Un ressortissant étranger, qui séjournait en France de manière irrégulière, a sollicité son admission exceptionnelle au séjour sur le fondement de son insertion professionnelle. L’autorité préfectorale a rejeté sa demande par un arrêté du 23 avril 2024, assortissant cette décision d’une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, de la fixation du pays de renvoi et d’une interdiction de retour pour une durée de deux ans. Saisi par l’intéressé, le tribunal administratif de Rennes a confirmé la légalité de cet arrêté par un jugement en date du 18 septembre 2024. Le requérant a alors interjeté appel de ce jugement, contestant l’interprétation et l’application des dispositions issues de la loi du 26 janvier 2024 pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration. Il soutenait notamment que les motifs de refus prévus par le nouvel article L. 432-1-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile n’étaient pas applicables à une demande d’admission exceptionnelle au séjour. De surcroît, il faisait valoir son intégration professionnelle ainsi que le caractère disproportionné des mesures d’éloignement prises à son encontre.
Il revenait ainsi au juge administratif d’appel de déterminer si les nouveaux motifs de refus de titre de séjour, tenant à l’inexécution d’une précédente mesure d’éloignement ou à la commission de faits de faux et usage de faux, peuvent être légalement opposés à un étranger sollicitant son admission exceptionnelle au séjour. Par un arrêt en date du 29 septembre 2025, la cour administrative d’appel a répondu par l’affirmative. Elle juge que l’autorité préfectorale pouvait légalement fonder son refus sur l’existence de deux précédentes obligations de quitter le territoire non exécutées, ainsi que sur l’utilisation par l’intéressé d’un faux document pour obtenir un emploi, quand bien même ces faits n’auraient pas donné lieu à une condamnation pénale. La cour valide par conséquent l’ensemble des mesures contestées, y compris l’interdiction de retour sur le territoire français.
Cette décision illustre une application rigoureuse des nouvelles dispositions législatives, confirmant leur large portée (I), ce qui conduit à un renforcement notable du pouvoir d’appréciation de l’administration dans le traitement des demandes de régularisation (II).
I. La validation d’une application extensive des nouveaux motifs de refus de titre de séjour
La cour administrative d’appel opère une lecture stricte des dispositions introduites par la loi du 26 janvier 2024, en confirmant leur application à l’ensemble des demandes de titre de séjour (A) et en consacrant une appréciation autonome des faits de nature pénale par l’autorité administrative (B).
A. L’applicabilité confirmée des motifs de refus aux demandes d’admission exceptionnelle
Le requérant tentait de soutenir que le régime de l’admission exceptionnelle au séjour, prévu à l’article L. 435-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, échappait aux nouveaux motifs de refus facultatifs créés par l’article L. 432-1-1 du même code. Une telle argumentation visait à faire prévaloir la nature dérogatoire de la procédure de régularisation sur les nouvelles conditions générales posées par le législateur.
Toutefois, la cour écarte sans ambiguïté cette interprétation. Elle juge que le motif de refus tiré de la non-exécution d’une précédente mesure d’éloignement, prévu au 1° de l’article L. 432-1-1, est « applicable à toutes les décisions de refus de titre de séjour y compris celles rejetant une demande d’admission exceptionnelle au séjour ». Ce faisant, elle refuse de créer une distinction là où le texte n’en prévoit pas et confère une portée générale à cette nouvelle faculté de refus. Cette solution est conforme à l’intention du législateur, qui visait à unifier et à durcir les conditions de délivrance des titres de séjour. L’admission exceptionnelle au séjour, bien que relevant du pouvoir discrétionnaire du préfet, ne constitue donc pas un régime juridique autonome soustrait aux nouvelles exigences légales.
B. La caractérisation autonome des faits de faux et usage de faux
Au-delà de la question de l’inexécution des mesures d’éloignement, l’arrêt apporte une précision importante quant au second motif de refus opposé à l’intéressé. Le préfet s’était en effet également fondé sur le fait que le requérant avait utilisé une fausse carte de résident pour obtenir ses contrats de travail. La cour valide ce raisonnement en soulignant que de tels agissements, « alors même qu’ils n’auraient pas fait l’objet de condamnations pénales », entrent dans le champ d’application de l’article 441-2 du code pénal et « sont de nature à fonder un refus de titre de séjour » sur le fondement du 2° de l’article L. 432-1-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
Cette affirmation consacre l’autonomie de l’appréciation de l’autorité administrative par rapport à l’autorité judiciaire. Le préfet n’a pas besoin d’attendre l’issue d’une procédure pénale pour constater des faits qui, matériellement, constituent une infraction de faux et usage de faux. Il peut, sous le contrôle du juge, qualifier lui-même ces faits pour en tirer les conséquences sur le droit au séjour de l’étranger. Une telle approche confère à l’administration une prérogative forte, lui permettant de réagir à des comportements frauduleux sans dépendre du calendrier, souvent long, de la justice pénale.
Cette interprétation rigoureuse des textes, si elle consacre la portée des nouvelles dispositions, renforce considérablement les prérogatives de l’administration et modifie l’équilibre dans l’examen des demandes de régularisation.
II. Le renforcement du pouvoir d’appréciation de l’administration dans la régularisation des étrangers
En validant le raisonnement du préfet, la cour minimise la portée des éléments d’insertion que peut faire valoir un demandeur (A) et, par voie de conséquence, consolide la légalité des mesures d’éloignement qui accompagnent le refus de séjour (B).
A. La portée limitée des critères d’insertion en présence d’un motif de refus
Le requérant mettait en avant son insertion professionnelle, attestée par des contrats de travail et des bulletins de paie sur une période significative, pour justifier sa demande d’admission exceptionnelle. Traditionnellement, de tels éléments constituent le cœur de l’examen d’une demande de régularisation par le travail.
Cependant, la décision commentée montre que la présence d’un des motifs de refus visés à l’article L. 432-1-1 peut rendre l’examen des critères d’insertion quasi inopérant. En jugeant que le préfet « pouvait refuser de lui délivrer un titre de séjour » en raison des précédentes obligations de quitter le territoire non exécutées et de l’usage d’un faux document, la cour entérine le fait que ces éléments négatifs peuvent légalement primer sur des éléments d’intégration positifs. Le pouvoir d’appréciation du préfet s’en trouve renforcé : il peut désormais légalement écarter une demande de régularisation, même fondée sur une insertion réelle, en se basant sur le comportement passé de l’étranger. La logique de la sanction l’emporte ainsi sur celle de l’intégration.
B. La consolidation de la mesure d’interdiction de retour sur le territoire français
La légalité du refus de titre de séjour a un effet direct sur celle des mesures d’éloignement qui l’accompagnent. La cour en tire logiquement les conséquences en ce qui concerne l’interdiction de retour sur le territoire français d’une durée de deux ans.
Elle juge que cette mesure « ne méconnaît ni les dispositions précitées des articles L. 612-8 et L. 612-10 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, (…) ni ne présente un caractère disproportionné ». Les faits qui ont justifié le refus de séjour, à savoir la méconnaissance répétée de mesures d’éloignement antérieures et l’usage de faux, servent également à caractériser une menace potentielle pour l’ordre public ou un manque de respect des lois de la République. Ces éléments sont pris en compte pour apprécier la proportionnalité de l’interdiction de retour, conformément à l’article L. 612-10. La décision commentée démontre ainsi que les motifs introduits par la loi du 26 janvier 2024 ne justifient pas seulement un refus de séjour, mais constituent aussi des facteurs aggravants dans la détermination de la durée des mesures d’éloignement complémentaires.