant la juridiction d’appel pour obtenir l’annulation de cette mesure d’éloignement. La question posée est celle de savoir si l’intensité des liens familiaux peut primer sur la menace à l’ordre public constituée par des faits graves de trafic de stupéfiants. Les magistrats annulent le premier jugement pour vice de forme avant de sanctionner au fond l’erreur d’appréciation commise par l’administration au regard de la convention européenne des droits de l’homme. L’examen de la régularité procédurale précédera l’analyse de la protection renforcée accordée à l’intimité de la vie privée et familiale.

I. L’annulation nécessaire d’un jugement entaché d’une omission de statuer

A. La sanction de l’irrégularité formelle liée à l’office du juge

La Cour administrative d’appel de Nantes du 29 avril 2025 relève d’emblée un vice dans le jugement rendu par le tribunal administratif de Nantes le 10 juillet 2024. Il apparaît que les premiers juges ont « omis de répondre au moyen soulevé » par l’intéressé concernant l’éventuelle incompétence de l’autorité signataire de l’arrêté contesté. Cette lacune porte sur un point de droit qui n’était pas inopérant et dont l’examen était indispensable pour assurer la régularité de la réponse juridictionnelle apportée au litige. Une telle omission constitue une méconnaissance de l’obligation de motivation et de complétude qui s’impose aux juridictions de premier ressort dans l’exercice de leur mission. La décision initiale est donc annulée par les juges d’appel qui décident alors de faire usage de leur pouvoir d’évocation pour trancher directement le fond de l’affaire.

B. Le mécanisme de l’évocation au service d’une bonne administration de la justice

Après avoir constaté l’irrégularité, la cour choisit de « statuer immédiatement sur la demande présentée » afin de garantir au requérant une réponse rapide et définitive à ses prétentions juridiques. L’évocation permet de purger le vice de forme initial tout en évitant un renvoi inutile devant le tribunal administratif de Nantes, ce qui assure une certaine célérité procédurale. Les juges se saisissent donc de l’entier dossier pour apprécier la légalité des décisions de refus de séjour, d’obligation de quitter le territoire et de fixation du pays de destination. Cette substitution de motifs et de raisonnements permet d’entrer dans l’analyse matérielle des faits pour confronter la situation personnelle du requérant aux impératifs de la sécurité publique. L’annulation du jugement de première instance ouvre ainsi la voie à un contrôle approfondi de la proportionnalité de la mesure de police administrative.

II. La prévalence du droit au respect de la vie privée sur l’impératif sécuritaire

A. La consécration de la stabilité des liens personnels et familiaux

L’arrêt souligne que le requérant justifie d’une présence continue sur le territoire national depuis plusieurs années et d’une relation amoureuse stable avec une ressortissante française. Les magistrats accordent une importance particulière au fait que le couple a conclu un pacte civil de solidarité et s’est engagé dans un « projet d’enfant » avec des soins médicaux. Ces éléments caractérisent une insertion privée profonde qui entre dans le champ de protection de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. La cour note également que l’intéressé a exercé une activité salariée durant son temps de détention, manifestant ainsi une volonté réelle d’intégration sociale malgré ses erreurs passées. L’intensité de cette cellule familiale constitue le socle à partir duquel le juge va soupeser la légitimité de l’intervention de l’autorité administrative dans sa sphère intime.

B. L’appréciation nuancée de la menace à l’ordre public

Bien que les infractions commises soient d’une « réelle gravité » car liées à des stupéfiants, la juridiction administrative tempère la portée de la menace actuelle pour la société. Elle observe que la peine d’emprisonnement a été assortie d’un sursis probatoire dont la révocation n’a jamais été ordonnée par les autorités judiciaires ou les services de probation. L’absence de « signalement portant sur des faits récents » permet de conclure que le comportement de l’individu ne présente plus un danger actuel et suffisant pour l’ordre public. En conséquence, l’autorité préfectorale a « porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte excédant ce qui est nécessaire » à la défense de la sécurité. La décision d’annulation de l’arrêté s’accompagne d’une injonction faite à l’administration de délivrer un titre de séjour temporaire afin de régulariser la situation du ressortissant étranger.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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